Le parti Ecolo a ce jeudi publié sur son site internet un appel aux autorités belges à « suspendre la plateforme X » et ceci « tant que celle-ci ne respecte pas pleinement les obligations européennes en matière de modération des contenus et de lutte contre la désinformation » telles que spécifiées dans le Digital Services Act (DSA), le règlement européen sur les services numériques (DSA). Marie Lecocq, co-présidente du parti, estime ainsi que X est « devenu un outil au service d’un multimilliardaire aux ambitions politiques autoritaires, qui soutient des forces conservatrices et clivantes », à l’instar selon elle du parti AfD en Allemagne.
L’origine de l’ire de Mme Lecocq et de certains hommes et femmes politiques est connue : Elon Musk, qui ne détient (encore) officiellement aucun mandat politique mais qui, en sa qualité d’homme le plus riche du monde et de patron du réseau X, représente une force d’attraction puissante dans le débat public, a publiquement acté de son soutien au parti AfD dans le cadre des prochaines élections fédérales allemandes à tenir le 25 février prochain. M. Musk, électron libre certes passablement incontrôlable, représente pour certains par sa liberté de ton une menace contre « la stabilité des institutions » au regard de sa capacité à « verser dans la désinformation » en s’appuyant sur un réseau « (favorisant) », comme le soutient Mme Lecocq, un contenu haineux et divisif », cette dernière estimant enfin que « cela n’est pas parce qu’on est riche et Américain que l’on peut se permettre de se placer au-delà des lois européennes ».
Forme et fond
Elon Musk est certes un être à part, peut-être pas toujours dans le bon sens du terme. Sa récente sortie contre Justin Trudeau, qu’il tente de ridiculiser en l’interpellant par un sobriquet peu respectueux (en l’espèce, « fillette »), montre qu’il ne connaît pas les limites de la bienséance. Ceci est pour la forme. Sur le fond, en revanche, les idées du milliardaire, que cela soit en matière d’immigration, de bureaucratie, d’énergie sont parfaitement recevables et contribuent à la richesse d’un débat public trop souvent sclérosé par une peur de bousculer des positionnements confortables dont des partis comme Ecolo tirent profit. Passé cela, le positionnement de Mme Lecocq est biaisé sur plusieurs points. Le fait qu’il soit teinté d’un sentiment anti-riche et anti-américain (on a bien de la peine à comprendre le rapport) ne le rend qu’encore plus suspect.
Commençons par le principal : en matière de liberté d’expression, on prend tout ou on ne prend rien. L’entre-deux, précisément, fait le lit des extrémismes qu’Ecolo aime tant fustiger. On ne peut donc pas défendre la liberté d’expression « à moitié » ; même si certains en abusent, ils restent dans le cadre – inaliénable – de la dite liberté, sauf s’ils versent – en tout cas selon les standards de la DSA, dans un cadre de haine ou de désinformation. Ceci n’est pas le cas, sauf à ce que l’on prouve le contraire, de M. Musk, qui, en matière d’immigration notamment, se fait l’écho de sensibilités largement répandues mais souvent tues.
La liberté d’expression forme un tout
Passé cela, on ne peut, n’en déplaise à Ecolo, défendre la liberté d’expression uniquement « lorsqu’elle vous arrange bien ». Elon Musk – et cela ne vise pas à défendre ses excès sur la forme – est un iconoclaste qui peut se payer – au sens figuré (!) le luxe de ne pas devoir se soucier de ce que d’aucuns pensent de lui : il n’est pas soumis au jeu politique de la popularité, des alliances, de la menace de non-réélection, et j’en passe. Ecolo, comme d’autres formations politiques si promptes à donner des leçons, est avant tout dérangé par un discours qui ne sert pas des intérêts que l’on connaît : sacro-sainteté de la « tolérance », des aides publiques, et lutte contre la « haine », dont on a bien du mal à cerner les limites : quand un discours devient-il haineux ? Les partis de gauche ne connaissent généralement pas la subtile différence entre haine et fermeté. On peut être ferme sans être haineux. Cela demande juste du courage d’abandonner l’envie d’être populaire.
Si M. Musk décide d’envoyer aux roses les convenances, quitte même à verser dans les enfantillages, cela ne concerne que lui. Quant aux utilisateurs de X, faisons le pari qu’ils sont assez intelligents pour discerner l’essentiel de l’accessoire et le futile du fondamental. Personne, sauf erreur, n’est dans ce jeu forcé de s’abonner ou de rester abonné au réseau. Mais force est de constater qu’orienter le consommateur lambda en matière de convenances sous couvert de « protection de la démocratie » – ou de sa propre protection d’ailleurs – fait le jeu des têtes pensantes d’une certaine partie de la gauche, qui versent par là-même dans l’autocratie qu’elles entendent prévenir.
Maxence Dozin