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Samuel Fitoussi : « L’irrationalité trouve un terreau favorable chez les intellectuels »

par L.M.

Samuel Fitoussi est entrepreneur, essayiste et chroniqueur au Figaro. Il publie un essai au titre sans équivoque : « Pourquoi les intellectuels se trompent » (Éd. De l’Observatoire). Nous lui avons demandé pourquoi, à notre époque, des intellectuels (souvent de gauche) persistaient dans l’erreur. Entretien.

21News : Comment expliquez-vous que les intellectuels « de métier » soient plus perméables aux idées totalitaires que « l’honnête homme » ?

Samuel Fitoussi : Il est vrai que tout au long du XXe siècle, les intellectuels ont été étrangement attirés par les idées totalitaires. « L’intelligentsia britannique, observait Orwell, a développé une loyauté nationaliste à l’égard de l’URSS, et dans son for intérieur elle a l’impression que critiquer Staline est une forme de blasphème. » On pourrait aussi évoquer la fascination pour Fidel Castro ou pour Mao, la sympathie pour les Khmers rouges et le Vietnam du Nord, ou encore la complaisance pour les divers régimes dictatoriaux communistes en Afrique.

Comment expliquer cela ? Je propose plusieurs pistes dans mon livre. Pour n’en évoquer qu’une, les démocraties libérales ont peut-être le tort de ne pas conférer une importance suffisante à l’intellectuel. En effet, dans nos sociétés, les évolutions sont le fruit d’une somme de décisions individuelles. L’ordre n’est pas construit par le haut. Personne ne se tourne vers l’intellectuel pour obtenir la recette de la bonne société.

La tentation totalitaire

Dans les sociétés plus autoritaires en revanche, l’intellectuel théorise la société idéale, et le politicien applique ses idées. Selon l’anarchiste russe Bakounine, le but réel des intellectuels marxistes était l’instauration d’une « pédantocratie », c’est-à-dire un régime dans lequel les pédants – ici, les théoriciens marxistes  – exerceraient les responsabilités. « Les intellectuels, écrivait Roger Scruton, sont naturellement séduits par l’idée d’une société planifiée, car ils pensent qu’ils en seront les responsables. » Ou, sous la plume de Jean-François Revel : « Si la plupart des intellectuels qui vivent dans les sociétés libérales haïssent ces mêmes sociétés libérales, c’est qu’elles les empêchent de s’approprier entièrement la direction d’autrui. » Si, à l’inverse, le communisme a tant plu à l’intelligentsia, c’est peut-être car il s’agit, selon la formule de Jan Waclav Makhaïski, d’un « régime basé sur l’exploitation des ouvriers par les intellectuels ».

Samuel Fitoussi (photo : X)

Le philosophe américain Robert Nozick avançait l’explication (peut-être complémentaire) suivante. Les intellectuels, dotés de fortes capacités cognitives, sont en général doués scolairement, et jusqu’au début de l’âge adulte, se voient accorder de bonnes notes, de prestigieux diplômes. Le système éducatif les place en haut de la pyramide sociale et leur permet d’intérioriser l’idée de leur supériorité.

À l’entrée dans la vie active, la rémunération cesse d’être indexée sur les capacités cognitives et les intellectuels connaissent une dégradation de leur statut. Ils nourrissent alors un ressentiment contre l’économie de marché qui ne les récompense pas à la hauteur de (ce qu’ils estiment être) leur valeur. Ils souhaitent donc que la société ressemble davantage au système centralisé d’une salle de classe, où un professeur distribue les bons et les mauvais points. D’où leur goût pour la planification, l’ordre imposé par le haut, et donc pour les systèmes totalitaires où la loi de l’offre et de la demande est congédiée au profit du jugement des cadres du parti, qui évaluent la valeur des uns et des autres comme un professeur évalue ses élèves.

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