Trump deviendra-t-il une sorte de solvant pour l’Union européenne et l’OTAN, ou bien son élection sera-t-elle un électrochoc qui réveillera l’Europe pour qu’elle redevienne maîtresse de sa propre destinée ? Ce sont deux questions que le professeur Marc De Vos s’est posées à haute voix dans une interview avec 21 News le matin suivant l’élection présidentielle américaine.
Le professeur Marc De Vos a étudié et travaillé aux États-Unis. « Les gens oublient qu’il y a 50 États et que le pays est immense. Ce que nous voyons en Belgique est une vision très limitée d’une élite dans quelques endroits », explique-t-il. Marc De Vos est directeur général du think tank Itinera Institute et professeur à l’Université de Gand (UGent). Il est l’auteur de plusieurs livres, dont L’Europe Superpuissance, publié il y a quelques mois. Le professeur est également très passionné par la géopolitique. Il fut l’un des premiers à publier une série de messages sur X (anciennement Twitter) après les résultats de l’élection présidentielle américaine.
21 News : Nous avons vu vos posts marquants sur X. Vous ne semblez pas très optimiste ?
Marc De Vos : J’ai posté une liste de problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mais le plus important, c’est que l’élection de Donald Trump est un électrochoc qui réveille les grands pays européens. Nous nous trouvons beaucoup plus isolés face aux menaces de la Chine ou de la Russie. J’espère que les gens en prennent conscience. Certains scénarios dans les rapports de Draghi et Letta prévoient une accélération pour la défense, mais cela devra se faire via les marchés de capitaux.
21 News : Emprunter, donc ? Mais l’Europe savait pourtant qu’elle devrait dépenser davantage pour la défense ?
M.D.V. : Nous devons utiliser cela comme un électrochoc pour avancer sous la pression externe de Trump. Un « noyau dur » de pays doit prendre le leadership en Europe. La seconde possibilité, c’est que ce leadership n’apparaisse pas. Certains pays qui ont du mal avec la politique anti-russe pourraient voir dans Trump une opportunité pour conclure toutes sortes d’accords avec la Russie ou l’administration Trump.
« L’Europe doit prendre son destin en mains »
Si Trump veut mettre fin à la guerre en Ukraine immédiatement, cela implique de faire des concessions. Répondre aux exigences de la Russie. Céder du territoire pour l’Ukraine et accroître l’insécurité des pays européens. Trump devient alors une sorte de solvant pour l’Union européenne. La question est de savoir laquelle de ces deux forces pourra agir le plus rapidement. Macron aime faire des déclarations, mais cela reste souvent sans suite. L’essentiel est que l’Europe prenne de nouveau en main son propre destin, sinon, il y aura des divisions et d’autres en profiteront pour nous monter les uns contre les autres. La Russie, la Chine, et même les États-Unis.
21 News : Vous semblez assez pessimiste. L’Amérique n’a-t-elle pas toujours opté pour un certain pragmatisme multilatéral ? Multilatéral, certes, mais toujours avec son propre intérêt en priorité ?
M.D.V. : L’Amérique a assumé le leadership mondial. Ce n’est pas négligeable. Il n’est pas impossible que Trump revienne à la période d’avant Eisenhower. Croyez-moi, Trump ne compte pas sur le multilatéralisme. L’Europe peut faire des choix, par exemple vis-à-vis de la Chine. Mais économiquement, l’Europe n’est pas aussi forte que les États-Unis. Qu’a l’Europe à offrir à la Chine ?
21 News : On dit de Trump qu’il pense en termes de transactions, de conclusion d’accords. Comment voyez-vous cela évoluer ?
M.D.V. : Il faut apporter rapidement quelque chose d’importance stratégique ou économique à Trump. En ce sens, il existe des possibilités pour l’Europe. Mais ne vous trompez pas ! En dernière instance, cela se jouera autour de l’Ukraine. S’il veut conclure un accord avec Poutine et qu’il est impossible pour l’Ukraine de s’ancrer dans l’UE ou l’OTAN, alors il y a un vide créé. Cela représenterait une menace existentielle pour l’Europe. Il sera donc nécessaire de proposer rapidement quelque chose de substantiel aux États-Unis. Cela demande une proposition de valeur bien plus forte que de simplement discuter des 2 % du PIB pour la défense, un objectif que nous ne parvenons d’ailleurs toujours pas à atteindre.
« L’Europe n’est plus prioritaire pour les États-Unis »
21 News : La surprise face à la victoire de Trump semble grande dans les capitales et médias européens. Ne s’y attendaient-ils vraiment pas ?
M.D.V. : Je suppose que des scénarios ont été préparés. La réflexion a certainement eu lieu au plus haut niveau, mais je ne pense pas qu’il existe de stratégie immédiatement applicable.
21 News : L’Europe est-elle suffisamment importante pour les États-Unis ? Pendant la Guerre froide, l’Europe était la principale préoccupation des États-Unis. Aujourd’hui, il y a de nombreux autres enjeux géopolitiques.
M.D.V. : L’Europe n’est plus prioritaire pour les États-Unis. La Chine, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud peuvent devenir des régions bien plus importantes pour Washington que l’Europe.
21 News : Donc votre ton est tout de même plutôt pessimiste ?
M.D.V. : Je suis optimiste. Dans ma dernière chronique dans Trends, j’ai expliqué pourquoi l’Ukraine doit l’emporter face à la Russie. Je vois émerger des coalitions de pays au sein de l’UE qui veulent aller plus vite et plus loin. Et cette fois-ci, cela se fera peut-être malgré Trump, ou peut-être justement grâce à lui. Nous devons attendre de voir à quel point Trump sera « trumpien ».
Entretien : Lode Goukens