La fraude existe depuis longtemps… y compris en politique. Les cas révélés au CPAS d’Anderlecht ne sont pas isolés, on l’a dit été répété. Merry Hermanus révèle quelques choses vues et s’interroge sur les pratiques en vigueur, à Bruxelles, pour décrocher le pouvoir. Et s’y maintenir.
Y a-t-il vraiment lieu de s’étonner ? La fraude, la tricherie existe depuis la nuit des temps. Je songe souvent à cet extraordinaire tableau de Georges de la Tour « Le Tricheur à l’as de carreau ». L’œuvre date de 1636, on y voit l’un des joueurs cachant une carte derrière son dos, tout est dit !
Il est plus intéressant de tenter de comprendre pourquoi on triche, qu’est-ce qui conduit des candidats ou des mandataires à franchir la ligne rouge.
Deux beaux exemples
On se rappellera, il n’y a pas si longtemps, ce bourgmestre CDH à l’avenir prometteur, qui fut condamné pour des manipulations visant les procurations, organisées avec sa femme et sa fille.
Il y a plus longtemps, aussi condamné, ce militant du PS qui au dépouillement, s’était coincé une mine de crayon rouge sous un ongle et ainsi « votait » PS sur tous les bulletins blancs.
L’opacité des procurations
Il est évident, pour tous ceux qui observent depuis longtemps le déroulement des élections, que les procurations constituent une zone opaque et que des questions se posent sur la façon dont elles sont obtenues, réparties et exécutées.
Ainsi, dans une commune bruxelloise, depuis de nombreuses années, un militant politique qui, professionnellement, est impliqué dans les maisons de repos et de soins, en période électorale, récolte – comment ? – des centaines de procurations, qu’ensuite, il répartit entre les membres de son parti. Les personnes âgées ou très, très âgées étaient-elles conscientes au moment de la signature de ladite procuration ? Une consigne de vote a-t-elle été donnée par cette personne ? Si oui, qui saura jamais si elle sera respectée ? On peut en douter quand celui qui « récolte » les procurations est mandataire politique et n’agit qu’en faveur de son parti.
Or, ce que je viens de décrire ci-dessus est très courant, chacun le sait, tous ferment les yeux. Mais je le répète, le plus important, c’est la raison pour laquelle on triche.
Un échevin dans une commune moyenne ? Plus de 4.000 euros net
Elle est simple : à Bruxelles, la rémunération des mandats atteint des sommets. Après une première et gigantesque revalorisation entre 2000 et 2006, une seconde a suivi et une troisième interviendra début décembre de cette année.
Il est curieux que les chiffres soient si peu connus des citoyens. Un échevin ou un président de CPAS dans une commune moyenne gagne facilement plus de 4.000 euros net. Les bourgmestres obtenant largement plus. Pour les communes plus importantes, ces montants sont confortablement augmentés – j’évoque ici Bruxelles-Ville, Molenbeek, Anderlecht et Schaerbeek, où des sommets sont atteints.
À cela vous pouvez ajouter les mandats dans les intercommunales et autres organismes où la commune est représentée. Certains de ces mandats, dans les organismes de logement sociaux ou ceux concernant les énergies, eau, gaz, etc. se montent à une somme plus que rondelette. Leur répartition fait l’objet d’âpres discussions, on peut le comprendre. Certains jetons de présence dépassent 650 euros par séance.
Le mandat politique comme planche de salut
Or, si vous prenez en compte une analyse sociologique du personnel politique, vous observez immédiatement que l’immense majorité d’entre eux à Bruxelles n’aurait jamais pu espérer, dans leurs activités professionnelles, atteindre de tels montants. Et, je veux souligner et insister que ce que j’explique ici vaut pour tous les mandataires, quelle que soit leur origine ethnique. C’est une observation générale.
Le plus souvent, j’observe qu’avant d’être mandataires, la plupart n’exerçaient pas un métier épanouissant et rémunérateur. Certains même n’avaient jamais travaillé. Dès lors, le mandat politique constitue une planche de salut vitale. C’est tout leur niveau de vie, leur statut social qui en dépend. La plupart des élus bruxellois sont dans une situation bien différente de celui ou celle qui, disposant d’une vraie qualification, d’une profession aussi épanouissante qu’enrichissante, et qui n’étant plus élu, reprend sans problème son métier précédent.
Cela change la donne… et le climat d’une élection.
Il est curieux que personne ne réfléchisse au différentiel qui existe entre les rémunérations dans le secteur privé et le montant des mandats. Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir à quel niveau de responsabilité se situe dans le privé une personne bénéficiant d’un traitement aussi élevé que celui de nos élus ? Et pire, encore, l’état des communes bruxelloises démontre que nos élus échouent lamentablement dans leur gestion. Que se passerait-il dans le privé ?
L’école de la démocratie et le militantisme disparus
Il y a encore un autre facteur tout aussi, si pas plus fondamental. La démocratie telle que nous la connaissons fut une longue et souvent douloureuse école. La démocratie, cela s’apprend. L’esprit démocratique, le respect des règles, le respect des institutions, rien de tout cela n’est acquis d’avance.
Pendant longtemps, les partis ont été des écoles de la démocratie. Ces écoles de cadres fonctionnaient, les militants se formaient et accédaient au pouvoir avec un solide bagage. Ainsi, Louis Bertrand, qui fut sénateur socialiste, président de la CGER, ministre d’État, avait commencé sa vie comme ouvrier carrier. En cette qualité, il avait réalisé la boîte aux lettres du sénat ! Les exemples de ces types sont très nombreux.
Aujourd’hui à Bruxelles, les faits donnent raison à Victor Hugo qui avait écrit « Les hommes politiques poussent comme les champignons, en une nuit ».
Il suffit de garantir qu’on « contrôle » un nombre de voix considérables pour figurer sur les listes électorales. C’est ainsi que Laurette Onkelinx accepta que figure sur sa liste un candidat appartenant aux « loups gris », organisation d’extrême droite turque ! À quelques mois des élections apparaissent des gens qui jamais n’ont été des militants, mais qui garantissent un nombre de voix captives. À Bruxelles, sur les listes électorales, tout fait farine au moulin, c’est la lutte pour le Win for Life… sauf que, comme dans le rêve d’Hamlet, il y a un hic, fantôme inquiétant entre tous…les mandats ne sont pas éternels.
Alors, l’enjeu est à ce point gigantesque, que tous les moyens semblent bons !
A. M. Hermanus
(Illustration : tableau « Le tricheur à l’as de carreau » Georges de La Tour – Musée du Louvre)