Jean-Marie Le Pen, fondateur et président du Front National, est mort à 96 ans. Fort en gueule, il a animé le paysage politique français par ses saillies virulentes contre les immigrés. Des propos d’extrême-droite qui l’ont toujours tenu écarté du pouvoir et que sa fille Marine tente aujourd’hui de gommer.
Jean-Marie Le Pen a marqué l’histoire politique de la France de 1956, date à laquelle il devient député, à 2019 – année durant laquelle il abandonne son mandat de parlementaire européen après avoir siégé 34 ans dans l’hémicycle. Pendant 63 ans, il aura occupé l’arrière et l’avant scène de la politique de la IVe et de la Ve République.
En 1956 déjà, pour séduire un électorat catholique il ajoute Marie à Jean, son prénom de baptême, pour s’appeler officiellement Jean-Marie Le Pen.
Poujadiste, xénophobe, antisémite
Il est élu député sur une liste de l’Union de défense des commerçants et artisans. Créé par Pierre Poujade, ce parti aux accents populistes, anti parlementaristes et nationalistes, séduit le jeune politicien breton. Ces idées situées à l’extrême-droite de l’échiquier politique, Le Pen s’en fera le chantre durant toute sa vie. De directeur de campagne (en 1965) du candidat à la présidence Jean-Louis Tixier Vignancour, en passant par le groupuscule Ordre Nouveau et la création du Front national en 1973, Jean-Marie Le Pen est toujours resté fidèle à ses valeurs nationalistes, populiste aux relents racistes, xénophobes et antisémites.
On se souviendra de sa déclaration sur RTL en 1987 où, selon lui, « Les chambres à gaz sont un point de détail de l’Histoire de la deuxième guerre mondiale. » Des propos sanctionnés d’une condamnation en 1992 à payer une amende de 1,2 million de francs (183.200 euros).
D’autres saillies douteuses, comme « Durafour crématoire » à l’encontre du ministre Michel Durafour, ses propos tenus en faveur de Pétain ou sur l’occupation allemande qu’il considère « ne pas avoir été aussi inhumaine que cela », ont émaillé sa carrière politique. Elles lui vaudront d’autres amendes et, en 2010, une levée d’immunité de député européen avant qu’il ne soit relaxé, cinq ans plus tard, au nom de la liberté d’expression.
Ancien militaire en Algérie
Mais c’est son rôle comme militaire durant la guerre d’Algérie, marquée de zones d’ombre et d’accusations, qui le poursuivra toute sa vie.
Para dans l’armée, Le Pen a été accusé d’avoir torturé des opposants algériens. Il a reconnu à demi-mots l’usage de la torture, la justifiant par la nécessité de « démanteler les réseaux terroristes FLN, qui s’attaquaient exclusivement à la population civile dans le but d’y faire régner la terreur. » A-t-il personnellement torturé des opposants algériens ? Lors d’un procès intenté contre le journal Le Monde qui citait des témoins à charge, Le Pen a été condamné en appel. Le tribunal avait qualifié l’enquête de « particulièrement sérieuse et approfondie ».
Ce pupille de la nation (son père meurt en 1942, tué par une mine remontée dans son chalut) a vécu plusieurs vies tant publiques que privées. Son divorce de sa première femme, un héritage qui a fait de lui un homme riche, a alimenté les journaux people et les chroniques judiciaires des grands journaux. Sans compter les différends avec sa fille Marine pour le contrôle du parti. Un combat des chefs qui se terminera par un parricide. En août 2015, Jean-Marie Le Pen est exclu du Front National. Il se replie alors en créant des Comités Jeanne, en l’honneur et souvenir de la Pucelle d’Orléans.
Un héritage politique qui voit loin
À 96 ans, le tribun tire sa révérence. Mais que laisse-t-il comme héritage politique ? Le sillon creusé pendant des décennies par Jean Marie Le Pen porte-t-il ses fruits ? Son ancien parti le Front National, rebaptisé en 2018 Rassemblement National, a fait peau neuve. Exit officiellement l’antisémitisme mais, même amendé, le programme du RN est marqué du sceau de l’extrême-droite.
Comme Poujade en 1956, le RN recueille aujourd’hui les voix du monde rural, des artisans, de la petite classe moyenne. Tous ceux qui ont l’impression d’être des laissés-pour-compte et se sentent déclassés se reconnaissent dans ce programme.
Au second tour des législatives à l’été dernier, le Rassemblement national recueillait près de 9 millions de voix et emportait 125 sièges à l’Assemblée nationale.
Comme dans d’autres pays d’Europe, le RN rêve d’accéder au pouvoir. Aujourd’hui ce n’est plus une utopie. Faut-il s’en inquiéter ? Pour l’historien grec Thucydide, l’Histoire est un éternel recommencement. Les mêmes causes engendrent les mêmes effets. À méditer !
Philippe Lamair
(Photo Belgaimage : Edouard Bernaux/ABACAPRESS.COM)