Le nouveau gouvernement fédéral de Bart De Wever est désormais en place. Composé de la N-VA, du CD&V, de VOORUIT, du MR et des Engagés, il est le treizième gouvernement fédéral du 21ème siècle. C’est aussi le premier de l’histoire de Belgique dirigé par un Chef de gouvernement n’appartenant pas à l’une des trois familles politiques dites « traditionnelles » : libérale, démocrate ou sociale-chrétienne (ou auparavant catholique), ou socialiste.
On pourrait soutenir qu’il s’agit d’un réel chambardement – et c’est le cas dans une certaine mesure -, d’autant plus que Bart De Wever appartient à un parti, la N-VA, dont l’article 1.1 des statuts stipule que « dans son objectif d’une meilleure gouvernance et d’une démocratie accrue, la Nieuw-Vlaamse Alliantie opte logiquement pour une Flandre républicaine et indépendante, membre d’une Union européenne démocratique » (« In haar streven naar een beter bestuur en meer democratie kiest de Nieuw-Vlaamse Alliantie logischerwijs voor de onafhankelijke republiek Vlaanderen, lidstaat van een democratische Europes Unie »). Un parti républicain et indépendantiste à la tête d’un gouvernement du Royaume de Belgique.
Un grand gagnant
Pourtant, à y regarder de plus près, les véritables gagnants du 21ème siècle sont les libéraux. Depuis le 12 juillet 1999 et le gouvernement Verhofstadt I, ils sont les seuls à avoir participé à l’ensemble des gouvernements fédéraux belges, exerçant ainsi le pouvoir de manière ininterrompue depuis 25 ans. De plus, ils ont produit huit des treize Premiers ministres : Guy Verhofstadt (trois fois), Charles Michel (deux fois), Sophie Wilmès (deux ) et Alexander De Croo (une fois). À cela s’ajoute que, jusqu’à la formation du gouvernement De Wever – marqué par l’absence des libéraux flamands de l’Open VLD –, la famille libérale était, avec les écologistes, la seule à être systématiquement représentée au gouvernement par ses deux composantes, flamande (VLD/Open VLD) et francophone (MR).
À l’inverse, les socialistes (sp.a/VOORUIT et PS) et les sociaux-chrétiens (CD&V et cdH/ex PSC) ont régulièrement fait partie des majorités gouvernementales de manière scindée. Les socialistes flamands n’ont pas participé aux gouvernements Leterme I, Van Rompuy et Leterme II, contrairement au PS. De même, les humanistes (cdH) ne se pas associés aux démocrates-chrétiens du CD&V dans les gouvernements Michel I, Michel II, Wilmès I, Wilmès II et De Croo. C’est un fameux retournement de situation par rapport au 20ème siècle, où les catholiques, puis les sociaux-chrétiens, ont eu un quasi-monopole sur la direction des gouvernements, qu’ils ont dirigés pendant 32.213 jours, soit plus de 88 ans. Les socialistes suivent avec 3.903 jours, soit près de 11 ans, tandis que les libéraux ne totalisent que 345 jours, soit à peine moins d’un an.
En effet, les catholiques ont occupé la tête du gouvernement de façon continue du début du siècle jusqu’en 1937, ainsi que de 1958 à 1999 (avec une très brève interruption de 15 mois en 1973-1974) et manière régulière entre 1939 et 1954. Les socialistes, quant à eux, ont dû attendre la nomination de Paul-Henri Spaak en 1938 pour accéder à la fonction de Premier ministre, à la tête d’un gouvernement d’union nationale.
Quid des libéraux ?
Les libéraux, de leur côté, ont dû se contenter d’un seul Chef de gouvernement au 20ème siècle, avant l’alternance en 1999 : Paul-Émile Janson, qui a dirigé un gouvernement d’union nationale du 24 novembre 1937 au 14 mai 1938 (soit 172 jours). Il aura fallu attendre environ 61 ans après son mandat pour voir un autre libéral, Guy Verhofstadt, devenir Premier ministre le 12 juillet 1999, à la tête de la coalition « arc-en-ciel » réunissant libéraux, socialistes et écologistes. Cela porte le total au 20ième siècle à 173 jours. Les libéraux ont néanmoins participé aux gouvernements du 20ème siècle pendant plus de 50 ans, loin derrière les catholiques, puis les sociaux-chrétiens, au pouvoir pendant près de 94 ans, et légèrement derrière les socialistes, membres des coalitions gouvernementales pendant plus de 53 ans. Ces derniers ont toutefois conquis le poste de Premier ministre à 11 reprises, contre seulement 2 fois pour les libéraux.
Le 19ème siècle a été plus équilibré, les catholiques et les libéraux se partageant presque à parts égales la fonction de Chef de cabinet depuis l’indépendance belge en 1830 (la fonction de Premier ministre n’ayant été officialisée qu’en 1918, après la Première Guerre mondiale). Une répartition similaire s’observe dans le nombre de participations gouvernementales (que ce soit dans gouvernements de coalition ou homogènes) et dans la durée de présence au pouvoir. À noter que le Parti ouvrier belge (P.O.B.), ancêtre du parti socialiste, n’a été créé qu’en 1885 et que sa première participation au pouvoir remonte au cabinet de Broqueville II, un gouvernement d’union nationale formé en 1916 en pleine Première Guerre mondiale.
Nous avons donc connu un 19ième siècle orange-bleu, un 20ième siècle dominé par l’orange vif et, à ce jour, un 21ièmesiècle d’un bleu intense. Personne n’aurait pu imaginer un tel renversement à la fin du 20ème siècle. Un signe des temps et de l’évolution de l’opinion publique.
Pascal Lefèvre – Chroniqueur politique indépendant
(Photo Belgaimage)