Maëlie Kate Jalali vit actuellement au Québec. Juriste, « Belge de cœur mais Iranienne de sang », elle commente pour 21 News la situation dans son pays d’origine, qu’elle a quitté en 1986. Un témoignage sans concession contre le régime des mollahs et la lâcheté d’une certaine gauche occidentale.
21 News : Vous êtes d’origine iranienne, comment percevez-vous le régime actuel en Iran ? Il a été secoué par de fortes protestations. Est-il fragilisé ?
Maëlie Kate Jalali : Certains Iraniens, comme moi, qui ont quitté l’Iran très jeunes et tôt après la révolution, ont grandi avec l’idée que le régime des mollahs n’est ni légal ni normal. Aujourd’hui, en approfondissant ma recherche sur l’Iran, je suis convaincue de cette réalité et de la complexité des événements de 1979, souvent déformés ou mal interprétés. Il faut comprendre que la révolution islamique de Khomeini n’est pas le résultat d’un mouvement populaire, mais le produit de manipulations par diverses forces, internes et externes. On parle de groupes armés formés à l’extérieur, notamment en Libye et par l’OLP de Yasser Arafat. On parle aussi de groupes marxistes, pro-soviétiques, en contact direct avec Moscou. Le Shah d’Iran appelait cela « l’alliance du rouge et du noir » – le communisme et l’islamisme – qui ont exploité la naïveté de la population. Cette alliance invraisemblable perdure aujourd’hui sous d’autres formes en Occident. On parle aussi d’une sorte d’ingérence occidentale : le Canada et les États-Unis ont reconnu le régime islamique de manière précipitée, et l’administration Carter aurait même facilité l’orchestration de la révolution.
Depuis son avènement, le régime islamique tente de se construire une image de normalité et de légitimité, promues par certains experts ou sympathisants, alors que c’est trompeur. Les Iraniens en sont conscients et nous montrent leur volonté, au péril de leur vie : renverser la République islamique. Le régime a ainsi perdu toute légitimité, et est réellement fragilisé. Il est temps de dire les choses clairement : le régime islamique est une force d’occupation utilisant l’Iran comme base militaire et comme plateforme de lancement d’un califat islamique chiite. Les preuves sont claires, notamment dans le préambule de sa Constitution – dont la validité est contestée – qui affirme son intention d’exporter la révolution islamique et de créer une communauté universelle. Mais ces ambitions sont celles du régime, non celles de l’Iran.
21 News : Comment voyez-vous les frappes d’Israël sur l’Iran ? Pourraient-elles s’intensifier et provoquer un changement de régime ?
M. K. J. : Personne ne souhaite voir une guerre en Iran. Le peuple iranien, pacifique, aspire à des relations amicales avec Israël et ses voisins arabes. Nous comprenons aussi qu’Israël ne fait que répondre aux agressions répétées des proxys du régime islamique et à la guerre déclenchée par ce régime depuis le pogrom du 7 octobre. Le Prince héritier en exil a parfaitement décrit la situation : ce n’est pas la guerre de l’Iran, mais celle de Khamenei. Le régime islamique est et restera le responsable principal de l’instabilité et des conflits régionaux.
« Israël pourrait stratégiquement créer une opportunité pour les Iraniens de libérer l’Iran eux-mêmes »
Israël a le droit de se défendre, et nous n’avons aucun contrôle sur sa décision, mais il faut aussi souligner qu’une victoire militaire seule ne suffira pas. Il est essentiel qu’Israël vise une victoire politique : un Iran libre pourrait redevenir un « îlot de stabilité », selon le président Carter en 1978, et, en raison de leurs liens historiques et culturels, devenir l’allié et le partenaire stratégique d’Israël. La véritable victoire politique d’Israël résiderait donc dans l’établissement de relations solides avec un Iran libéré – ce qui dépendra de la manière dont les frappes affecteront l’Iran. Israël pourrait stratégiquement créer une opportunité pour les Iraniens de libérer l’Iran eux-mêmes, sans pour autant fragiliser le pays.
Finalement, la transition politique idéale reposerait sur un processus légal et le leadership du prince héritier en exil, Reza Pahlavi, à la tête d’un mouvement démocratique, laïque et patriotique. Sa Majesté Reza Pahlavi est l’unique alternative capable d’éviter un vide de pouvoir, de rallier et de diriger les forces armées en vertu de son rôle de commandant en chef conféré par la constitution pré-1979, et ainsi faire de l’Iran un acteur principal pour la stabilité régionale et la coopération internationale.
« Le combat admirable des femmes écrase le discours religieux et la légitimité du régime »
21 News : De nombreuses femmes se battent en Iran contre le port du voile et pour leurs libertés. Ce mouvement va-t-il persister et a-t-il des chances d’aboutir ?
M. K. J. : Les femmes iraniennes incarnent un véritable symbole de courage. Dès 1979, elles ont commencé leur contestation contre le voile obligatoire imposé par Khomeini, et n’ont pas cessé depuis. Par ces actes de bravoure, elles montrent la résistance des Iraniennes face au symbole le plus visible de la misogynie et de l’oppression, que Reza Shah le Grand avait interdit en 1936. L’abolition du voile visait à libérer les femmes de la pression religieuse, mais aussi des contraintes sociales et familiales, et ainsi, les soutenir par le biais de la loi.
Le combat admirable des femmes écrase le discours religieux et la légitimité du régime. Avec cette détermination, ce mouvement continuera jusqu’à la libération de l’Iran. Cependant, il faut comprendre deux choses. D’abord, la lutte des femmes ne se limite pas au voile obligatoire, ni au choix de le porter ou non. Le voile n’est qu’une conséquence de la domination du régime et de l’islamisation de l’Iran. Les femmes et les hommes de l’Iran sont à bout ; c’est tout le système de la République islamique qui est visé.
Ensuite, malgré la signification et la force de cette lutte féminine, elle ne pourra à elle seule provoquer la chute d’un régime aussi répressif. Combien de femmes devront encore tomber sous les coups de la police des mœurs ? Combien devront subir la discrimination et l’oppression du régime ? Combien devront être emprisonnées et torturées ? D’où l’importance d’éliminer cette oppression à sa source, et donc de retirer la République islamique de l’Iran. Ce qui nécessite un soutien international.
« La gauche iranienne, empreinte de marxisme, a sacrifié les droits fondamentaux des femmes iraniennes »
21 News : Comment jugez-vous le regard des féministes européennes notamment de gauche par rapport aux révoltes des femmes iraniennes ?
M. K. J. : Les féministes « traditionnelles », ont soutenu les femmes iraniennes, et je les remercie pour leur solidarité. En revanche, le problème de l’extrême gauche iranienne et occidentale ne date pas d’hier. C’est un phénomène que nous, iraniens, connaissons bien depuis 1979, car elles ont toutes deux contribué à l’ascension des islamistes.
La gauche iranienne, empreinte de marxisme, a sacrifié les droits fondamentaux des femmes iraniennes, notamment en sabotant la grande manifestation anti-voile de mars 1979, pour atteindre ses propres objectifs lors de la révolution islamique. Ces droits avaient été obtenus sous la monarchie Pahlavi, libératrice de l’Iran et de ses femmes. Aujourd’hui, la tentative de l’extrême gauche de s’approprier ce combat en se positionnant comme seule représentante des femmes, tout en dénigrant les partisans d’une monarchie constitutionnelle, est ahurissant.
La gauche intellectuelle occidentale, surtout française, a également trahi les Iraniens et les Occidentaux en soutenant un Ayatollah, Khomeini, celui qui a fini par répandre l’obscurantisme dans le monde. Citons l’article publié dans Le Monde qui affirmait, avant même la prise du pouvoir de Khomeini : « Nous devrions tous, je l’espère, nous sentir un peu chiites ». Jean-Paul Sartre a fait la promotion de Khomeini ; Yann Richard l’a présenté aux Français avant de s’engager dans un komiteh en Iran, ces groupes armés, en quelque sorte à l’origine du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, semant la terreur parmi la population.
Aujourd’hui, les femmes iraniennes se sentent parfois incomprises, et leur combat dénaturé par une certaine gauche qui a oublié les valeurs féministes. Le voile est normalisé, voire poétisé, dans les médias, les publicités et même les programmes universitaires, comme à Bruxelles. Certaines politiciennes arborent le voile face aux représentants du régime des Ayatollahs, et soutiennent d’une certaine façon ses proxys depuis les attaques du Hamas. Il est difficile d’aborder la question du voile et de son utilisation dans l’islam politique sans être accusé d’islamophobe. Ce qui est aberrant pour des Iraniennes et leur vécu. Surtout quand la plus fervente défenseuse d’un Iran laïque, Fatemeh Sepehri, est une femme voilée et monarchiste, qui d’ailleurs croupit en prison sans aucune couverture médiatique.
Finalement, les Iraniennes mènent un double combat. Celui de libérer l’Iran du joug islamique et d’empêcher cette même islamisation de leur pays d’accueil. Ce combat est visiblement plus nécessaire que jamais au vu de la situation politique et sociale en Occident.
« Il faut soutenir le Prince Reza Pahlavi comme partenaire de paix »
21 News : Comment le peuple occidental peut-il aider le peuple iranien ? Que devraient faire les dirigeants occidentaux selon vous ?
M. K. J. : Le peuple occidental peut continuer à porter la voix des Iraniens qui luttent pour leur liberté et le droit de choisir leur forme de gouvernement. Mais pas que pour les Iraniens. L’islam politique s’est propagé dans le monde après l’occupation de l’Iran, et l’instabilité régionale causée par le régime des Ayatollahs a un impact sur l’immigration massive et le terrorisme international. Le sort de l’Iran a donc des répercussions mondiales, et il faut en faire une cause globale.
Les dirigeants occidentaux doivent aller au-delà de simples déclarations ou tweets, cesser toute négociation avec le régime et respecter la volonté du peuple iranien. La politique d’apaisement ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais avec ce genre de régime, tout comme les régimes hitlérien et soviétique. De la même manière, l’Iran a besoin d’un soutien international pour apporter démocratie et laïcité, dans l’intérêt de tous. Une politique de changement de régime est donc essentielle. Le retour du Président Trump et sa politique ferme et effective vis-à-vis du régime offrent une dernière chance de réaliser ce changement. Mais attention, soutien ne veut pas dire intervention. Il faut bien distinguer ces termes. Pour cette transition, il faut soutenir le Prince Reza Pahlavi, qui a récemment tendu la main en tant que partenaire de paix, comme représentant légitime et légal des Iraniens – un premier pas qu’Israël a déjà initié.
Désormais, il est clair que la désinformation sur la dynastie Pahlavi a été largement diffusée par le régime, expert en manipulation, et par l’extrême gauche. Les Pahlavis, amis de la famille royale belge, incarnent le passé glorieux et l’avenir prometteur de l’Iran. J’espère que la Belgique, mon pays d’accueil et d’adoption, sera le premier pays européen à devenir partenaire de paix dans cette opportunité historique de libérer l’Iran, et de contribuer à changer ce désastreux statu quo mondial.
La rédaction
(Photo © Icana News Agency : le président du Parlement iranien Mohammad Ghalibaf, 10 novembre 2024)