Comme dans le « Nouveau Western » de MC Solaar, le vent souffle sur l’Arizona. Fort. Cet avis de tempête politique a conduit le projet de coalition pour le gouvernent fédéral au bord de l’implosion et Bart De Wever vers le Palais royal. Pour y présenter sa démission comme formateur, que le Roi a rejetée en lui donnant un nouveau délai de quelques jours. Mais que peut-il se passer d’ici au 12 novembre et surtout, que se passe-t-il dans la tête des présidents de parti ? Tentative de réponse…
Pendant que le monde entier a les yeux rivés sur les USA, pendant que notre situation budgétaire ne cesse de se dégrader sous le regard inquiet des agences de notation, le monde politique belge continue de se regarder le nombril. Un grand classique. Attendre, patienter, accumuler les jours de crise. Cela, le monde politique belge a prouvé qu’il pouvait le faire.
Le dernier épisode des claquements de portes au sein de l’Arizona ne fait que confirmer cette tendance. On est certes encore très loin des 541 jours sans gouvernement de 2010-2011, mais près de cinq mois après les élections fédérales, le temps commence à devenir long. Surtout après un résultat électoral qui semblait plus limpide et plus favorable à la mise en place d’une majorité de centre-droit, avec l’appoint des socialistes flamands de Vooruit.
Mais essayons d’entrer dans la tête des présidents de parti pour comprendre leur attitude et surtout pour savoir si l’Arizona a une chance de survie.
Dans la tête de Conner Rousseau
Le patron de Vooruit est clairement le protagoniste principal de cette crise. Il a claqué la porte de l’Arizona avant même d’avoir effectué le dernier tour de négociations prévu ce lundi. Mais quel jeu joue exactement Conner Rousseau ? Au poker, on dirait qu’il bluffe pour essayer d’emporter la plus grosse mise. Mettons-nous une seconde dans ses baskets (blanches) : je représente le seul parti de gauche dans cette coalition Arizona et sans moi, tout devient plus difficile pour De Wever et Bouchez.
Donc, Conner Rousseau veut faire payer le prix fort à la droite, pour pouvoir présenter plusieurs trophées à ses électeurs et à ses militants. Il a compris, avec la révolte de sa base lors de la formation de la majorité communale à Gand (qui a rejeté son projet d’alliance avec la N-VA) qu’il ne pouvait plus tout se permettre. Donc, après avoir eu l’assurance de monter avec la N-VA au gouvernement flamand, il a décidé de bloquer sur la coalition fédérale. Qu’a-t-il à perdre à ce stade ? Pas grand-chose. On voit mal De Wever changer ses majorités flamandes et communales et éjecter Vooruit suite au blocage provoqué par Rousseau. Pas sérieux. Donc, pour rester dans le monde du poker, Rousseau peut voir venir et agiter le fantôme d’un retour du PS de Paul Magnette, ce qui fait peur à De Wever et surtout à Bouchez. A contrario, qu’a-t-il à gagner à rester dans l’Arizona ? Obtenir un bon accord, ce qui lui permettra de se présenter comme le vrai leader de la gauche flamande (face au PVDA-PTB) et quelques postes ministériels.
Dans la tête de Bart De Wever
Comme souvent, le patron de la N-VA reste le plus insondable. Plus difficile de lire dans son jeu, même s’il semble évident que le leader nationaliste n’est pas près de brûler tous ses vaisseaux et renoncer à toutes ses valeurs pour devenir Premier ministre. On a compris, le soir du 9 juin, que De Wever avait opté pour un destin fédéral en tentant de devenir Premier ministre afin de remettre la Belgique sur les bons rails, selon ses propres mots, mais aussi d’entrer dans l’Histoire. Son apparition très théâtrale dans un décor rappelant les légions romaines ne devait rien au hasard : il s’agissait de marquer le triomphe de « l’empire du bien » (le sien) contre « le mal » (le PTB et les woke). Après avoir dirigé sa ville d’Anvers, De Wever aimerait clôturer sa carrière par un grand destin… national. Mais pas à n’importe quel prix. On l’a bien vu dans la succession de ses différentes « super notes » qui restaient souvent très proches des positions de la N-VA et ne tenaient pas toujours suffisamment compte des remarques des autres partis. Mais une chose est certaine : si Bart De Wever compte bien trouver une solution pour réanimer l’Arizona avant le 12 novembre, il ne le fera pas à n’importe quel prix.
Dans la tête de Georges-Louis Bouchez
C’est l’homme pressé, celui qui veut avancer le plus vite pour concrétiser ses derniers succès électoraux, comme il l’a fait en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, où des gouvernements ont été installés très rapidement. Bouchez sait que chaque jour qui passe abîme la situation budgétaire de la Belgique mais augmente aussi – même de manière infinitésimale –, les chances de voir le PS revenir un jour à la table des négociations. Ce qui représente le pire cauchemar aux yeux du président du MR. Alors GLB veut aller vite, se voit déjà dans la peau d’un super ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, mais il doit gérer sa relation difficile avec Conner Rousseau. Ce n’est pas pour rien que le Montois a relancé hier l’idée d’une entrée dans la coalition des libéraux flamands de l’Open VLD à la place de Vooruit. Ce serait une majorité très courte (1 siège), mais aussi plus cohérente d’un point de vue politique, puisqu’on retrouverait les partenaires de la majorité suédoise (celle dont Charles Michel fut le Premier ministre) avec le renfort des Engagés. L’Open VLD n’a pas fermé la porte, mais à ce stade, cette hypothèse est plus un moyen de pression sur Conner Rousseau qu’une véritable base de travail. Mais, en Belgique, les crises politiques provoquent très souvent des surprises et des retournements de situations inattendus. Alors, mieux vaut ne fermer aucune porte à ce stade.
Dans la tête de Maxime Prévot (et de Sammy Mahdi)
Rester au centre de l’échiquier. La stratégie gagnante du bon joueur d’échec vaut aussi, parfois, pour les politiques. Maxime Prévot a ressuscité son parti en le positionnement radicalement au centre. Cela lui a permis d’aspirer les voix de tous ceux qui ne supportaient plus la course folle vers le PTB du PS et d’Ecolo. Et même s’il n’en dit pas un mot aujourd’hui, le leader des Engagés rêve de faire le même coup avec tous les électeurs du MR qui ne partageraient plus la ligne plus conservatrice incarnée par Georges-Louis Bouchez.
Prévot veut conserver cette image raisonnable, pragmatique, bienveillante qui a séduit un nouvel électorat, notamment chez les femmes. La présence d’un parti de gauche dans la coalition, comme Vooruit, permet aux Engagés et à son pendant flamand du CD&V d’apparaître comme le vrai centre de gravité de la coalition, et non pas celui qui est là pour défendre la droite ou la gauche. C’est pour cette raison que les deux partis centristes voient d’un très mauvais œil le remplacement de Vooruit par l’Open VLD. Et puis, même s’ils affirmeront le contraire, Prévot et Mahdi savent qu’en cas de prolongation de la crise, leurs chances de devenir les protagonistes d’une mission de sauvetage, voire de prendre le poste de Premier ministre, augmentent considérablement. Voir Maxime Prévot dégainer le premier un communiqué après l’échec de la négociation fait partie d’une stratégie réfléchie : s’offusquer du jeu joué par Rousseau tout en ciblant au passage les problèmes posés par la note de De Wever. Prévot et Mahdi savent que le temps joue en leur faveur…
Pour toutes ces raisons, malgré les claquements de portes et les petites phrases assassines de ce lundi, la coalition Arizona reste à ce jour, dans la tête des présidents de parti, la piste la plus crédible et la plus probable. Mais dans un pays qui a connu une crise de 541 jours, le surréalisme n’est jamais bien loin. Et les retournements de situation non plus.
V. S.
(Photo : Belgaimage)