Les hoquets de l’Arizona sur les soins de santé, la fiscalité sur les bas salaires et l’élection de Donald Trump. Autant de points d’actualité que nous avons souhaité soumettre à l’économiste Étienne de Callataÿ, Chief Economist d’Orcadia Asset Management.
21 News : Quels facteurs de blocage les plus importants relevez-vous dans la composition d’une nouvelle majorité au niveau fédéral ? Il semble que cela soit surtout la santé. Les socialistes flamands et les Engagés doivent-ils, pensez-vous, lâcher davantage de lest en la matière ?
Étienne de Callataÿ : La santé constitue sûrement un thème important dans le cadre des négociations, et c’est un poste budgétaire ; c’était en tout cas une considération majeure dans le programme des Engagés. Ceci étant, ce n’est pas parce que c’est un pan important du budget qu’il ne faut pas y toucher. On a en tout cas tellement d’exemples d’inefficacité dans la gestion de la santé publique qu’il semble déraisonnable d’augmenter son budget (10% du PIB) sans se pencher, justement, sur ces inefficacités.
« On pense que le monde nous envie notre système de santé »
21 News : Dispose-t-on justement d’études qui se penchent sur la façon dont les pays limitrophes gèrent leurs soins de santé et qui permettraient d’améliorer notre propre efficacité en ce sens ?
É. de C. : Il existe en effet un certain nombre d’études internationales. Et c’est toujours très sage de s’en inspirer, d’arrêter de croire que nous avons tout compris et que nous sommes meilleurs que les autres. Aux États-Unis, par exemple, ce n’est pas bon ; on dépense en effet beaucoup plus que chez nous pour une espérance de vie qui y est plus basse. On pense souvent que le monde entier nous envie notre système de santé, mais je ne suis pas certain que cela soit vrai. Il est loin d’être parfait. De un, l’espérance de vie en Belgique n’est pas particulièrement élevée, même si elle dépend d’autres facteurs comme l’alimentation ou la pratique sportive. De deux, la quote-part du financement personnel dans les soins de santé est relativement élevée chez nous – plus qu’en France en tout cas. Enfin, on ne tient pas compte de rendre les remboursements plus compliqués pour les gens qui pratiquent des activités dangereuses, comme le ski, ou qui pêchent par franche irresponsabilité, comme rouler en scooter sans casque, ou que sais-je ? Or, certains « basiques » comme les lunettes ne sont pas indemnisées. Comment peut-on tolérer cela sur le plan éthique ?
« Le marché belge du travail ne fonctionne pas bien »
21 News : Parlons un peu de la réforme du marché du travail telle qu’annoncée par le futur gouvernement. Que pensez-vous de concept tels que la conditionnalité de l’aide ?
É. de C. : Le marché du travail en Belgique ne fonctionne pas bien. Une simple comparaison avec des pays voisins le prouve. Gare à la confusion avec la notion du taux d’emploi, qu’on met beaucoup en avant, mais qui ne dit pas tout, notamment sur le temps de travail de l’emploi en question, sa qualité et sa rémunération. Il faut donc être prudent par rapport à un indicateur unique. Ceci dit, le marché du travail en Belgique ne fonctionne pas bien ; le taux de chômage est revenu dans des normes internationales, mais nous avons un problème en termes d’incapacité de travail, d’invalidité, de personnes qui sont en dehors du marché du travail depuis trop longtemps. Nous avons aussi un problème avec tous ces jeunes qui ne sont pas dans l’emploi, aux études ou en formation ; et ce phénomène semble d’ailleurs sous-estimé. Le côté illimité dans le temps des indemnités de chômage, si elles n’empêchent pas de mener des politiques sociales à plus grande échelle, devraient aussi être envisagée chez nous. Il ne faut pas non plus attendre des miracles de telles mesures. Les études faites en ce sens montrent que cela ne va pas radicalement changer la donne. Le débat politique ne me semble en ce sens pas suffisamment bien posé. Il faut donc et surtout travailler sur les incitations financières à travailler. Aujourd’hui, il n’y a pas assez d’écart entre le « salaire-poche » de celui qui travaille et le pouvoir d’achat de celui qui ne travaille pas. C’est un problème qui conduit à la non-activité mais aussi à de l’activité en noir, et je pense que nous n’entendons pas assez les libéraux sur ce sujet. Le travail au noir est toujours, je pense, inacceptable. Le monde patronal doit en ce sens procéder à certains changements. Enfin, il a y encore à ce jour une non-prise en compte du caractère dangereux de certains métiers, comme le fait de travailler la nuit, ce qui est nocif pour la santé. Les cotisations sociales liées y devraient être plus lourdes alors qu’elles sont plus légères. Cela incite les employeurs à créer du travail de nuit, qui n’est pas sain pour la santé des travailleurs.
« Pour les personnes qui sont dans les tranches de 30.000 à 40.000 euros par an, il convient de faire quelque chose »
21 News : Vous parliez dans La Libre dernièrement d’un système fiscal belge « fondamentalement vicié ». Pourriez-vous détailler ?
É. de C. : Imaginons que des gens aillent coloniser la Lune et soient obligés d’inventer un système fiscal. Je ne parviens pas, même dans mes rêves les plus fous, à imaginer qu’après étude de tous les systèmes fiscaux mondiaux, un seul leur semble évident, juste, et que ce soit le système fiscal belge. Notre système fiscal est mauvais. Le problème est que nous préférons un vieil impôt auquel nous nous sommes habitués que la perspective d’une réforme fiscale. Qui, en Belgique, peut trouver que notre système d’impôt sur le travail est intelligent, avec ses taux marginaux de taxation qui sont beaucoup trop rapidement beaucoup trop élevés ? Un taux marginal de 40% lorsque vous gagnez 20.000 euros par an, vous imaginez ? Ce qui est choquant en Belgique, ce n’est pas que la personne très nantie paye beaucoup d’impôt, c’est que la classe moyenne inférieure sur l’euro additionnel en paye vite beaucoup trop. C’est tout à fait choquant et doit être modifié rapidement. C’est cela qui est un dérangeant dans la super note de Bart De Wever : c’est qu’on fait un cadeau plutôt dans le haut des revenus alors que la priorité n’est pas que sociale. Pour les personnes qui sont dans les tranches de 30.000 à 40.000 euros par an, il convient de faire quelque chose. Alors bien sûr cela coûte beaucoup d’argent, mais c’est là que l’éthique et l’économique se rejoignent pour nous amener à dire qu’il faut faire quelque chose.
21 News : Quelles conséquences auront, pensez-vous, l’élection de Donald Trump sur les échanges mondiaux ? Faut-il craindre, pensez-vous, des barrières tarifaires imposées aux produits européens vers les États-Unis ?
É. de C. : Certes, beaucoup d’économistes pensent que tout ce qui est mauvais pour le commerce international est « mauvais tout court », et inversement. Il ne faut toutefois pas exagérer l’impact sur le bien-être de la population occidentale de l’intensification des échanges internationaux. Cela a certes pu permettre d’acheter peu cher des produits en Chine, mais il faut aussi considérer le coût social ou sociétal que cette globalisation a pu avoir, aussi d’un point de vue environnemental. Que faut-il attendre de Trump ? À cause du relèvement des taux de douane imposés par les États-Unis à la Chine, les Chinois vont sans doute chercher à écouler davantage en Europe, ce qui fera que leurs produits seront moins cher chez nous. L’Europe sera donc amenée à prendre des mesures protectionnistes elle aussi.
Entretien : Maxence Dozin
(Photo : Belgaimage)