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Assainissement des finances publiques et investissements dans le régalien : l’équation impossible ?

par Quentin Van den Eynde
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La Commission européenne et les marchés financiers le rappellent : l’ère « quoi qu’il en coûte » est terminée. Comment assainir les finances de l’État belge tout en garantissant une justice, une police et une défense dignes d’un État moderne ? Une carte blanche de Quentin Van den Eynde, avocat au barreau de Bruxelles.

Le prochain gouvernement belge sera confronté à une équation délicate : comment assainir des finances publiques détériorées tout en investissant dans les fonctions régaliennes comme la justice, la police et la défense ? Cette tâche semble insurmontable, pourtant l’avenir de la sécurité et de la stabilité du pays en dépend. L’heure n’est plus aux tergiversations : des solutions existent et il est temps de les mettre en œuvre.

La Belgique, déjà lourdement endettée avant la crise, a vu ses finances publiques fragilisées par la pandémie de Covid-19. Le « quoi qu’il en coûte » a laissé place à une réalité budgétaire implacable : un déficit croissant et une dette publique colossale. La pression exercée par la Commission européenne et les marchés financiers pour réduire cet endettement est désormais incontournable. Mais si des coupes dans les dépenses publiques sont nécessaires, il est impensable de sacrifier les fonctions régaliennes qui garantissent la sécurité et la justice. L’État doit donc repenser ses priorités et concentrer ses efforts là où ils sont essentiels.

Justice, police et défense : des investissements cruciaux sous pression

Les fonctions régaliennes sont sous tension. Alors qu’elles jouent un rôle crucial pour la stabilité du pays et la protection des citoyens, elles manquent cruellement de ressources.

  • Justice : Malgré une augmentation budgétaire de 581 millions d’euros, la justice belge est au bord de la faillite. Le SPF Justice a averti qu’il serait incapable de payer des factures aussi basiques que l’électricité d’ici la fin de l’année sans financement supplémentaire. Les infrastructures vieillissent, la numérisation tarde, et le système peine à répondre aux besoins croissants. Sans réformes rapides, le système judiciaire se dégradera au point de mettre en péril les droits des citoyens.
  • Police : Les 500 millions d’euros injectés dans la modernisation de la police ne suffisent pas. Le recrutement de nouveaux policiers n’atteint pas les objectifs fixés par le gouvernement. En 2023, seuls 1.043 agents ont été recrutés, bien en deçà de l’objectif de 1.600 par an. Cette sous-représentation, combinée à des conditions de travail dégradées, affaiblit l’efficacité des forces de l’ordre.
  • Défense : Face aux tensions géopolitiques croissantes, la Belgique est sous pression pour respecter ses engagements envers l’OTAN. Pourtant, le retard pris dans la modernisation des infrastructures militaires met en danger la capacité du pays à défendre son territoire. La guerre en Ukraine a souligné l’importance d’une armée modernisée, mais la situation budgétaire fragilise la réponse de la Belgique.

Concilier rigueur budgétaire et investissements essentiels

Face à cette équation complexe, le gouvernement devra faire preuve d’innovation et d’audace. Voici cinq pistes pour relever ce défi :

Limiter le chômage dans le temps. La fin des allocations chômage à durée indéterminée pourrait enfin devenir une réalité. Cette mesure, appliquée avec succès aux Pays-Bas et au Danemark, permettrait de réduire les dépenses sociales tout en incitant les demandeurs d’emploi à se réinsérer plus rapidement sur le marché du travail. Cette approche pourrait alléger la charge budgétaire tout en augmentant les recettes fiscales grâce à la participation accrue des citoyens à l’économie.

Rationaliser l’administration publique et fusionner les communes. Le poids de l’administration belge est l’un des plus lourds d’Europe. Avec près de 963.000 emplois publics, dont 50 % au niveau des Communautés et Régions et 30 % au niveau des administrations locales, le secteur public local joue un rôle crucial en termes d’emploi. Cependant, cette fragmentation entraîne une inefficacité coûteuse. La fusion de certaines communes pourrait représenter une solution viable pour réaliser des économies significatives. De nombreux pays européens, comme les Pays-Bas, ont déjà fusionné leurs petites communes, réduisant ainsi les coûts de fonctionnement tout en améliorant l’efficacité des services publics. La digitalisation des services et la réduction des doublons administratifs pourraient compléter cette approche, permettant à l’État de gagner en efficience tout en maintenant un niveau élevé de services pour les citoyens.

Renforcer la lutte contre la fraude sociale et fiscale. La fraude fiscale et sociale coûte à l’État des milliards chaque année. En renforçant les contrôles et en modernisant les systèmes de détection, la Belgique pourrait récupérer des fonds considérables. Des pays comme la Suède ont montré que la digitalisation des systèmes fiscaux permet non seulement de réduire la fraude, mais aussi d’améliorer l’efficacité de la collecte des impôts. Les ressources ainsi récupérées pourraient être réinjectées dans les secteurs vitaux.

S’appuyer sur les partenariats public-privé (PPP). Les PPP offrent une solution pour financer des investissements coûteux sans creuser le déficit. En partageant les risques avec le secteur privé, l’État peut moderniser ses infrastructures, notamment dans le domaine de la défense et de la sécurité. En France et au Royaume-Uni, les PPP ont permis de financer des infrastructures militaires tout en allégeant la charge financière de l’État. C’est une piste à explorer pour moderniser les équipements belges sans peser sur le budget public.

Mobiliser les financements européens. Les fonds européens restent sous-exploités par la Belgique. En maximisant leur utilisation, notamment pour des projets de numérisation de la justice ou de rénovation d’infrastructures critiques, l’État pourrait moderniser le pays sans augmenter la dette. Par exemple, le plan de relance européen post-Covid19 représente une occasion unique de financer des projets à long terme qui amélioreront la résilience du pays sans affecter ses finances publiques. Encore faut-il éviter des pénalités, comme celle infligée à la Belgique en diminuant les fonds destinés à notre pays de 31 millions d’euros en raison du projet de réforme des pensions concocté par la Vivaldi qui est jugé insuffisant par la Commission européenne.

Conclusion : l’assainissement des finances publiques et le renforcement des fonctions régaliennes ne sont pas des objectifs incompatibles. Avec des réformes structurelles audacieuses, un renforcement de la lutte contre les fraudes et une utilisation intelligente des fonds européens, la Belgique peut concilier économie budgétaire et investissements essentiels. L’avenir du pays dépend de la capacité de son gouvernement à prendre des décisions courageuses et à mener les réformes nécessaires pour garantir la sécurité et la stabilité de tous ses citoyens.

(Photo Belga : le nouveau palais de Justice de Namur)

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