Une opinion de Carlos Crespo, essayiste.
Commenter des résultats électoraux est un exercice qui peut s’avérer aussi convenu que difficile. Il est clair qu’au soir d’une élection, les états-majors de partis sont généralement plusieurs à revendiquer la victoire. Le propos du commentateur risque parfois d’être orienté voire biaisé en fonction de ses affinités. Par ailleurs, de surcroît en ce qui concerne des élections communales, la juxtaposition de spécificités locales ne rend guère aisée l’élaboration d’une grille d’analyse globale. Il faut jauger factuellement les tendances générales tout en n’omettant pas de relever quelques particularismes circonscrits en vue d’enrichir la réflexion.
Je trouve qu’il est toujours intéressant que le lecteur sache d’où l’auteur écrit. En ce qui me concerne, j’ai été candidat sur une liste progressiste dans ma commune le 13 octobre dernier et je suis membre du Parti Socialiste. Ce fait est connu de la rédaction de 21News qui m’a sollicité et à laquelle j’ai répondu favorablement, avec la volonté d’apporter humblement une touche de pluralisme à un média dont l’objectif annoncé est de renforcer le pluralisme des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles. La présente analyse, concomitante à d’autres présentes sur le site, portera donc plus spécifiquement sur les résultats de la gauche francophone (et du PS en particulier) aux dernières élections.
Bruxelles : un électorat populaire partagé
Le MR et les Engagés ont été incontestablement les partis gagnants des élections européennes, fédérales et régionales du 9 juin dernier dans la partie francophone du pays. Toutefois, le PS avait notablement limité la casse à Bruxelles. Le second round prévu pour les communales s’annonçait particulièrement périlleux pour les socialistes bruxellois. En effet, le MR et les engagés, fort de leur dynamique électorale positive, avaient constitué des listes communes dans sept communes bruxelloises. Le PTB, arrivé en tête aux fédérales et régionales dans plusieurs communes bruxelloises en juin (Anderlecht, Molenbeek, Saint Gilles,..) semblait en capacité de tailler des croupières au PS dans plusieurs de ses bastions. Révélation controversée de l’élection régionale bruxelloise, Fouad Ahidar avait réussi à recruter des candidats en vue de former des listes dans sept communes, avec pour ambition de séduire un électorat populaire traditionnellement plutôt favorable au PS. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! » avait écrit Corneille. Cette maxime pourrait s’insérer de manière pertinente dans un commentaire global sur les résultats du 13 octobre des listes PS et apparentées dans les 19 communes. Dans la première couronne, les socialistes se maintiennent voire, comme à Koekelberg, se renforcent. À Anderlecht, les réformateurs dépassent de peu les socialistes mais c’est surtout grâce à l’appoint des engagés dont les membres, étaient il y a six ans, en cartel avec… le PS ! Dans le sud de Bruxelles, les socialistes sont en nette progression par rapport au scrutin de juin et surtout aux élections communales de 2018. Dans un contexte globalement peu favorable aux formations social-démocrates à l’échelle belge et même européenne, il convient de relever qu’un score historiquement haut a été atteint par des listes socialistes dans des communes souvent présentées comme sociologiquement peu porteuses pour les lendemains électoraux qui chantent.
Le PTB progresse par rapport aux dernières communales dans toutes les communes où il a présenté des listes et obtient 23 élus locaux de plus. Il n’arrive toutefois pas à confirmer les premières places obtenues sur un corps électoral communal en juin dernier. Le sort d’Ecolo est moins enviable. Par rapport aux élections de 2018, Ecolo perd 48 sièges de conseillers communaux. Toutefois, par rapport aux résultats de juin, la pilule est moins amère. Sur X, Pascal Delwit a effectué une analyse comparative à l’échelon communal des résultats des partis entre les deux élections de 2024. Si on excepte Molenbeek et Saint-Josse, Ecolo progresse dans l’ensemble des communes bruxelloises sur l’intervalle de quatre mois. Malgré la montée incontestable de la droite et du centre-droit lors des deux dernières élections, on ne peut aucunement parlerde sanction électorale claire pour les partis de gauche dans leur ensemble. D’ailleurs, au parlement régional bruxellois, PS, ECOLO et PTB, totalisent ensemble 38 sièges francophones sur 75. Une majorité arithmétiquement possible n’est cependant pas toujours politiquement praticable.
Wallonie : la rose conserve de beaux restes
La situation en Wallonie est différente, bien qu’on puisse identifier certaines similarités. Le MR et les Engagés sont sur un trend électoral globalement positif et le PS se maintient plutôt bien dans les zones urbaines. Le score de 23% en Wallonie lors des régionales de juin est néanmoins un plancher historique pour un parti qui dans les années 80 atteignait les 40% et, il y a une quinzaine d’années encore dépassait parfois largement, la barre de 30%. La baisse semble tendancielle. En ce qui concerne l’élection du 13 octobre qui suivait de près une défaite électorale difficilement contestable, pour paraphraser Jean de La Fontaine, on peut écrire que la rose plie mais ne rompt pas. Le PS reste premier parti dans les plus grandes villes wallonne, à l’exception notable de Namur. Certes, par le jeu des alliances locales, il perd le mayorat d’une métropole comme Tournai mais la réflexion porte ici sur les résultats et non la constitution des majorités communales, exercice encore non finalisé en différents lieux au moment d’écrire ces lignes.
Lors des élections régionales de juin, le PTB n’a pas atteint les sommets prévus par certains sondages, avec 12,10% des voix, il perd même 1,58% par rapport au score obtenu en 2019. Pour ce qui est des communales et provinciales, le parti progresse de manière perceptible au niveau local principalement dans les provinces du Hainaut et de Liège. Dans la première, le PTB double son nombre d’élus locaux. Ecolo, quant à lui, est tombé en dessous des 7% le 9 juin dernier à l’échelon régional, le plus bas de ses scores électoraux pour le siècle en cours. Les élections communales et provinciales confirment la tendance, avec toutefois, un nombre d’électeurs en légère hausse par rapport au scrutin régional. Afin de mettre en perspective l’analyse de ces résultats, il convient de rappeler que depuis 25 ans, Ecolo réalise systématiquement des meilleures performances électorales quand il est dans l’opposition que lorsqu’il est au pouvoir.
Georges-Louis Bouchez n’a objectivement pas tort de s’auto-proclamer vainqueur des deux rendez-vous avec les urnes de 2024. Mais il s’agit peut-être bien d’une victoire à la Pyrrhus ! Tout d’abord parce qu’il a échoué à porter l’estocade au PS à Mons comme il l’ambitionnait. Dans la Cité du Doudou, on a vu pâlir son étoile. Par ailleurs, si son alliance avec Maxime Prévot semble demeurer solide, les sourires complices ont à présent disparus. La progression électorale des Engagés à tous les niveaux en font désormais davantage des challengers que des partenaires du MR. L’ADN centriste du parti ouvre actuellement le jeu des alliances post-électorales dans les communes et les provinces parfois au détriment des intérêts des bleus. Tant dans « l’Arizona » qu’à la Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles, les Engagés devront imprimer leur marque sous peine de compromettre leur assise électorale. Enfin, Paul Magnette a renoncé à l’écharpe mayorale pour endosser pleinement le costume de leader de l’opposition belge francophone. Nul doute que l’agenda aussi austéritaire que communautaire du formateur Bart De Wever lui offre une fenêtre de tir conséquente. Le gouvernement fédéral en devenir sera constamment dans le viseur rouge durant les années qui viennent. Ecolo et le PTB auront également à cœur d’exister dans le débat politique notamment en tirant à vue sur les actions des ministres MR et Engagés à tous les niveaux de pouvoirs. Si elle a pu se retrouver par deux fois au tapis, la gauche est loin d’être aujourd’hui KO debout…
Carlos Crespo est auteur de tribunes dans différents médias et essayiste. Les intertitres sont de la rédaction.
(Photo Belga)