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Un plaidoyer pour les citoyens (Opinion)

par Contribution Externe
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« Beaucoup des plaintes que nous entendons proviennent d’un groupe relativement restreint de professionnels de la plainte, financés par des subsides. » Mark Elchardus est sociologue, auteur et professeur émérite à la Vrije Universiteit Brussel (VUB).

J’ai lu le 3 décembre dans De Morgen : « Nous gagnons tous plus, mais sommes moins satisfaits. » « Ces gens et électeurs mécontents, alors », me suis-je dit, « sont toujours en train de se plaindre ».

Certains politiciens en ont vraiment assez d’eux. La démocratie, concluent-ils, serait plus facile sans électeurs. Ces éternels insatisfaits confondent l’État avec une boutique où tout est gratuit. Ils désapprennent à prendre soin d’eux-mêmes et deviennent de moins en moins autonomes.

En réalité, les citoyens et les électeurs ne sont pas si mauvais que cela.

Préférence pour l’autonomie

Regardons les élections parlementaires les plus récentes. Le Parti Socialiste excelle dans le clientélisme : un État-providence généreux, un accès facile aux congés maladie de longue durée, une large couverture d’aide sociale et d’autres avantages, un contrôle laxiste du travail au noir et peu d’incitations pour chercher et conserver un emploi régulier. Ainsi, le parti crée une clientèle dépendante qui, par intérêt, vote pour lui.

Mais que s’est-il passé ? Beaucoup de Wallons ont rejeté ce système et le PS a subi un revers sévère. Beaucoup de citoyens ont préféré l’autonomie à une telle dépendance. En Flandre, quelque chose de similaire a eu lieu. De nombreux Flamands ont voté contre les promesses généreuses. La victoire électorale de Bart De Wever ne repose pas sur des promesses, sauf celle de s’engager fermement à faire des économies et à vivre selon ses moyens.

Une vie loin d’être facile

Les citoyens retroussent leurs manches et deviennent de plus en plus autonomes. Un bon indicateur est le travail. Prendre le tram, le train, le bus ou la voiture tôt le matin, ne pas dépendre des allocations de maladie, ne pas être au chômage, ne pas solliciter l’aide sociale, ne pas rester chez soi.

En Flandre, en 1999, 67 % des 20 à 64 ans travaillaient ; aujourd’hui, ils sont 77 %. Le taux d’emploi des femmes belges est passé de 49 % en 1993 à 68 % en 2022 ; celui des 55-64 ans a augmenté de 23 % en 1993 à 57 % en 2022. Cette augmentation de l’emploi des femmes signifie souvent que les familles sont à deux revenus, souvent avec des enfants. Ce n’est pas une vie facile, entre des emplois exigeants et des enfants tout aussi exigeants.

Le taux d’emploi des plus de 55 ans n’est, il est vrai, pas spectaculaire, mais il a beaucoup progressé. Non pas parce qu’ils étaient paresseux autrefois, mais parce que certains syndicats pensaient qu’en arrêtant de travailler après 55 ans, il y aurait plus d’emplois pour les jeunes. Un raisonnement économique absurde, car c’est l’inverse qui est vrai. Cela n’a pas empêché les syndicats de plaider, avec un âgisme flagrant, pour que les « anciens » cèdent rapidement la place aux « jeunes ».

Une fois cette absurdité abandonnée, les plus de 55 ans ont repris le travail en nombre, même si cela a retardé leurs plans de retraite.

« C’était mieux avant »

Évidemment… Si ne pas travailler devient aussi ou plus attractif que travailler, pourquoi travaillerait-on ? Si le taux d’emploi est beaucoup plus bas à Bruxelles et en Wallonie qu’en Flandre, ce n’est pas dû à la paresse des Wallons, mais à des politiques inadéquates. Une prétendue gauche pour qui « gauche » signifie créer une dépendance permettant d’échanger soutien contre votes. Cela suscite de plus en plus d’indignation. De moins en moins d’électeurs en veulent.

On peut aussi se demander si certaines plaintes ne sont pas justifiées. Si l’on considère les 75 années après la Seconde Guerre mondiale comme un tout, nous n’avons jamais eu une vie aussi confortable. Mais ceux dont la vie s’est déroulée entre 1980 et aujourd’hui ont des raisons de se plaindre, surtout en comparant leur progrès avec celui de leurs parents et grands-parents.

Une époque de prospérité

Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le milieu des années 1970, nous avons connu une augmentation spectaculaire de la productivité et de la prospérité. Cette croissance a été utilisée intelligemment : amélioration du niveau de vie, investissements dans l’avenir, démocratisation de l’éducation, amélioration de la santé publique, progrès technologique et infrastructures. En même temps, la dette publique a été réduite. Entre 1950 et 1975, la dette publique est passé de légèrement au-dessus à légèrement en dessous de 60 % du PIB.

Comparée à cela, la période de 1975 à aujourd’hui est déplorable : faible croissance de la productivité, augmentation de la prospérité dépendante des importations de produits chinois bon marché, désindustrialisation, retard technologique, infrastructures médiocres, explosion de la dette publique de 57 % en 1975 à 107 % aujourd’hui. Ceux qui se souviennent de la période avant le milieu des années 1970 peuvent vraiment dire : « C’était mieux avant ». Et si ma mémoire est bonne, même le temps était meilleur à cette époque.

« Discipline » ou « gestion de classe » ?

Entre 1960 et 1970, environ deux tiers de la population étaient propriétaires du logement qu’ils occupaient. Entre 2010 et 2020, ce chiffre est tombé à 57 %. Pour les jeunes, devenir propriétaire devient difficile. Cela ne nous empêche pas de poursuivre joyeusement une politique migratoire qui ajoute chaque année une ville moyenne d’environ 50 000 habitants.

Ces dernières décennies, on observe une augmentation constante et importante du nombre d’enfants orientés vers l’enseignement spécialisé, incapables de suivre l’enseignement ordinaire. Les compétences des jeunes diminuent à vue d’œil. Un grand nombre de jeunes enseignants quittent le métier, non pas parce qu’ils ne savent pas enseigner, mais parce qu’il devient impossible de maintenir la discipline en classe. Entre-temps, le mot « discipline » effraie tellement les experts qu’ils parlent de « gestion de classe ».

On constate une forte augmentation des problèmes psychologiques chez les jeunes, surtout les filles. La consommation d’antidépresseurs augmente. Pour maintenir l’ordre, nous devons incarcérer de plus en plus de personnes. Jusqu’à ce que des criminologues progressistes proposent une solution : laisser les criminels en liberté.

La res publica

Bien qu’ils aient des raisons de se plaindre, les citoyens le font à peine, du moins pas sur leur vie personnelle. S’ils sont insatisfaits, c’est par rapport au fonctionnement de la société. Ce qui leur tient à cœur, c’est la res publica.

Un malentendu tenace concernant le comportement électoral veut que les citoyens votent par intérêt personnel, en pensant à leur portefeuille. Or, c’est précisément ce qu’ils font peu ou pas du tout. Ce qui influence le vote, c’est bien plus ce que les propositions des partis signifient pour l’avenir de la société et du monde. Quels effets auront les programmes des partis sur la prospérité pour tous, la santé pour tous, la politique migratoire, la sécurité, le climat, ou encore notre identité ? Voilà des motivations de vote importantes.

On entend souvent des personnes s’étonner que l’on vote pour le Vlaams Belang même dans des endroits où il y a peu de migrants ou de descendants de migrants. Comme si un électeur ne pouvait pas voter en fonction de ses opinions sur la migration, l’intégration et l’identité, indépendamment de qui habite dans sa rue. Cela en dit long sur le mépris avec lequel certains regardent les citoyens.

Des plaignants subventionnés

Une vision plus positive et plus juste des citoyens et des électeurs serait utile. Le chemin vers plus de prospérité, de bien-être et de sécurité passe par une meilleure écoute des citoyens et une approche plus sceptique vis-à-vis des soi-disant experts, qui depuis un demi-siècle nous mènent d’une absurdité à une autre.

D’ailleurs, beaucoup des plaintes que nous entendons proviennent d’un groupe relativement restreint de plaignants professionnels, financés par des subsides. Outre les associations qui relaient les préoccupations et les espoirs de leurs membres, une galaxie d’associations et d’ONG s’est développée avec l’argent des travailleurs. Leur spécialité : se plaindre, dénoncer et produire des victimes. Lorsqu’elles proposent une solution, elle se résume souvent à : injecter encore plus d’argent et accorder davantage de subsides.

Peut-être devrions-nous examiner de plus près cette industrie de la plainte. Apporte-t-elle des solutions ? Donne-t-elle moins de raisons de se plaindre ? Ou fonctionne-t-elle comme un système de plainte en expansion, donnant l’impression trompeuse que toutes ces personnes qui se lèvent à l’aube pour être autonomes passent leur journée à se plaindre ?

Mark Elchardus

La version originale de ce texte est parue sur Doorbraak le 17 décembre 2024.

(Photo Belgaimage : le sociologue Mark Elchardus (à g.))

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