Le ministre d’État et ancien chef de la diplomatie belge nous reçoit chez lui, pour un entretien à côté de l’âtre éteint. Louis Michel (MR) pose son regard sur les élections, sur le social et la laïcité. Dans une seconde partie, il évoquera les maux du monde : l’Europe, la guerre en Ukraine, le Proche Orient.
21 News : Monsieur Michel, quel enseignement tirez-vous du scrutin communal du 13 octobre dernier ?
Louis Michel : Je crois qu’il faut tirer des enseignements des deux scrutins. Il s’est passé quelque chose d’assez exceptionnel, notamment en Wallonie et à Bruxelles où ça a beaucoup bougé aussi. Mais particulièrement en Wallonie, on a l’impression qu’il y a un basculement culturel et politique puisque, pour la première fois, le PS n’est plus le premier parti. Il n’est plus que le troisième. Vous voyez par exemple, au niveau communal, où nous avions déjà fait un carton lors des précédentes élections avec une centaine de bourgmestres, nous en avons encore plus aujourd’hui. De plus, vous avez aussi une victoire – assez inattendue dans sa proportion –, des Engagés. Les libéraux et les Engagés sont les grands vainqueurs du scrutin. D’une certaine manière très significative, ils portent une forme de libéralisme, c’est-à-dire un retour à une gestion en bon père de famille, aussi la récompense du travail et du mérite, et des incitations à pousser les gens hors d’une situation, vais-je dire, attentiste vis-à-vis du travail.
On ne peut pas avoir un système qui devient à un moment donné plus intéressant pour ceux qui ne travaillent pas que pour ceux qui travaillent, ceux qui s’assument, ceux qui assument aussi le poids de la sécurité sociale, le poids de l’accompagnement social. Et je pense que ça, c’est quelque chose. Vraiment, moi je ne m’y attendais pas dans une telle proportion. Je sentais bien, quand on parlait à gauche et à droite, que le programme du parti, les idées du parti, les concepts du parti passaient et trouvaient un écho, mais pas à ce point-là.
« Le parti socialiste a pensé qu’il avait le monopole de la défense des travailleurs »
21 News : Certains partis revendiquent le monopole de la cause sociale. Vous n’êtes pas d’accord ?
L. M. : Le monopole c’est le contraire du libéralisme. De tout temps, au cours de son histoire, le libéralisme s’est battu contre les monopoles. Et donc personne n’a le monopole de la justice, personne n’a le monopole de la représentation des travailleurs, personne n’a le monopole d’aucun secteur.
21 News : Personne n’a ou ne devrait ?
L. M. : Ne devrait ! Il y a trop de gens, au cours de l’histoire de ces dernières décennies, qui ont considéré qu’ils avaient le monopole. Par exemple, le parti socialiste a commis une erreur qui est aussi une insulte à la démocratie en pensant qu’il avait le monopole de la défense des travailleurs. Mais il n’a pas respecté cette idée d’être le défenseur du travailleur. Je ne sais pas si vous vous rappelez, moi j’ai cassé ça. Il y a longtemps maintenant, lorsque j’ai organisé le Premier Mai libéral. Lorsque j’ai contesté tout simplement le fait que les socialistes estimaient avoir le monopole de la défense des travailleurs.
Je pense qu’aujourd’hui, par exemple – c’est mon intime conviction – mon parti représente beaucoup plus la défense des travailleurs, de ceux qui s’assument, de ceux qui travaillent, de ceux qui se lèvent tôt le matin pour aller travailler, qui rentrent tard, de ceux qui acceptent parfois des horaires difficiles. Je pense qu’on est plus leur défenseur que le parti socialiste.
« Si on réfléchit bien, le communautarisme, c’est une variante extrêmement dangereuse du racisme »
21 News : À Bruxelles, le communautarisme s’est invité dans le débat d’idées ?
L. M. : À Bruxelles plusieurs partis politiques – pas le mien en tout cas – ont pratiqué le communautarisme avec vraiment l’objectif de prendre dans ces milieux-là. Vous avez vu le Monsieur (Team Fouad Ahidar) dire qu’en fait les musulmans étaient victimes ? Victimes de quoi ? De l’État belge ? Non ! Pas en Belgique !
Je ne peux pas non plus accepter que l’on mette tous les musulmans dans un même moule. Il y a une grande majorité de musulmans qui respectent la démocratie, le vivre-ensemble, mais on agite ces populations-là, on les victimise, on les pousse à se replier sur leurs communautés. Si on réfléchit bien, le communautarisme c’est une variante extrêmement dangereuse du racisme ou une autre forme de racisme.
Lorsque l’on se replie sur une communauté, à la fois on s’exclut de la société en général, mais d’une certaine manière on condamne aussi le reste de la société. Ce sont donc des évolutions, des pensées, des concepts mortifères pour la démocratie.
« La laïcité de l’État, c’est la seule garantie absolue de la liberté religieuse »
21 News : Quid de votre position sur le port du voile ?
L. M. : Je suis un libéral. Que l’on porte le voile dans la sphère privée, à la limite en rue, d’accord. Mais pas dans une fonction où l’on représente l’État, ou la commune, ou une institution démocratique ! Si on représente une autorité publique, je ne trouve pas tolérable que l’on que l’on porte le voile. Je ne trouve pas tolérable que l’on porte une kippa. Je ne trouve pas tolérable que l’on porte une croix ou un signe extérieur de sa religion. Parce que ça veut dire quelque part que l’on est, je dirais presque par nature, dans la partialité. Or l’État, la commune, la région, la province, par définition, doivent être impartiaux. Le citoyen ne peut pas avoir le sentiment qu’il va être traité de manière partiale. Donc c’est assez facile à démontrer ça. Et je ne comprendrais pas comment les personnes qui veulent passer outre à cela ne comprennent pas que ça n’est pas possible dans une société laïque. La laïcité de l’État, c’est la seule garantie absolue de la liberté religieuse.
21 News : Notre société doit-elle être universaliste ou multiculturelle ?
L. M. : Je crois qu’on ne fera jamais assez pour cultiver la notion d’universalité. Je voudrais vous dire que ce qui sauvera le monde, toujours, c’est l’universel. Tant qu’on n’a pas la conception ancrée en nous tous que l’homme universel ou la femme universelle sont le fondement même d’une société équilibrée. C’est le fondement même du bonheur universel, c’est le fondement même de la démocratie universelle, du respect universel. C’est une conception toute simple. Un homme ou une femme, ils sont les mêmes partout dans le monde. Moi j’ai vu partout des gens pleurer, souffrir pour les mêmes raisons. J’ai vu partout des mamans heureuses parce que leurs enfants étaient heureux partout de la même manière. J’ai vu les angoisses, les peurs partout portées par des gens de couleurs différentes, de cultures différentes. Je crois que on fera jamais assez pour cultiver la notion de l’universalité.
Entretien : Philippe Lamair
(Photo : 21 News)