Pour Me Typhanie Afschrift, la nouvelle mouture de la taxe Caïman modifie profondément un cadre fiscal déjà complexe, introduisant des changements qui mettent en péril la sécurité juridique des épargnants. Désormais, les revenus des filiales qualifiées de « constructions juridiques », même si leur société-mère est soumise à une taxation normale à l’étranger, peuvent être imposés au niveau du fondateur belge. Malgré une « exit tax » pour limiter les délocalisations, le risque de fuite des capitaux demeure tangible.
21 News : Quels sont les changements spécifiques apportés par la nouvelle loi Caïman ?
Me Typhanie Afschrift : La nouvelle loi caïman bouleverse complètement le régime d’une taxe qui était déjà particulièrement complexe. Le texte était déjà particulièrement médiocre dans sa rédaction, affecté par des changements successifs. C’est encore bien pire aujourd’hui, de sorte qu’on peut dire que la sécurité juridique est réellement en cause. Parmi les nombreux changements, figure celui de la possibilité de taxer dans le chef du fondateur les revenus de filiales qui sont des « constructions juridiques », mais dont la société mère est taxée dans un autre pays taxation « normale »
21 News : Quelles sont les cibles principales de cette nouvelle législation ?
T. A. : La cible claire de la nouvelle législation, comme de la taxe caïman dès l’origine, ce sont les épargnants ou les investisseurs. La loi ne vise que les personnes physiques, et n’a donc pas d’effet direct sur les entreprises. Pour celles-ci, il y a une autre législation, la « CFC » qui permet parfois de taxer les revenus de filiale off-shore en Belgique.
Pas d’exemption dans la loi belge
21 News : Quelles seront les conséquences fiscales pour les investisseurs belges ?
T. A. : Pour les investisseurs belges, le premier problème est celui qu’ils se posent tous actuellement : sont-ils impactés par la nouvelle législation ? D’après les critères constitutionnels et internationaux, chacun devrait être en mesure de connaître les conséquences de l’application d’une loi sur sa propre situation. On peut dire que ce n’est plus le cas depuis la nouvelle mouture de la taxe caïman. Une fois qu’une certaine stabilité sera acquise dans l’interprétation, il est probable que certains investisseurs modifient la structure de leur organisation financière. Dans le sens voulu par le législateur, ou non…
21 News : Les exemptions ou les allégements fiscaux pour les investisseurs étrangers sont-ils affectés ?
T. A. : La loi belge ne prévoit en réalité pas d’exemption ou d’allègement fiscaux pour les investisseurs belges qui investissent à I’étranger, et c’est relativement normal. En ce qui concerne les étrangers qui investissent en Belgique, ils n’ont pas de raison de souffrir de la taxe caïman : d’une part, ces investissements proviennent en général de sociétés, et d’autres part, les particuliers qui restent résider à l’étranger ne sont pas affectés par la taxe caïman parce qu’ils n’en sont pas des fondateurs résidant en Belgique.
21 News : Quels secteurs de l’économie belge pourraient être impactés négativement ?
T. A. : Je ne crois pas qu’un secteur particulier de l’économie belge puisse être impacté négativement par cette loi qui concerne l’essentiellement les personnes physiques. On peut en revanche envisager l’hypothèse que des personnes physiques relativement fortunées choisissent de vivre ailleurs qu’en Belgique pour ne pas supporter le cauchemar législatif qu’est la taxe caïman. Ils devront néanmoins être vigilants parce que celle-ci comporte aussi, pour la première fois, une « exit tax » en cas de départ.
Fuite des capitaux
21 News : Quel est le risque de délocalisation ou de fuite des capitaux en conséquence de cette loi ?
T. A. : Le risque de délocalisation est atténué par l’« exit tax » évoquée ci-dessus, mais il ne disparaît pas pour autant. On peut aussi imaginer que cette législation fasse figure d’épouvantail pour des étrangers qui voudraient venir s’installer en Belgique, notamment des Français peu rassurés par le résultat des élections de juin.
21 News : Comment cette loi s’aligne-t-elle sur les normes européennes et internationales en matière de fiscalité ?
T. A. : Il est fort probable – et c’est ce que je soutiens – que la nouvelle loi n’est pas compatible avec des engagements internationaux pris par la Belgique, soit dans le cadre du droit européen, soit tout simplement dans le cadre des conventions préventives de la double imposition. Le problème existait déjà dans le cas de trusts constitués dans des pays à taxation élevée (Royaume-Uni, Canada, États-Unis, par exemple), où la taxe caïman organisait une véritable double imposition. Le problème va se poser avec une beaucoup plus grande ampleur à présent, puisqu’il y a beaucoup plus de dispositions qui entrent en conflit avec de telles conventions.
Entretien : A.G.
(Photo Belga : George Town, Grand Cayman)