Face au vide que sont en train de laisser les États-Unis au sein de l’architecture défensive européenne, Ankara, qui possède la deuxième armée de l’OTAN, apparaît pour beaucoup comme un partenaire clé, notamment face à la Russie. Néanmoins, les demandes politiques turques pourraient refroidir les ardeurs européennes.
Le 13 mars, les chefs d’États-Majors français, britanniques et turcs se rencontraient à Paris. Au programme : la sécurité européenne, la protection de l’Ukraine et des possibles acquisitions de matériel militaire. La veille, le président turc était accueilli en grande pompe par le Premier ministre polonais. Dans ce contexte, Varsovie a annoncé vouloir “travailler pour que la perspective européenne soit de plus en plus viable pour la Turquie” et qu’elle « assume autant que possible la co-responsabilité du processus de paix” dans la guerre d’agression russe contre l’Ukraine. Dans le même temps, le 6 mars, le fabricant turc de drones Baykar et l’italien Leonardo ont annoncé un partenariat pour assembler des drones militaires dans leurs deux pays. Des rapprochements entre les puissances européennes et Ankara dans lesquels des divisions risquent de faire surface.
Entre rapprochement militaire et politique
Selon Bayram Balci, chercheur à Sciences Po Paris et directeur de l’Institut français d’études anatoliennes, le rapprochement militaire entre la Turquie et le reste des États européens dépendra de la capacité des deux parties à dépasser leurs désaccords politiques. “En Turquie, on est désireux de créer une nouvelle relation avec l’Europe, mais pas uniquement sécuritaire”, affirme-t-il. Militairement, la Turquie dispose de la plus grande force terrestre de l’OTAN en Europe, avec près de 400 000 soldats, et le double si l’on inclut les réserves. Elle dispose en outre, de plus de 2000 chars de combat, soit près de la moitié de ceux de l’OTAN sur le continent européen et ses forces navales exercent un contrôle sur les voies de navigation de la mer Noire. Autant d’arguments qui servent de leviers dans les négociations de partenariat avec l’Europe, en particulier alors que la présence de forces de maintien de la paix en Ukraine est de plus en plus évoquée. “La Turquie ne veut pas se sentir utilisée par les puissances européennes, elle veut que l’Europe se montre plus ouverte et inclusive vis-à-vis d’Ankara”, ajoute Bayram Balci.
La situation en Ukraine constitue un facteur clé dans le rapprochement entre la Turquie et l’Europe. Recep Tayyip Erdogan a affirmé son soutien à “l’intégrité territoriale” de l’Ukraine, une position en phase avec celle des principales puissances européennes. Cette posture contraste avec l’attitude plus ambivalente qu’Ankara a pu adopter par le passé vis-à-vis de Moscou, notamment avec l’achat de systèmes de défense russes S-400 ou sa coopération énergétique avec la Russie. Par ailleurs, l’affaiblissement du régime syrien de Bachar al-Assad, allié de Moscou, modifie en profondeur les équilibres régionaux et joue en faveur d’Ankara. La Turquie, longtemps contrainte de coordonner une partie de ses actions en Syrie avec la Russie, retrouve aujourd’hui une plus grande marge de manœuvre sur sa frontière sud. Ce nouveau contexte lui permet d’adopter une ligne plus ferme face à Moscou, notamment en mer Noire.
Quelles contreparties politiques ?
Au cours des dernières semaines, Recep Tayyip Erdogan a mentionné à plusieurs reprises que l’intégration de la Turquie au sein de l’Union Européenne reste un objectif stratégique clé pour Ankara. “Je ne crois pas à une pleine adhésion de la Turquie”, affirme Bayram Balci. “Par contre, on pourrait assister à une renégociation et une modernisation de l’accord de libre échange ainsi qu’à la facilitation d’octroi de visas européens pour les Turcs” ajoute-t-il. Un approfondissement des relations économiques contre une alliance militaire. Néanmoins, des divergences majeures persistent entre les différentes parties. Le respect des droits de l’homme et la liberté d’expression en Turquie, la question chypriote et les frictions en Méditerranée orientale restent des sources de tensions non résolues.
Jérémie Renous
(Photo Belgaimage)