Notre chroniqueur Louis Sarkozy analyse les raisons de la défaite de Kamala Harris, candidate démocrate propulsée au devant de la scène suite au retrait de Joe Biden.
Le terme « mandat » n’a pas la même résonance aux États-Unis qu’en France ou en Belgique. Ici, un président est élu pour un « term » de quatre ans, mais le mot « mandat » ne se réduit pas à la simple victoire électorale ; il incarne plutôt une adhésion presque unanime du peuple, une charge imprégnée d’une légitimité profonde et d’un sens aigu des responsabilités. Le mandat au sens américain va au-delà d’une simple approbation : il devient une mission. Les citoyens s’accordent fondamentalement avec le candidat sur les enjeux de la nation et lui confient la légitimité pour les résoudre. C’est une validation du message et de la méthode, ainsi qu’un aveu de confiance destiné au futur.
Donald Trump a remporté les sept États pivots, un exploit inédit depuis la victoire de Reagan en 1984. Il a également gagné le vote populaire, devenant ainsi le premier républicain à accomplir cet exploit depuis vingt ans, ce qu’aucun expert ni commentateur – moi inclus – n’avait anticipé. Il a surpassé toutes les catégories possibles, battant ses propres résultats de 2016. Ce que le monde vient de voir n’est pas seulement la victoire d’une base électorale, aussi engagée soit-elle, ni le succès de quelques segments de la société américaine : il s’agit plutôt de l’expression d’un peuple. La nation a accordé un mandat à Donald Trump.
Sidération au sein de la campagne démocrate
La question est de savoir pourquoi. Toutes les études et tous les sondages indiquaient une élection trop serrée pour être tranchée. La campagne de Mme Harris avait pris de l’élan au cours de la dernière semaine et se réjouissait intérieurement des signaux qu’elle recevait. Pourtant, tout s’est effondré avec une rapidité et une brutalité déconcertante, laissant l’équipe démocrate sidérée. Harris elle-même devait prendre la parole à minuit mais, voyant la maison s’écrouler autour d’elle, a annulé son discours alors que la foule attendait.
Il est encore tôt, et de nombreuses questions restent sans réponse. Cependant, nous pouvons déjà tirer certaines conclusions de ce résultat.
Premièrement, l’argument politique central de Mme Harris reposait sur la question de l’avortement et des droits reproductifs. Avec les trois juges nommés par M. Trump à la Cour suprême, qui ont voté en faveur de l’abrogation de la célèbre décision Roe v. Wade, Mme Harris avait parié que l’avortement serait un enjeu clé pour les électrices. Ce pari semblait logique : les femmes représentent 53 % de l’électorat, et le droit à l’avortement est régulièrement cité comme une priorité pour elles. Pourtant, la réalité a contredit cette hypothèse. 52 % des femmes blanches ont voté pour Donald Trump, plaçant, tout comme les hommes, l’inflation en tête des préoccupations électorales. Le pari des démocrates, misant sur une mobilisation féminine en faveur du droit à l’avortement, s’est ainsi révélé profondément erroné. Les femmes, malgré leur sexe, sont avant tout des acteurs économiques.
Le vote latino s’est tourné vers Trump
Deuxièmement, la longue campagne des démocrates, menée depuis huit ans pour peindre Donald Trump en raciste xénophobe et anti-Latino, s’est retournée contre eux d’une manière spectaculaire. Il a remporté plus de la moitié du vote latino, décrochant une marge inédite pour un républicain. Dans la région de Starr, la plus hispanique du pays, il a triomphé avec une avance écrasante — un échec retentissant pour la gauche américaine. Trump a bâti sa campagne sur le thème des « expulsions massives », promettant de mobiliser l’armée pour expulser des milliers de clandestins. Les démocrates n’ont pas compris, et peut-être ne comprendront-ils jamais, que cette idée trouve écho dans le cœur de nombreux électeurs latinos. Ces immigrés en règle, las de la concurrence clandestine sur un marché du travail de plus en plus impitoyable, incarnent le fameux « fermez la porte derrière moi ». De même, la sécurité aux frontières demeure une question cruciale aux yeux des électeurs, en particulier dans les États de l’Arizona et du Nevada. Quand on vit près de la frontière et qu’on subit la criminalité qui y sévit, peu importe que l’on s’appelle Johnson ou Rodriguez. Trump a bien saisi cette réalité. Harris, enfermée dans l’obsession de la gauche pour les questions de race et d’identité, apparemment pas.
Par ailleurs, les électeurs latinos, profondément religieux, s’éloignent d’une gauche de plus en plus laïque, dont ils ne partagent plus les valeurs. Ainsi, huit années de discours démocrates et des milliards de dollars et de mots lancés pour diaboliser Trump auprès de cet électorat se sont dissous dans le silence assourdissant de leur échec. C’est une débâcle qui frappe avant tout par son ironie.
L’inflation, cette oubliée de la campagne démocrate
Troisièmement, Mme Harris n’a pas su se détacher de l’ombre d’un président impopulaire. La politique repose sur une dure vérité : l’électeur punit plus souvent qu’il ne récompense. Biden, à tort ou à raison, a été tenu pour responsable de l’envolée de l’inflation. L’Américain moyen débourse aujourd’hui plus de 1 500 dollars de plus par an pour ses produits de première nécessité qu’il y a trois ans. Trump a saisi cette colère. Pour beaucoup, son passage à la Maison Blanche évoque un âge d’or économique — et, mis à part la pandémie, difficile de les contredire. Son message résonnait avant tout par son ancrage économique. Harris, de son côté, a misé sur l’avortement et les accusations de fascisme. Mais, comme l’a dit Napoléon, « une armée marche sur son estomac » — et un peuple, lui, vote avec son portefeuille.
Quatrièmement, Trump a su séduire le « bro vote », le vote des jeunes hommes de 18 à 29 ans. En 2020, ces jeunes électeurs avaient soutenu Biden avec une avance de 24 points ; cette année, ils n’ont appuyé Harris que de 11 points. La série de podcasts de Donald Trump, extrêmement populaire parmi ces jeunes hommes, a su mobiliser cette tranche d’âge en masse — un phénomène rare par le passé.
Ainsi seul le temps nous dira si le Parti démocrate saisira ce désastre pour ce qu’il est et le transformera en opportunité. Mais pour cela, il doit d’abord reconnaître la nécessité de changer. S’il persiste à blâmer l’électorat, le qualifiant de raciste, sexiste, bigot et ignorant, il s’enfermera dans son échec. En se remettant en question, en revanche, il aura une chance de bâtir un projet plus solide et cohérent. Nous verrons.
Ce sont les individus, armés de leurs principes, qui écrivent l’Histoire. Ce sont eux qui avancent et manœuvrent, qui risquent et parient, qui échouent et triomphent.
Enfin, le véritable triomphe de cette élection est celui de l’individualité. Qu’on l’aime ou non, Trump est un phénomène. Il a survécu aux tentatives d’assassinat, aux revers électoraux, aux accusations de coup d’État, à 34 condamnations, et à d’innombrables scandales. Pourtant, il est perçu comme un mouvement en soi — l’incarnation d’une Amérique que l’on entend rarement. Son génie réside dans la communication : chacun connaît sa position sur l’immigration, la sécurité, les relations internationales… tandis que Harris, démocrate radicale contrainte de se recentrer, a dû jongler entre affirmations et contradictions. Elle apparaît comme une ombre vacillante, définie avant tout par son soutien à l’avortement — un argument qui s’est révélé décevant. Elle a tenté d’être caméléon ; lui, s’est ancré dans ses principes. Le peuple américain, même fatigué de Trump l’homme, a choisi Trump, le principe.
Harris a misé sur le communautarisme, ciblant les femmes noires, les homosexuels et d’autres sous-groupes, tandis que Trump, lui, a été élu par le peuple. La Nation survit et prospère ; les architectes de sa déconstruction, surpris par sa résilience, pansent leurs plaies dans la honte.
Que cela serve de leçon : l’Histoire n’est pas l’œuvre de vastes forces invisibles déplaçant les hommes de façon mystérieuse. Ce sont les individus, armés de leurs principes, qui écrivent l’Histoire. Ce sont eux qui avancent et manœuvrent, qui risquent et parient, qui échouent et triomphent. Les mouvements sans leader n’existent pas ; ils sont une contradiction, privés d’incarnation. Un mouvement ne flotte pas dans l’éther mais vit dans le cœur et l’esprit des individus qui le font naître. Trump est son mouvement. Harris n’est qu’elle-même.
Louis Sarkozy, chroniqueur 21 News
(Photo : Belgaimage)