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Croissance rime avec lutte contre les inégalités

par A.G.
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Dans leur ouvrage, Le Capitalisme contre les inégalités (PUF), Yann Coatanlem et Antonio de Lecea abordent de manière approfondie la question des inégalités, en soulignant trois thèmes centraux. Ces trois thèmes sont fondamentaux pour comprendre l’ampleur du sujet et proposer des solutions efficaces.

Le premier thème, et peut-être le plus structurant de l’ouvrage, est la nature multidimensionnelle de l’inégalité. Contrairement à une vision traditionnelle qui limite l’inégalité aux seules différences de revenus, les auteurs insistent sur le fait que les inégalités sont bien plus complexes et comprennent une large gamme de dimensions sociales, économiques et politiques. Il est donc crucial de dépasser la simple mesure de la répartition des revenus, souvent représentée par des indicateurs comme le coefficient de Gini ou la part des 10 % les plus riches. Le livre met l’accent sur des aspects plus larges, comme les inégalités d’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’information, à la justice, ainsi que les disparités territoriales et environnementales. La qualité de l’emploi, la pénibilité du travail, et les discriminations en fonction de l’origine ethnique ou du sexe jouent également un rôle déterminant dans l’expérience vécue de l’inégalité. Ces dimensions ne sont pas seulement annexes : elles façonnent la manière dont les inégalités sont perçues et vécues par les individus.

Multidimensionnalité

Le livre souligne que l’inégalité, pour être bien comprise, doit être envisagée sous ces différents angles. La perception publique des inégalités, qui diverge souvent des statistiques disponibles, s’explique en partie par le fait que les mesures les plus courantes ne prennent pas en compte cette multidimensionnalité. Une large partie de la population considère l’inégalité comme étant bien plus large que la simple inégalité de revenu, englobant des aspects de la vie quotidienne qui affectent directement le bien-être et les perspectives d’avenir des individus. Les auteurs insistent sur la nécessité de réviser nos indicateurs pour inclure ces multiples dimensions dans la mesure de l’inégalité, afin de mieux rendre compte de la réalité vécue par la population. Ils appellent également à un effort pour rendre ces indicateurs plus accessibles et mieux diffusés dans le grand public, afin de permettre une meilleure compréhension et une action plus efficace sur le sujet.

Le deuxième thème de l’ouvrage concerne la diversité des politiques à mettre en place pour répondre à ces inégalités. Les auteurs abordent la question des politiques redistributives, notamment la fiscalité et le revenu universel de base (RUB). Selon eux, bien que la redistribution des revenus soit nécessaire pour réduire les inégalités monétaires, elle est loin d’être suffisante. Les politiques de redistribution doivent être complétées par des actions plus larges qui s’attaquent aux racines structurelles des inégalités. Cela implique des réformes dans l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle, mais aussi des politiques visant à réduire les discriminations et à améliorer la mobilité sociale. En effet, même une redistribution optimale des revenus ne résoudrait pas les inégalités liées aux conditions de travail précaires, aux discriminations, ou encore aux inégalités territoriales et environnementales. Ces disparités doivent être abordées de manière spécifique, avec des politiques adaptées.

Revenu universel

L’une des propositions clés du livre est la mise en place d’un revenu universel (lire par ailleurs).
Au-delà du revenu universel, les auteurs insistent sur l’importance de réformer en profondeur les systèmes d’assurance chômage et d’accès à la formation tout au long de la vie. Une éducation de qualité, accessible à tous, dès le plus jeune âge, est une des clés pour réduire les inégalités d’opportunités. Les auteurs plaident également pour une meilleure régulation économique, en particulier pour lutter contre les rentes issues de positions monopolistiques, qui sont à la fois une source d’inégalités économiques et un frein à l’innovation. La lutte contre le lobbying et la concentration des rentes est ainsi considérée comme essentielle pour permettre une concurrence plus juste et favoriser l’émergence de nouveaux acteurs économiques.

Le troisième thème majeur, qui sert également de conclusion au livre, est l’idée que la réduction des inégalités n’est pas incompatible avec l’efficacité économique. Cette thèse s’oppose à la vision classique, issue de la théorie économique libérale, selon laquelle il faudrait choisir entre plus d’équité et plus d’efficacité. Les auteurs montrent, au contraire, que des inégalités excessives freinent la croissance économique, notamment en réduisant la demande agrégée et en augmentant l’instabilité sociale et politique. L’un des arguments majeurs est que des inégalités modérées favorisent une plus grande cohésion sociale, une meilleure mobilité sociale, et donc une économie plus dynamique. Cette thèse est soutenue par des exemples concrets, notamment les pays nordiques, qui ont réussi à combiner un haut niveau de redistribution avec une forte croissance économique. En revanche, l’accroissement des inégalités dans des pays comme les États-Unis, depuis les années 1980, est présenté comme une cause potentielle de la montée du populisme et de l’instabilité politique.

Et Keynes dans tout cela ?

Les auteurs font également référence à la théorie keynésienne pour soutenir l’idée que des inégalités excessives limitent la demande globale et nuisent ainsi à la croissance économique. Ils soulignent que les politiques publiques visant à réduire les inégalités, loin d’être une charge pour l’économie, peuvent au contraire être une source de prospérité durable. C’est pourquoi ils défendent une approche plus ambitieuse de la redistribution et de la régulation économique, qui chercherait non seulement à corriger les inégalités a posteriori, mais aussi à agir en amont pour prévenir leur émergence.
L’ouvrage propose ainsi une refonte du capitalisme, un modèle dans lequel innovation et protection sociale ne seraient pas en contradiction, mais se renforceraient mutuellement. Les auteurs imaginent un capitalisme plus inclusif, où chaque individu aurait la possibilité de développer pleinement ses talents et d’accéder à des opportunités économiques, sans être entravé par des inégalités excessives. Ce modèle, loin d’être utopique, s’appuie sur des politiques déjà mises en œuvre avec succès dans certains pays, et pourrait, selon les auteurs, constituer une voie réaliste pour rénover le capitalisme à l’ère de la mondialisation et des révolutions technologiques.

En conclusion, Coatanlem et de Lecea montrent avec clarté que la lutte contre les inégalités ne se limite pas à des mesures ponctuelles de redistribution. Elle implique une transformation plus profonde des structures économiques et sociales, afin de créer une société plus juste, mais aussi plus efficace et plus prospère. Le livre propose un cadre théorique solide et des solutions pratiques pour réconcilier équité et efficacité, ouvrant ainsi la voie à un capitalisme rénové et plus inclusif. Bien qu’écrit avant l’explosion de l’IA génératrice, le livre aborde également succinctement la révolution qu’induira l’utilisation de cette IA.

A. G.

(Photo : Belgaimage)

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