Le nouveau gouvernement De Wever compte quinze ministres, Premier ministre inclus, et aucun secrétaire d’État. Outre le Premier ministre néerlandophone, il y a sept autres ministres néerlandophones et sept ministres francophones. Une chronique de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.
Tout cela est conforme au prescrit constitutionnel de l’article 99 de notre Loi fondamentale, qui limite depuis 1994 le nombre de membres du conseil des ministres à un maximum de quinze et exige la parité linguistique, sauf en ce qui concerne le Chef du gouvernement (l’obligation de parité étant déjà en vigueur auparavant) : « Le conseil des ministres compte quinze membres au plus. Le Premier ministre éventuellement excepté, le conseil des ministres compte autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise. »
C’est donc une équipe restreinte et resserrée qui gouverne désormais notre pays. Un gouvernement « normal » avec aussi peu de membres, c’est du jamais-vu depuis le deuxième gouvernement, homogène social-chrétien, de Gaston Eyskens en 1958, qui en comptait également quinze.
Des gouvernements de circonstance
Nous disons « normal », car il y a eu, dans l’intervalle, quatre courts gouvernements avec moins de membres, mais pour des raisons spécifiques et « circonstancielles », c’est-à-dire ne résultant pas d’une « volonté politique » portant sur plusieurs années.
Après les élections législatives de 2007, Yves Leterme, chef de file du cartel CD&V/N-VA, vainqueur des élections en Région flamande, ne parvient pas à former un gouvernement, compte tenu, entre autres, de dissensions communautaires. Eu égard à cette crise, le Roi demande à Guy Verhofstadt, Premier ministre démissionnaire, dont le gouvernement sortant est, par conséquent, en « affaires courantes », de former un gouvernement transitoire, intérimaire, de plein exercice, pour nonante jours avec un programme limité, afin de permettre, en parallèle, la poursuite des tentatives de constitution d’un nouveau gouvernement. C’est ainsi que se met en place le gouvernement Verhofstadt III, le 21 décembre 2007. Il ne compte que quatorze ministres et aucun secrétaire d’État, puisqu’il n’a vocation qu’à gérer les « affaires courantes », qui plus est, pour seulement trois mois.
À quelques mois des élections législatives de 2019, la coalition « suédoise » du gouvernement Michel I éclate suite à la démission des ministres et secrétaires d’État de la N-VA, le 9 décembre 2018. Cette crise découle d’une opposition de ce parti à la signature du Pacte mondial sur les migrations, ou « Pacte de Marrakech », de l’Organisation des Nations unies (ONU), alors que le Premier ministre doit se rendre à Marrakech, le 10 décembre 2018 et que le Pacte doit être signé à New York la semaine suivante. Le même jour, le Premier ministre se rend chez le Roi qui, par arrêté royal, accepte la démission des cinq membres N-VA du gouvernement (trois ministres et deux secrétaires d’État) et nomme les deux secrétaires d’État restants, Pieter De Crem, social-chrétien flamand, et Philippe De Backer, libéral flamand, comme ministres. En outre, l’arrêté royal répartit les compétences jusque-là exercées par des représentants de la
N-VA, certaines autres compétences étant attribuées au Vice-Premier ministre Alexander De Croo, libéral flamand. Un nouveau gouvernement Michel II, libéral, social-chrétien (flamand), largement minoritaire, est ainsi constitué, le 9 décembre 2018. Il ne compte plus que treize ministres et aucun secrétaire d’État, puisque rien ne justifie un gouvernement plus étendu. Comme ce gouvernement n’a aucune chance de survie, Charles Michel présente sa démission au Roi le 18 décembre, qui l’accepte le 21 décembre 2018. Toutefois, il n’est pas procédé à une dissolution anticipée des Chambres, faute de majorité parlementaire en ce sens. Les élections se tiennent donc à la date prévue, le 26 mai 2019.
Après les élections de 2019, les négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement n’ayant pas encore abouti et compte tenu de la désignation de Charles Michel comme nouveau Président du Conseil européen, le 1er juillet 2019, et de sa démission subséquente à la tête du gouvernement en « affaires courantes » le 27 octobre 2019, afin de préparer son entrée en fonctions le 1er décembre 2019, Sophie Wilmès, libérale francophone, est nommée Première ministre, le 27 octobre 2019, dans l’attente de la constitution d’un gouvernement de plein exercice. Ce gouvernement Wilmès I, libéral, social-chrétien (flamand), toujours minoritaire et en « affaires courantes », ne compte, par conséquent, que treize ministres et aucun secrétaire d’État.
À la suite du déclenchement de la pandémie mondiale de COVID-19, Sophie Wilmès démissionne le 17 mars 2020 et demande le soutien de l’opposition ainsi que des pouvoirs spéciaux pour une durée de six mois afin de gérer la crise sanitaire. Elle est nommée, le même jour, à la tête d’un nouveau gouvernement, toujours libéral et social-chrétien (flamand), minoritaire mais de plein exercice, qui demeure constitué de seulement treize ministres et aucun secrétaire d’État pour les motifs susmentionnés.
Dans le passé, on a connu des gouvernements à 36 !
Rappelons qu’il y eut une époque où les compositions gouvernementales étaient pléthoriques, les records étant détenus par le premier gouvernement du socialiste Edmond Leburton, tripartite socialiste, sociale-chrétienne, libérale, en 1973, avec pas moins de trente-six membres (vingt-deux ministres et quatorze secrétaires d’État), surnommé ironiquement par ses détracteurs le « gouvernement des trente-six chandelles », et le troisième gouvernement du social-chrétien Wilfried Martens, coalition social-chrétienne, socialiste, libérale, en 1980, comptant également trente-six membres (vingt-sept ministres et neuf secrétaires d’État).
Ce n’est qu’avec le gouvernement du social-chrétien Jean-Luc Dehaene, bipartite sociale-chrétienne, socialiste, en 1992, que l’on est revenu à des gouvernements plus réduits, cet Exécutif ne comptant que seize membres (quinze ministres et un seul secrétaire d’État).
Exit les secrétaires d’État
La composition limitée du gouvernement de Bart De Wever est d’autant plus étonnante qu’il n’y a aucun secrétaire d’État. Or, dans le passé, le recours à des secrétaires d’État a généralement permis un rééquilibrage communautaire en faveur des Flamands, étant donné que l’obligation de parité linguistique ne les concerne pas. Ce fut notamment le cas lors de la formation de la « coalition suédoise » de Charles Michel en 2014 et de la première participation de la N-VA à un gouvernement fédéral, avec quatre secrétaires d’État, tous néerlandophones, dont deux issus de la N-VA (Théo Francken et Elke Sleurs).
Une N-VA et un Bart De Wever apparemment plus raisonnables et moins revendicatifs quant à la présence flamande au sein de l’Exécutif fédéral, ce n’est pas anodin. Cela est sans doute lié au fait que le poste de Premier ministre est détenu par les nationalistes flamands et qu’ils y occupent des fonctions importantes : Jan Jambon, Vice-Premier ministre, ministre des Finances et de la Lutte contre la Fraude fiscale, des Pensions, de la Loterie nationale et des Institutions culturelles ; Théo Francken, ministre de la Défense et du Commerce extérieur ; et Anneleen Van Bossuyt, ministre de l’Asile et la Migration, de l’Intégration sociale et des Grandes villes.
Mais il y a peut-être aussi une réelle volonté d’une meilleure « gouvernance », axée sur ce que le nouveau gouvernement considère comme étant essentiel, en concentrant les compétences par souci d’efficacité ? L’avenir nous le dira !
Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant
(Photo Belga : Dirk Waem)