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Elio Di Rupo : « S’il devait y avoir une deuxième attaque russe, nous serions nus »

par Maxence Dozin
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« Les Américains et les Européens se sont comportés comme les dominateurs du monde lorsqu’il aurait fallu tendre la main à la Russie en 1991 », reconnaît Elio Di Rupo, qui voit dans l’entrée de l’Ukraine dans le giron occidental une opportunité pour les multinationales. « Mais de nos jours, nous sommes en présence d’un envahisseur, d’un agresseur, que l’on ne peut pas laisser gagner. » – Seconde partie de notre entretien avec le député européen PS.

21 News : Dans la première partie de cet entretien, vous dénonciez le manque d’anticipation de l’UE en matière industrielle. Visez-vous donc également une impréparation des Européens en cas de conflit armé de grande ampleur ?

Elio Di Rupo : Absolument. Si l’on fait le total de ce que l’on dépense État par État en Europe, on est quasiment au niveau des Américains, si ce n’est plus. En revanche, s’il devait y avoir demain une attaque, nous serions nus ! On a cru que cela n’allait plus jamais se produire, mais cette croyance, il faut l’oublier. Il faut trouver un mécanisme européen qui nous assure, a minima, notre propre protection. Tout cela, avec pour seul objectif diplomatique, la paix ; le dialogue pour trouver des solutions. Quand vous voyez Anthony Blinken (le secrétaire d’État américain, NDLR) se déplacer, on imagine derrière lui les F-35, les missiles, etc. Quant à Josep Borrell (vice-président de la Commission, NDLR), lorsqu’il se déplace, il arrive avec le droit international, le respect des droits humains ; cela n’a pas l’air d’émouvoir outre mesure les autres puissances. On doit avoir des valeurs – celles qui sont à la base de l’Union européenne, sans laquelle nous ne sommes rien –, mais on ne peut pas n’avoir que des valeurs et jouer les naïfs de service.

21 News : Pensez-vous que dans le cadre du conflit ukrainien, l’OTAN aurait pu pécher par une certaine forme de maladresse, compte tenu de la volonté autrefois exprimée par la Russie de faire partie du « bloc occidental », notamment lorsqu’elle a embrassé l’économie de marché à partir de 1991 ?

E. D.R. : Dans les années qui ont suivi la chute du Mur de Berlin, il y avait un climat d’euphorie en Occident et on espérait même trouver des solutions d’association avec la Russie. Je trouve que cet objectif était bon, et qu’un jour viendra où il devra être remis sur la table. Mais les Occidentaux – Américains et Européens – se sont comportés comme des « dominateurs du monde ». Ils avaient gagné, et c’était le triomphe du libéralisme. On a ensuite vu en Russie l’arrivée d’Eltsine, qui a marqué la seule période connue de démocratie sur place. Malheureusement, cet homme avait certes un esprit démocrate, mais une santé fragile et sans doute quelques casseroles. Ensuite, après quelques années, est arrivé Poutine, avec un tout autre caractère. Pour ce qui est de l’Ukraine, divisée depuis longtemps entre une partie orthodoxe et une partie catholique, et qui parlait les deux langues, l’ukrainien et le russe, les Américains et la Commission européenne ont absolument voulu la voir rejoindre le giron européen. Était-ce pour des raisons de démocratie et de liberté ? Peut-être. Mais aussi, et certainement, dans la perspective des grandes multinationales, pour des raisons économiques : voir dans une Ukraine « occidentalisée » un moyen de s’installer dans une zone où les salaires sont quatre fois moins élevés qu’en France ou en Allemagne. En 2014, les choses se sont envenimées avec l’annexion de la Crimée par la Russie, un acte non conforme au droit international, certes, mais relativement limité dans ses conséquences. Mais aujourd’hui, nous sommes face à un envahisseur, un agresseur, que l’on ne peut pas laisser gagner, car cela nous mettrait davantage en danger. Nous devons absolument contribuer à trouver une solution raisonnée via l’Ukraine. Est-ce que l’Ukraine elle-même est exempte de toute critique ? Est-ce que les autorités ukrainiennes gèrent correctement tous ces milliards ? Je n’en sais rien. Mais autant je pense que dans le passé il y avait des visées économiques et stratégiques concernant l’Ukraine, autant aujourd’hui, on ne peut pas laisser la Russie gagner. On doit garder la volonté d’aller vers la paix. Il faut parvenir le plus rapidement possible à un cessez-le-feu, mais on ne peut pas laisser Poutine l’emporter. Le dossier ukrainien est, en tout cas, un facteur de grande déstabilisation. Je pense que les Européens ne se sentent pas à l’aise face à la menace russe, et pas seulement les États les plus limitrophes de la Russie, comme la Pologne. En Belgique aussi, on ne se sent pas à l’aise, et pour des raisons évidentes.

21 News : Au regard des dernières élections dans des pays comme la France ou l’Allemagne, où dans certains Länder, l’extrême-droite a obtenu des scores élevés, pensez-vous que nous vivions une « crise de la démocratie » ?

E. D.R. : Oui, parce que nous avons cru qu’il suffisait de se réclamer de la démocratie pour que tout aille bien. Or, ce n’est pas le cas. Au fil du temps, on a oublié que la démocratie est un acquis difficile à obtenir et qui reste fragile. Lorsqu’on s’intéresse aux profils des gens qui votent pour l’extrême-droite, ce ne sont pas nécessairement des fascistes ou des gens issus de ce moule idéologique. Mais ils sont mécontents, amers. Tantôt à cause de leur propre pouvoir d’achat, tantôt en raison de craintes justifiées ou non à propos de l’immigration. Il y a aussi un aspect que l’on ne peut pas ignorer : l’influence dramatique des réseaux sociaux sur l’esprit de nos concitoyens. Lorsque l’on examine leur impact, tout ce qui est positif est pris en compte, point. Quant à tout ce qui relève des complots, scandales, mensonges et autres fake news, cela a un impact incroyable. Il me semble que toute la génération des 12 à 30 ans ne prend plus le temps de la réflexion. Et pourtant, l’espace européen reste malgré tout la région où il fait le mieux vivre, car c’est là où la démocratie est la plus effective. Mais c’est aussi là où les libertés sont les mieux garanties, que la démocratie est en danger.

Ces raisons-là me paraissent importantes et doivent nous inciter à réagir. Si Churchill disait que la démocratie est le moins mauvais des régimes, son maintien reste néanmoins un combat, comme on peut le constater plus que jamais. Convient-il, par exemple, de bannir certaines expressions de ces « nouvelles libertés » ? Peut-être. On pourrait notamment envisager d’empêcher les élèves d’utiliser leur téléphone portable à l’école ; ce pourrait être un premier pas intéressant.

Entretien : Maxence Dozin

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