Mons en 2028. La Ville est (dans le) rouge. L’arrivée du PTB à des postes exécutifs a causé un bouleversement dont personne, au PS, n’avait perçu l’ampleur. Avertissement au lecteur : ce texte est une fiction, une uchronie signée Sophie Flamand.
Quatre ans plus tard, les Montois se souvenaient toujours de cette année 2024. C’était à ce moment que, après des décennies de coûteux socialisme, une éclaircie libérale s’était dessinée. Mais le ciel s’était rapidement ré-assombri car le PS, qui ne disposait plus de majorité suffisamment confortable et rassurante, outrepassa la ligne rouge. Pourtant fervents thuriféraires du « cordon sanitaire », qui consiste principalement à empêcher les formations politiques dissidentes d’accéder à des exécutifs, les socialistes avaient franchi le Rubicon, avalé sans difficultés leurs mâles engagements de ne jamais, au grand jamais, s’allier avec un parti extrémiste et avaient fait entrer le PTB au Collège.
Les communistes eux-mêmes n’en revenaient pas ! Ils allaient pouvoir mettre leur programme à exécution !
Leur principale préoccupation était le logement social. Chacun ses petites marottes. Ils en firent construire, aux frais, bien entendu, du contribuable, plusieurs centaines, mis à disposition de leurs inféodés et se créant au passage de nouveaux obligés. Dans la même optique, et toujours aux frais du contribuable de plus en plus lessivé, ils en rénovèrent plusieurs milliers. Les logements privés se raréfiaient. Ils se raréfiaient d’autant plus qu’une nouvelle mesure de nos maoïstes du Lumeçon exigeait, sans la moindre vergogne, que 10% de tout nouveau projet immobilier soit lui aussi consacré au logement social. Ça faisait beaucoup de socialement logés, mais de moins en moins de contribuables.
« Quant au SHAPE, base européenne de l’OTAN, elle ne parvenait pas oublier qu’elle avait été créée précisément pour lutter contre le communisme »
Ça en faisait d’autant moins que les entreprises privées rechignaient à s’installer dans le Borinage et celles qui y étaient déjà implantées organisaient peu à peu leur déménagement vers des cieux moins incertains. Les impôts locaux toujours en hausse, l’administration tatillonne, les parfums de corruption et la gare perpétuellement en chantier détournaient les investisseurs, devenu frileux. Quant au SHAPE, base européenne de l’OTAN, elle ne parvenait pas oublier qu’elle avait été créée précisément pour lutter contre le communisme. Bref, les emplois disparaissaient les uns après les autres, grossissant ainsi la file, pourtant déjà longue, des allocataires de tous ordres. Après tout, le bolchévisme et les files, c’est une histoire bien connue.
TéléMB, rebaptisée TéléMao, diffusait des émissions laconiques à la gloire des dirigeants et retransmettait les contritions publiques des dissidents dans les nouveaux tribunaux populaires installés dans chaque bloc d’immeubles sociaux. Il faut dire que les murs en carton de ces minuscules appartements favorisaient le contrôle social et la délation qui était devenue un devoir moral.
« Seul le service psychiatrique tournait à plein régime »
Le CHU Hélora, l’hôpital de Mons, était en faillite mais de toute façon, les Montois n’avaient plus les moyens de se soigner. Seul le service psychiatrique tournait à plein régime, les autorités y envoyant à tour de bras les opposants, dont ils payaient les « soins ». De toute façon, les Montois n’avaient plus besoin de se soigner car ils n’étaient plus jamais malades ; au premier éternuement, le Collège imposait le port du masque à toute la population.
Le prix des denrées avait explosé car les terrains agricoles avaient été transformés en habitats collectifs ou en fabriques de vélos. Mais les habitants se consolaient en fréquentant la bibliothèque municipale. Certes, celle-ci avait été expurgée et l’on n’y trouvait plus la moindre trace de Balzac, d’Alain Finkielkraut, de Jean d’Ormesson, de Philippe Muray, d’Arthur Koestler ou de Martine. Mais l’on pouvait s’y délecter des parutions récentes, telles « Le vagin rouge » de Virginie Pesdentes, « Le chat écarlate » de Philippe Gerluque ou encore « Le rouge et le vert » d’Aymeric Caron de Jambes.
Le programme scolaire avait également été revu, vantant l’art de vivre en URSS, glorifiant à l’envi la longue marche en Chine et réhabilitant le brave Pol-Pot. À l’entame de la journée, une ode à Che Guevara retentissait dans chaque école.
À cela, il fallait ajouter le petit appoint Ecolo dans le nouvel exécutif. Les Montois, privés de revenus et spoliés de toute propriété privée, n’avaient de toute façon plus les moyens de s’acheter une voiture, mais ils bénéficiaient par contre de pistes cyclables, larges et nombreuses et perpétuellement encombrées de vélos. On se serait cru à Pékin à la fin des années ’70.
Ce qui, en 2028, tenait encore les Montois debout, c’était les élections qui se profilaient pour 2030. Quoiqu’il se soit sinistrement passé en 2024, à Mons ou à Molenbeek-Saint-Jean, ils pressentaient que l’oppression communiste serait pour longtemps renvoyée aux oubliettes de l’Histoire.
Et au milieu, alimentée par la Trouille, coulait la Haine.
Sophie Flamand
(Photo Belgaimage : le Doudou 2024)