Le Centre Jean Gol organisait lundi soir un débat sur l’avenir de l’Union européenne après la victoire de Donald Trump. D’inévitables militants pro-palestiniens, certains relativement agressifs, ont tenté de perturber la séance. Mais les forces de l’esprit ont finalement vaincu.
Il y a 40 ans, sur les bancs de l’auditorium Janson, j’écoutais doctement les Prs Guy Haarscher et Claude Javeau, respectivement philosophe et sociologue, puits de science, qui nous apportaient leurs lumières.
Aujourd’hui, il ne semble plus possible d’organiser un débat – n’ayant pourtant rien à voir avec le Proche-Orient – sans que la conférence soit « controversée » et n’amène son cortège de manifestants plus ou moins pacifiques (en l’occurrence une réceptionniste a été bousculée et plusieurs spectateurs ont été incommodés par des feux d’artifice). Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a été pris à partie par un supposé étudiant, totalement hystérique, lui reprochant de faire « l’apologie de crimes de guerre » et s’offusquant que l’ULB lui donne la parole, un comble dans ce temple supposé du libre-examen. Le libéral montois a tenté courageusement de dialoguer. L’étudiant, qui avait cette intention depuis le début, a finalement reçu un micro pour délivrer sur scène un discours incohérent et inaudible. Notre chroniqueur-vedette, Louis Sarkozy, qui faisait partie du panel d’experts invités, a été relativement épargné bien que les groupuscules ne l’apprécient guère en raison de son patronyme et de sa vision pourtant pertinente sur la nature profonde du Hezbollah. Plus tard, nous avons eu droit à deux autres militants hurlants et un autre, plus calme, qui n’a pas manqué de confronter GLB au « génocide » à Gaza citant le rapport particulièrement controversé d’Amnesty International (lire à ce sujet l’excellente tribune libre de Joël Rubinfeld).
Une rectrice de l’ULB courageuse
Alors qu’on pourrait croire que l’obscurantisme a pris définitivement le pouvoir à l’ULB, l’organisateur, Corentin de Salle, a rendu hommage sur Facebook à la rectrice, Annemie Schaus, et au bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, qui ont permis que la soirée puisse être organisée en toute sécurité. L’ULB a dénoncé par communiqué les violences, rappelant que l’université doit rester un lieu de débat.
La raison l’a emporté de toute manière : la salle était comble, en dépit des menaces qui planaient. Des hommes et des femmes de bonne volonté qui voulaient surtout s’informer sur le thème de la soirée, à savoir les conséquences de l’élection de Donald Trump sur l’avenir de l’Europe.
Un débat de haute tenue
Parmi les nombreuses interventions, nous retiendrons celles de Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique, d’Elio Di Rupo, ancien Premier ministre et député européen, de Georges-Louis Bouchez, président du MR et de Louis Sarkozy, essayiste.
Notre chroniqueur français a très bien analysé les vraies raisons de la victoire de Trump : avoir su séduire les minorités, notamment les Hispaniques, particulièrement agacés par le « wokisme sexuel » qui règne aux États-Unis, et les politiques d’inclusion intempestives dans le monde de l’entreprise au mépris, de plus en plus, de la méritocratie. Une évolution très bien captée aussi par Elon Musk, dont le fils est transsexuel.
Trump, la voie à suivre pour la droite belge ?
« L’élection de Donald Trump et ses répercussions potentielles en Europe suscitent des inquiétudes, mais offrent aussi des leçons pour la droite européenne, a souligné Louis Sarkozy. Malgré ses controverses, ses propos jugés racistes et misogynes, ainsi que ses démêlés judiciaires, Trump a su convaincre 48% des électeurs latinos et conserver un large soutien populaire. Pour la droite française et belge, cela démontre l’importance d’une stratégie qui parle directement au citoyen, quelles que soient ses origines. Intégrer les citoyens musulmans conservateurs pourrait ainsi devenir un enjeu crucial. »
Louis Sarkozy insiste également sur la continuité institutionnelle aux États-Unis. Que Trump soit réélu ou qu’un démocrate gouverne, les défis du désengagement militaire et économique des États-Unis restent inévitables. La politique étrangère américaine repose sur le respect de la force et le rapport de force reste central. « Pour l’Europe, et particulièrement pour la France, il est urgent de renforcer l’autonomie stratégique. Comme le général De Gaulle en 1945, qui œuvra pour l’indépendance nationale malgré une situation de faiblesse, une ambition similaire est nécessaire aujourd’hui. La France dispose des atouts pour devenir une puissance de premier plan en Europe grâce à sa force militaire, sa démographie et son potentiel économique. »
Le message final de Louis Sarkozy est clair : l’Europe doit faire preuve d’ambition, de vision et de courage face au désengagement américain. « Que Trump soit réélu ou non, l’Europe doit s’affirmer et défendre sa souveraineté. La France, avec ses capacités stratégiques, a le devoir de prendre le leadership dans cette démarche pour garantir l’avenir de l’Europe. »
« Eurosclérose 2.0 »
Pierre Wunsch a mis le débat en perspective : « L’Europe est confrontée à un défi de compétitivité face aux États-Unis et à la Chine. La croissance économique est en retard par rapport aux États-Unis, en grande partie en raison d’une structure économique européenne qui favorise le progrès technologique incrémental plutôt que les innovations disruptives. La réglementation stricte, les marchés du travail rigides, et une fiscalité élevée limitent l’émergence et la croissance de nouvelles industries. »
Alors que les États-Unis exploitent une énergie bon marché et des politiques de stimulation comme le CHIPS Act, l’Europe peine à s’adapter, ce qui creuse le fossé économique et technologique.
Les obstacles structurels sont aggravés par des choix politiques et économiques fragmentés. « Le projet européen est freiné par une lente prise de décision et des divergences d’intérêts entre les 27 États membres. La dépendance énergétique de l’Europe, révélée par les crises récentes, nécessite une transition écologique mieux coordonnée et financée. Toutefois, des solutions telles que des investissements massifs et une intégration plus profonde se heurtent à la difficulté de créer une véritable union budgétaire et à une aversion au risque ancrée dans la culture européenne. »
Enfin, le débat sur l’avenir de l’Europe oscille entre le besoin de réformes structurelles et le maintien de politiques sociales généreuses. Les appels à « plus d’Europe » sont fréquents, mais leur mise en œuvre reste complexe. « L’Europe doit choisir entre poursuivre une voie de régulation stricte ou embrasser une dynamique plus entrepreneuriale pour stimuler l’innovation et la croissance. »
Les risques de fragmentation économique et politique persistent, nécessitant des décisions courageuses pour éviter une nouvelle ère de stagnation, qualifiée de « Eurosclérose 2.0 ».
Une partie de poker
Pour Georges-Louis Bouchez, l’Europe fait face à un défi majeur : renforcer son autonomie stratégique dans un monde marqué par la mondialisation et la concurrence géopolitique accrue. « Bien que la mondialisation ait apporté des bénéfices économiques indéniables sur la qualité de vie, l’Europe a trop longtemps délaissé son industrie au profit des services, ce qui l’a rendue vulnérable. Cette dépendance vis-à-vis des acteurs étrangers pour la sécurité énergétique, la production industrielle et la défense expose l’Europe à des risques majeurs. »
L’orateur libéral souligne que le marché mondial fonctionne comme une partie de poker : sans cartes en mains, on ne peut pas rivaliser. « La nécessité d’une autonomie énergétique est cruciale, surtout après les crises d’approvisionnement récentes liées aux conflits géopolitiques. La transition écologique est un objectif louable, mais elle doit s’accompagner d’investissements massifs et d’une politique énergétique réaliste, incluant le nucléaire pour certains pays. »
Un autre défi majeur concerne la souveraineté technologique. « Les grandes entreprises américaines développent des produits, notamment en intelligence artificielle, sans respecter les réglementations européennes. Elles sont prêtes à le faire au risque de perdre l’immense marché européen tellement ces technologies sont prometteuses. Cela risque de laisser l’Europe en retard dans cette course technologique mondiale. »
« Europe technocratique »
Pourtant Européen convaincu, Elio Di Rupo, s’excusant à l’avance de la présence possible de fonctionnaires européens dans la salle, a regretté la technocratie à l’œuvre à la Commission européenne. « Celle-ci, depuis le début, a considéré que le commerce allait tout résoudre. Ce qui a eu un certain succès. Mais aujourd’hui, on n’y est plus. Comment avancer ensemble sur le prix de l’énergie ? Financièrement, on n’a pas les moyens de faire tout en même temps… Pendant cinq ans, nous avons eu Charles Michel, président du Conseil européen. On ne peut pas dire que la Belgique n’avait pas accès aux manettes… Mais en réalité, une fois les dossiers arrivés aux mains de l’administration européenne, elle endosse un rôle déterminant. Ce qui constitue un frein majeur. [Les fonctionnaires européens] ne rendent de comptes à personne. Le politique, au contraire, avec tous ses défauts, doit rendre des comptes à la population. »
Appelant de ses vœux davantage de capital à risque, Elio Di Rupo souligne qu’il va falloir des moyens publics, du keynésianisme. « Le marché doit être totalement libre. Mais les excès du marché doivent être régulés. Or il se fait que les États-membres ne veulent pas de budget supplémentaire pour l’Union. »
Autre écueil : un nouveau règlement s’applique aujourd’hui qui oblige à appliquer la réglementation européenne sans qu’aucun parlement national ou régional n’ait son mot à dire. « L’UE nous commande d’assainir nos finances publiques. Il va falloir aborder le problème au niveau du Conseil européen : c’est là que l’impulsion doit être donnée. Et la Commission doit alors intervenir. Les Commissaires devraient avoir beaucoup plus de pouvoir. Des cabinets supplémentaires doivent leur être associés sinon c’est l’administration européenne qui décide sans rendre des comptes. »
Même s’il s’inquiète que le moteur franco-allemand soit grippé – l’Allemagne en récession et la France au cœur d’une crise politique apparemment insurmontable -, l’homme d’État socialiste ne croit pas à la fin du monde. Il n’y a pas de fins du monde, seulement des solutions à mettre en place.
Nicolas de Pape