L’interdiction des suppléments d’honoraires pendant les heures de bureau a engendré une radiologie à deux vitesses. Ceux qui acceptent de payer un supplément d’urgence de 50 euros ou plus sont immédiatement pris en charge pour des scanners ou des radiographies. Ceux qui ne paient pas de supplément doivent attendre des semaines, voire des mois. Des diagnostics tardifs ont des effets négatifs sur la santé. Néanmoins, Solidaris se félicite car ses membres ont payé onze millions d’euros de moins pour les scanners. Analyse.
La mutualité socialiste Solidaris a lancé une campagne samedi dernier concernant les suppléments d’honoraires en imagerie médicale. Sur X, Solidaris affirme que les patients paient moins de suppléments pour les examens d’imagerie médicale, économisant ainsi onze millions d’euros, grâce à l’interdiction partielle des suppléments en vigueur depuis décembre 2023. « Les membres de Solidaris ont vu leurs coûts pour les suppléments d’honoraires des scanners CT et IRM réduits de moitié. »
Le secrétaire général de Solidaris, Paul Callewaert, a déclaré : « Nous sommes satisfaits de cette baisse. En revanche, nous regrettons que certains hôpitaux tentent de compenser cette nouvelle règle en appliquant plus fréquemment d’autres suppléments plus élevés. Nous allons dialoguer avec ces hôpitaux pour discuter en détail de nos constats. »
Une campagne aux objectifs politiques
Cette explication est correcte, mais l’agenda derrière cette campagne sert un autre but. La campagne vise à soutenir la politique du ministre fédéral Frank Vandenbroucke (Vooruit). Cette action n’est pas déconnectée des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement fédéral.
De plus, il s’agit d’un dossier symbolique, né d’une enquête de facturation menée par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) de la SPF Santé publique. Cependant, cette enquête comporte des problèmes : dans un rapport récent, le KCE qualifiait cette enquête de facturation d’« échec ». Pourtant, les chiffres sur les délais d’attente en 2020 ont entraîné une réforme de la politique d’imagerie médicale.
Au cœur du problème on ne trouve pas vraiment les coûts, mais les délais d’attente. En réalité, le problème est souvent indépendant du financement de la sécurité sociale. Cela concerne généralement un montant que le patient paie lui-même ou que la mutuelle couvre par des cotisations libres. Ces contributions libres ou « petits risques » sont des remboursements que l’INAMI ne prend pas en charge. Chaque mutuelle décide ce qu’elle rembourse en plus, souvent pour des raisons commerciales afin d’attirer ou de fidéliser des membres. Il s’agit donc d’un financement provenant des caisses des mutuelles, et non de la sécurité sociale.
Une prolongation des délais d’attente
Bien sûr, il est positif que la moitié des patients de Solidaris aient payé moins. Mais cette médaille a un revers. Les délais d’attente augmentent car les patients doivent se présenter avant ou après les heures de bureau dans un hôpital sur deux, permettant aux hôpitaux de préserver leurs revenus. L’augmentation d’une partie des délais d’attente semble être la conséquence d’une politique symbolique du ministre.
Les chiffres de Solidaris concernent uniquement ses membres, mais qu’en est-il des autres Belges ? Il paraît que des statistiques existent. Une étude ancienne du SPF Santé publique indique que 38 % des patients doivent attendre plus de deux semaines pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, avec 28 millions de consultations annuelles chez des spécialistes. Les délais d’attente sont structurels, particulièrement pour les examens d’imagerie médicale (notamment les IRM). Cette étude a conduit à l’introduction d’un nouvel indicateur pour les IRM par le Conseil national de la Promotion de la Qualité.
Les hôpitaux, qui se disent sous-financés, ont réagi en introduisant un nouveau supplément d’urgence, facturé pour les consultations en dehors des heures de bureau. La plupart des hôpitaux ont instauré un nouveau système de rendez-vous pour les examens d’imagerie médicale, permettant désormais aux patients de passer une IRM à l’aube, en soirée ou la nuit.
Un effet pervers sur les patients plus défavorisés
L’interdiction des suppléments d’honoraires peut générer des économies, mais pas pour un patient sur deux. On appelle cela un effet pervers. Cette politique symbolique frappe les patients ayant des difficultés d’accès à des soins abordables, car ils subissent des délais d’attente supplémentaires. Les études montrent que les délais d’attente en imagerie médicale ont un impact négatif sur la santé.
Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) de la SPF Santé publique a récemment publié un rapport intitulé : « Temps d’attente dans les soins de santé : comment les mesurer ? » Un rapport volumineux de 230 pages, qui s’interroge dès l’introduction : « Un délai d’attente entre une première consultation et une opération programmée est souvent acceptable, parfois même utile. Mais est-il acceptable que certains patients attendent des semaines pour voir un spécialiste, alors que leur pronostic dépend de la rapidité des soins ? »
Le KCE se montre critique. La première critique est que, contrairement aux autres pays de l’OCDE, la Belgique ne mesure pas les délais d’attente. L’objectif du rapport est de déterminer si ces mesures doivent être mises en place et comment. Des analyses peuvent être effectuées via les données de facturation, comme le fait l’Observatoire de la mobilité des patients, créé par l’INAMI et la SPF Santé publique. Une augmentation des délais d’attente a été constatée en 2010 et 2015 pour tous les types d’imagerie médicale, avec des disparités régionales.
« Une médecine à deux vitesses est-elle acceptable si elle permet aux mutuelles ou à la sécurité sociale de réaliser des économies ? »
Le KCE se concentre particulièrement sur l’imagerie médicale : « La mesure des délais d’attente doit surtout concerner les équipements de diagnostic qui nécessitent une programmation. » Il a été souligné que les longues attentes pour certains examens d’imagerie, comme les échographies, incitent parfois à recourir à un scanner abdominal, disponible plus rapidement, au détriment de la qualité du diagnostic.
Le KCE appelle à examiner les conséquences sur les patients et le financement des soins de santé.
En conclusion, si les membres de Solidaris ont peut-être économisé onze millions d’euros grâce à la politique de Frank Vandenbroucke (Vooruit), il est essentiel de s’interroger sur l’impact de cette politique sur les délais d’attente, la santé des patients, le financement des hôpitaux et le revenu des spécialistes. Une médecine à deux vitesses est-elle acceptable si elle permet aux mutuelles ou à la sécurité sociale de réaliser des économies ?
Lode Goukens
(Photo Belgaimage)