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Damien Ernst : « Les Belges vont payer leur électricité beaucoup plus cher »

par Rédaction
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Est-ce le recul net des écologistes à l’issue des deux scrutins de cette année 2024 qui délie sa parole ? Damien Ernst livre son avis sans concession sur la politique énergétique de la Vivaldi, « torpillée » selon lui par la ministre Van der Straeten, dont il dénonce « l’aveuglement idéologique ». Le professeur de l’ULiège (Faculté des Sciences appliquées) plaide pour un vaste programme de développement du nucléaire. Entretien.

21 News : Quel est l’impact économique des choix énergétiques actuels, notamment sur les ménages et les industries belges ? Nos choix passés ont-ils pesé sur le pouvoir d’achat des Belges  ?

Damien Ernst : Il ne faut pas avoir peur des mots. On a fait énormément d’erreurs au niveau de la politique énergétique, au nom d’une doctrine antinucléaire folle et sous la pression de lobbyistes qui ont trouvé dans le réchauffement climatique une occasion rêvée de faire signer n’importe quoi aux gouvernements en manière de soutien au renouvelable. Le pouvoir d’achat des Belges en a été doublement victime. Premièrement, ils paient leur électricité trop cher. Deuxièmement, ils souffrent d’un manque de jobs bien payés. Ils auraient certainement été plus nombreux si le coût excessivement élevé de l’électricité en Europe n’avait pas contribué à la destruction de son tissu industriel.

21 News : Tinne Van Der Straeten, la ministre fédérale de l’Énergie (Groen), a été fort critiquée durant son mandat. Quel est votre bilan de son action ?

D. E. : Mauvais. Vraiment mauvais. Prenons par exemple le dossier de la prolongation des centrales nucléaires. Ce dossier aurait dû être traité dès le début de la législature. La ministre a tout fait pour le torpiller car, pour elle, seule la sortie du nucléaire comptait. On peut parler d’aveuglement idéologique. Car ensuite, elle a bien été contrainte de prolonger deux centrales pour des raisons évidentes de sécurité d’approvisionnement. Mais là, il était bien tard, ce qui nous a obligé à payer la prolongation beaucoup trop cher. Pour moi, on aurait certainement pu avoir le MWh nucléaire 25 euros/MWh moins cher, en prolongeant directement. Cela nous coûte un bon 400 millions d’euros par an, soit 4 milliards sur les dix ans d’extension.

21 News : Sur le dossier de l’île énergétique d’Elia, elle se plante également ? On est déjà à plus de 5 milliards de surcoûts et ce n’est pas fini.

D. E. : Il ne faut pas avoir peur des mots. Son dogmatisme, combiné à un déficit de connaissance du secteur de l’énergie et de l’ingénierie, a donné un résultat catastrophique. Je pense qu’elle a fait perdre beaucoup de voix aux écologistes. À cause de sa politique, les Belges vont payer leur électricité beaucoup plus cher, pour une sécurité d’approvisionnement moindre, et plus d’émissions de CO2  !

« Ce serait une erreur colossale de ne pas prolonger Tihange 1 »

21 News : Que pensez-vous de l’absence de prolongation de certaines centrales nucléaires dans la stratégie actuelle ?

D. E. : On a sept réacteurs nucléaires. Doel 1, 2, 3, 4 et Tihange 1, 2, 3. Doel 4 et Tihange 3 ont déjà été prolongés. Une prolongation de Doel 1 et Doel 2 coûterait trop cher, car ces unités ne satisfont plus du tout aux nouvelles normes de sécurité. La prolongation de Tihange 2 et Doel 3 coûterait désormais aussi très cher, car Engie a déjà commencé leur démantèlement. Il reste donc Tihange 1, qu’on peut prolonger facilement. Et ce serait une erreur colossale, j’insiste vraiment sur le terme colossal, que de ne pas le faire !

21 News : Faut-il lancer un grand programme de nouvelles grosses centrales nucléaires ?

D. E. : Oui, il faut le faire ! Plus précisément, il faudrait, dès la première année de cette législature, travailler pour lancer la construction de quatre nouvelles unités nucléaires de grande dimension en Belgique. Je suggère de construire deux réacteurs AP1000 (un design américain) sur le site de Tihange. Et deux EPR2 sur le site de Doel. L’EPR2 est une version simplifiée de l’EPR qui, lui, s’avère trop difficile à construire.

Mais j’ai une crainte. Celle d’avoir un gouvernement qui se dit pro-nucléaire, mais qui se contente de lancer un simple chantier participatif des idées sur le mix énergétique du futur. Ou une autre débilité de ce type-là. Avec le risque évident qu’un tel débat soit noyauté par des écologistes décroissants antinucléaires. On perd du temps avec des gouvernements qui ont peur d’avancer sur des dossiers politiquement plus délicats au niveau énergétique, alors que beaucoup de ces dossiers sont vraiment importants pour le bien des Belges. C’est sans doute lié au fait que le niveau de connaissance en matière d’énergie du monde politique est extrêmement faible, alors que le domaine est complexe.

« Il faut revoir la manière dont on décarbone l’Europe »

21 News : Que pensez-vous des « petites » centrales portables SMR que Google envisage de construire pour son IA ? Est-ce réaliste en Belgique et en Europe ?

D. E. : Les géants de l’IA investissent maintenant massivement dans les petits réacteurs nucléaires. C’est vraiment une chance pour le secteur. Il faut bien entendu avoir une politique pro-SMR en Belgique, mais il faut aller plus loin. Il faut profiter du développement des SMRs pour relancer l’industrie manufacturière dans le secteur du nucléaire. Je pense que c’est jouable en travaillant avec le SCK-CEN, le centre de recherche nucléaire belge, qui planche sur un petit réacteur nucléaire à plomb fondu, qui permettrait même de brûler nos déchets nucléaires ! Le SCK-CEN avance bien sur ce projet, mais il faut repenser leur approche, pour être sûr que cela débouche rapidement sur quelque chose de commercialisable.

21 News : Les objectifs climatiques de réduction des émissions de CO2 sont ambitieux, mais pensez-vous que la politique actuelle permet de les atteindre tout en maintenant un équilibre entre développement économique et industriel  ?

D. E. : Clairement, non ! Car l’Asie et les USA ne jouent pas le jeu. L’Afrique et l’Amérique du Sud non plus. Il faut véritablement revoir la manière dont on décarbone l’Europe, car les efforts que l’on fait actuellement ne servent à rien au niveau planétaire et sont même utilisés par des grands pays pour nous appauvrir en minant nos industries. Ce qui nous affaiblit sur la scène internationale. N’oublions pas que des soldats asiatiques sont maintenant aux portes d’une Europe devenue incapable de se défendre, car elle a rêvé trop longtemps de décroissance, alors que d’autres nations rêvent de conquêtes économiques et militaires, tout en n’accordant qu’une importance de façade au réchauffement climatique. Le défi est là, et je crains qu’on ne l’ait pas encore compris  !

La rédaction

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