Soyons francs, si on avait dû parier sur le nom du leader socialiste qui ouvrirait en premier les portes d’une grande ville au PTB, Nicolas Martin ne serait pas arrivé parmi les favoris. Au contraire, tout ou presque sépare le mayeur de Mons et les néo-communistes : le programme, la personnalité et la culture politique. Alors, quelle mouche a donc piqué Nicolas Martin pour qu’il s’embarque pour six ans dans majorité qui regroupe le PS, Ecolo et le PTB ? L’ambition personnelle et la détestation de Georges-Louis Bouchez. Analyse.
L’Histoire nous a appris que les petites rivalités entre partis démocratiques ont souvent ouvert les portes du pouvoir aux extrémistes. Alors bien sûr, l’entrée du PTB dans la future majorité montoise ne menace pas directement notre démocratie, mais il s’agit tout de même d’un fameux tournant historique pour la Wallonie et, bientôt, pour Bruxelles.
« Nicolas Martin n’a rien d’un communiste. À part une légère tendance autoritaire et une difficulté à comprendre le fonctionnement des médias, qu’il accuse régulièrement d’incompétence ou de partialité quand ils n’abondent pas dans son sens. »
Que Catherine Moureaux, électron libre et incontrôlable du PS bruxellois, décide de négocier avec le PTB n’a rien de surprenant. Par contre, voir Nicolas Martin faire entrer les communistes au collège communal de Mons constitue un fait politique majeur, qui en dit long sur la situation et les rapports de force actuels au sein de la galaxie socialiste.
PS : un président affaibli
Nul doute que Paul Magnette a été consulté par ses élus montois avant d’officialiser cette alliance avec les marxistes. Mais un Paul Magnette au sommet de sa puissance, tant en interne que sur la scène politique wallonne, n’aurait jamais validé ce choix. Aujourd’hui, le président du PS est affaibli par les deux dernières défaites électorales et doit donner des gages aux jeunes élus ambitieux de son parti, comme Nicolas Martin, mais aussi aux piliers traditionnels socialistes, FGTB et Solidaris, qui le poussent dans les bras de Raoul Hedebouw.
Nicolas Martin, lui, n’a rien d’un communiste. À part une légère tendance autoritaire et une difficulté à comprendre le fonctionnement des médias, qu’il accuse régulièrement d’incompétence ou de partialité quand ils n’abondent pas dans son sens. Pour le reste, la gauche radicale l’ennuie, et il ne chante pas l’Internationale tous les soirs avant de s’endormir. La lutte finale, très peu pour cet ancien militant du FDF (devenu Défi aujourd’hui) qu’Elio Di Rupo avait attiré dans le giron socialiste avant de le nommer chef de cabinet du ministre-président wallon Jean-Claude Van Cauwenberghe.
Van Cau et Di Rupo, les deux mentors de Martin, ont peu de points communs sauf d’être considérés comme des sociaux-démocrates, des socialistes modérés, qui veulent concilier les luttes sociales et le développement de l’économie. Nicolas Martin s’est toujours revendiqué de ce courant de pensée devenu minoritaire dans le PS de Paul Magnette. D’ailleurs, le Montois a régulièrement fustigé la dérive du PS derrière le PTB. Alors, pourquoi les faire entrer dans sa majorité ? C’est ici que la realpolitik et les ambitions personnelles entrent en scène.
Son rêve : la présidence du PS en 2027… ou plus tôt
Nicolas Martin rêve depuis longtemps d’un destin national. Le costume de bourgmestre de Mons est un peu étroit pour lui. Lors de la campagne pour les élections législatives et régionales de juin 2024, il s’était clairement positionné comme ministrable. Malheureusement pour lui, la défaite du PS, renvoyé dans l’opposition en Wallonie et au fédéral, lui barre la route d’un gouvernement. Dans un PS sonné par la défaite, les jeunes ambitieux passent à l’offensive. Fort d’un très bon score personnel, Nicolas Martin figure au premier rang de ceux qui veulent faire bouger les choses et avoir leur mot à dire dans les stratégies du parti. Alors, quand se profilent les communales et le grand duel montois face à Bouchez, Martin se dit qu’il va montrer au parti comment on terrasse GLB, ce qui augmentera encore sa légitimité au PS.
À Mons, la campagne est d’une violence absolue, Martin et Bouchez ne s’épargnent aucun coup. Mais à la fin, malgré le bon score de la liste Mons en Mieux (celle emmenée par Bouchez) le verdict est sans appel : le PS reste largement devant, même s’il rate la majorité absolue d’une poignée de voix, et Nicolas Martin fait deux fois plus de voix de préférence que le président du MR. Il fait même mieux que Paul Magnette et Thomas Dermine à Charleroi, qui se présentent eux dans une ville deux fois plus peuplée que Mons… Les mauvaises langues diront que Martin avait organisé le vide sur sa liste mais au final, seuls les chiffres comptent. Et ils donnent des ailes au bourgmestre.
Une tripartite pour affaiblir le PTB
Seul grain de sable dans sa partition : la majorité absolue manquée pour un siège et quelques votes. Cela l’oblige à devoir choisir un partenaire. La piste de Mons en mieux est écartée d’emblée, malgré les tentatives de conciliation de la ministre Galant, qui négocie les majorités avec Bouchez dans l’arrondissement. Martin a décidé qu’il lui faudrait deux partenaires, alors qu’il n’a besoin que d’un seul siège. Technique classique pour affaiblir les petits partenaires, car aucun des deux n’est indispensable à la majorité et peut donc être débarqué à tout moment. Martin rêve d’une tripartite avec Ecolo et les Engagés. Mais la leader locale des Engagés opte pour l’opposition. Martin pourrait y aller seul avec Ecolo. Mais, pour les raisons expliquées plus haut, il préfère embarquer un troisième parti et comme il pose un veto sur le MR, il ne reste que le PTB. Ici, pas question d’arithmétique, mais plutôt de stratégie politique et d’ambition personnelle.
« Si après avoir empêché la prise de Mons par GLB, Martin provoque la chute du PTB, plus rien ne l’empêchera de revendiquer tout haut ce à quoi il pense tous les matins en ne se rasant pas : la présidence du PS. »
Après avoir terrassé le « dragon GLB », Martin veut montrer à ses amis socialistes qu’il va faire tomber le PTB et la meilleure manière de nuire aux communistes est de les embarquer dans une majorité où leur poids (4 sièges) est non seulement faible par rapport au PS, mais surtout pas nécessaire. Nicolas Martin pourra les éjecter quand il le souhaite et si les communistes claquent la porte, la majorité tiendra toujours. Le bourgmestre pourra toujours dire que le PTB n’est décidément pas un parti fiable.
Tout cela est cousu de fil blanc, tellement gros qu’on se demande pourquoi le PTB et Ecolo ont accepté de figurer dans cette pièce au scénario si limpide. Bref, si après avoir empêché la prise de Mons par GLB, Martin provoque la chute du PTB, plus rien ne l’empêchera de revendiquer tout haut ce à quoi il pense tous les matins en ne se rasant pas (il porte la barbe) : la présidence du PS.
Magnette-Hedebouw : qui va manger qui ?
Opportuniste, Nicolas Martin a aussi compris que Mons ne serait pas la seule commune où le PS risque d’embarquer le PTB. Il a donc voulu prendre tout le monde de vitesse et apparaître comme celui qui ouvre une nouvelle ère, à plus forte raison dans une ville aussi importante que Mons.
Pour le reste, la vie risque de ne pas être rose tous les jours dans la future coalition montoise. On vous passe les relations avec les banques et le gouvernement wallon, qui s’annoncent difficiles. La majorité subira d’autres interférences. Raoul Hedebouw pilotera ses élus locaux à distance, avec l’aide de ses deux généraux hennuyers, Sofie Merckx et Germain Mugemangango. Et si les majorités PS-PTB se multiplient un peu partout en Wallonie et à Bruxelles, on assistera alors à un affrontement entre Paul Magnette et Raoul Hedebouw, car il semble évident que cette alliance est opportuniste et tactique pour les deux partis : le PS veut mouiller le PTB et montrer aux électeurs de gauche qu’il ne sont pas taillés pour l’exercice du pouvoir. Quant aux communistes, ils veulent briser cette image de parti qui reste au balcon, qui renforce l’idée d’un vote inutile. Mais une chose est sûre : les deux formations ne sortiront pas renforcées par cette idylle ; l’une d’entre elles y laissera forcément des plumes. Magnette ou Hedebouw ?
V. S.
(Photo Belgaimage : l’hôtel de Ville de Mons)