Le Département pour l’Efficacité gouvernementale (DOGE – Department Of Government Efficiency), récemment annoncé par le président élu Donald Trump, se veut une initiative radicale pour réformer la machine bureaucratique américaine. À sa tête, deux figures emblématiques : Elon Musk, le serial-entrepreneur aux mille projets, et Vivek Ramaswamy, entrepreneur lui aussi, ancien candidat présidentiel et fervent défenseur des réformes structurelles. Le projet, de loin le plus ambitieux du mandat de Donald Trump, soulève autant d’espoirs que de scepticisme.
Une ambition inédite : supprimer pour reconstruire
L’objectif affiché du DOGE est sans détour : éliminer les agences fédérales jugées inutiles ou redondantes (de plus de 400 à moins de 100) et réduire drastiquement les effectifs publics (de plusieurs centaines de milliers, dans un pays de 346 millions d’habitants). Selon Ramaswamy, certaines agences pourraient être purement et simplement supprimées, une approche inspirée par les licenciements massifs opérés par Musk lors de son acquisition de Twitter. L’idée est de replacer chaque département sous une loupe d’efficacité, en évaluant sa réelle contribution à la société. Musk qualifie cette démarche de « révolution bureaucratique », une expression qui incarne sa volonté d’introduire des pratiques issues du secteur privé dans l’administration publique. Musk et Ramaswamy estiment que ces mesures permettront d’économiser jusqu’à 2 000 milliards de dollars, soit près d’un tiers du budget fédéral annuel (somme réduite à 500 milliards dans la tribune signée par Musk au Wall Street Journal et période allongée à deux ans d’ici l’anniversaire des 250 ans de la Déclaration d’Indépendance le 4 juillet 2026).
L’initiative vise également à intégrer des technologies avancées, telles que l’intelligence artificielle et l’automatisation, pour alléger les processus administratifs et rendre les services publics plus accessibles aux citoyens. Cette transformation n’est pas simplement une chasse au gaspillage : c’est une tentative de modernisation profonde pour rendre l’État plus efficace. Nul doute qu’elle fera des émules en Europe.
Rationaliser la régulation : les régulateurs financiers dans le viseur
Le projet DOGE entend également s’attaquer aux chevauchements des missions dans des agences clés, comme la Securities and Exchange Commission (SEC) et le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB). Ces organismes, qui jouent un rôle crucial dans la régulation des marchés financiers et la protection des consommateurs, pourraient être fusionnés ou restructurés. Cette démarche viserait non seulement à réduire les duplications réglementaires, mais aussi à renforcer la compétitivité économique des États-Unis.
Musk et Ramaswamy prônent une approche où chaque dollar fédéral dépensé doit répondre à une logique claire d’efficacité. Ils ciblent également les subventions jugées superflues, telles que les 1,5 milliard de dollars alloués annuellement à des organisations internationales, ou encore les financements destinés à des programmes locaux comme ceux de Planned Parenthood.
Un leadership controversé, mais résolu
Le style de leadership de Musk, qualifié de « tronçonneuse bureaucratique » par Ramaswamy, divise. Lors d’un gala au manoir de Mar-a-Lago, résidence de Donald Trump, ce dernier n’a pas mâché ses mots en décrivant l’objectif du DOGE comme une « expulsion massive des bureaucrates non élus hors de Washington ». Une rhétorique qui séduit les partisans d’une réforme drastique, mais qui suscite des inquiétudes quant à la brutalité de son application.
La sénatrice Elizabeth Warren, opposante farouche et binaire de Donald Trump, a ironisé sur la composition de ce duo de milliardaires, remettant en question leur capacité à incarner une efficacité qu’ils prêchent avec ferveur. La compatibilité de ces ambitions avec la complexité du système fédéral américain est également mise en doute. Les observateurs avertis soulignent que Musk et Ramaswamy devront naviguer dans des méandres politiques, notamment l’approbation par le Congrès de nombreuses mesures. Ce dernier, bien qu’acquis à la majorité républicaine, semble rétif sur certains points. N’oublions pas que les USA sont un régime parlementaire et pas présidentiel.
Entre innovation et scepticisme
Le DOGE n’est pas la première tentative de rationalisation de la bureaucratie américaine. Les initiatives passées, telles que la Grace Commission sous Reagan ou la National Performance Review sous Clinton, avaient également des ambitions de réduction des dépenses et de modernisation. La première proposait 2.500 réformes dont peu furent appliquées. Celle de Clinton avait supprimé 300.000 emplois de fonctionnaires considérés comme inutiles ou redondants. Ces projets ont cependant montré que réformer le gouvernement fédéral nécessite plus qu’une simple volonté d’efficience. La complexité du système, combinée aux résistances institutionnelles, en fait un défi titanesque.
Elon Musk, souvent critiqué pour son style de gestion brusque, est perçu par certains comme mal adapté à la bureaucratie gouvernementale, où le processus prime souvent sur la rapidité ; pour d’autres, il est le mieux placé pour réussir ce pari audacieux et « dégraisser le mammouth ». Toutefois, les conflits d’intérêts potentiels sont nombreux, ses entreprises (Tesla, Space X) étant largement financées et régulées par des agences fédérales, celles-là mêmes qu’il cherche à réformer.
L’avenir du DOGE : promesse ou chimère ?
Le DOGE est sans doute l’une des propositions les plus audacieuses de l’administration Trump. Mais entre les ambitions de réduction des coûts – estimées à 2 000 milliards de dollars sur 6.000 – et la faisabilité pratique de ces réformes, le chemin s’annonce semé d’embûches. Cependant, si DOGE réussit, il pourrait marquer un tournant historique dans la gestion publique.
Quoi qu’il en soit, le tandem Musk-Ramaswamy cristallise les débats sur la place de l’innovation privée dans la gouvernance publique. La « révolution bureaucratique » qu’ils prônent ouvre la porte à une réflexion essentielle : entre « État obèse » collectiviste et « L’État n’existe pas » de Margareth Thatcher, comment réinventer un État pour le XXIe siècle ? That is the Question…
Nicolas de Pape
(Photo Belgaimage)