Kinshasa et Kigali ont signé un cessez-le-feu le 30 juillet dernier pour essayer de mettre fin au conflit à l’Est de la RDC. Un papier signé comme tant d’autres et un accord qui, sur le terrain, reste sans effets. L’occasion de faire le point sur cette région ravagée par les violences depuis des décennies.
À l’Est de la République Démocratique du Congo, il n’y a pas que le soleil qui se lève. Depuis maintenant trente ans, différentes rébellions secouent cette région frontalière de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. La plus connue est celle de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila qui, avec le soutien militaire et logistique du Rwanda, a traversé en quelques mois tout le Congo pour entrer à Kinshasa le 17 mai 1997, chassant le maréchal Mobutu au pouvoir depuis des décennies.
Dès 1994, le feu de la révolte couve dans les deux Kivu et en Ituri. L’arrivée de centaines de milliers de Hutus, responsables du génocide au Rwanda, déstabilise la région. Ils se réfugient à quelques kilomètres de la frontière rwandaise dans d’énormes camps proches de Goma et de Bukavu.
Ces nouveaux arrivants, dont de nombreux militaires et dignitaires de l’ancien régime de Juvénal Habyarimana, déséquilibrent les rapports politico-ethniques de ces provinces congolaises et affaiblissent l’autorité du gouvernement central. Kinshasa est à trois heures de vol de Goma et de Bukavu.
Tout l’Est s’est embrasé
Sur le terrain, des responsables politiques et des officiers zaïrois succombent aux sirènes de l’argent. Ils vendent des armes et ferment les yeux sur les opérations menées depuis le Zaïre vers le Rwanda par les FDL hutus.
En novembre 1997, Kigali décide d’agir. Les militaires frappent violemment les camps. Des centaines de milliers de Hutus sont rapatriés de force au Rwanda. Après des contrôles souvent arbitraires, de nombreux hommes sont arrêtés et jugés. Des milliers de Hutus parviennent à s’enfuir à l’intérieur du Congo. Beaucoup seront rattrapés et massacrés par l’armée rwandaise et les hommes de Kabila, notamment à Tingi-Tingi ou Bantaka.
Depuis ces années, tout l’Est s’est embrasé. Toutes les tentatives d’éteindre l’incendie ont échoué. Le feu n’a jamais cessé de couver sous la cendre, attendant le moment propice pour reprendre.
Et les occasions n’ont pas manqué. En 2001, la révolte contre Kinshasa, puis le premier maquis du M23 et ses attaques menaçant Goma en 2012, sans oublier la guerre entre les ethnies Hema et Lendu en Ituri, véritable guerre civile qui obligera la communauté internationale à intervenir en envoyant des militaires français à Bunia. En moins de trois mois, l’opération Artémis, du 6 juin au 6 septembre 2003, rétablit le calme, mais dès le départ du contingent français, les violences reprennent de plus belle.
L’envoi de casques bleus dans la région ne changera rien. Malgré un déploiement sur la façade est de la RDC de milliers de soldats pakistanais et bangladais, l’insécurité et les violences persistent. La mission de la MONUC, ensuite appelée MONUSCO, est un échec. Les Nations Unies n’ont pas réussi à rétablir même un semblant de paix, et une présence de plus de 25 ans a coûté des milliards de dollars. Des trafics en tout genre ont proliféré : du prosélytisme religieux, avec distribution de Corans aux populations locales, au pillage des ressources naturelles (or et bois précieux), souvent avec la complicité des États voisins.
La situation ne cesse de se dégrader
Théoriquement, la MONUSCO, dont le budget annuel est estimé à 1,5 milliard de dollars, devrait se retirer d’ici fin 2024 de la RDC. Après avoir demandé son retrait, le gouvernement de Kinshasa a fait marche arrière et souhaiterait que les Nations Unies maintiennent une présence à l’Est. Il faut dire que depuis quelques mois, la situation ne cesse de se dégrader. Mécontent de ne pas avoir été récompensé pour les services rendus à Félix Tshisekedi, dont il a facilité l’élection, Corneille Nangaa a pris le maquis et lancé l’Alliance Fleuve Congo, une plateforme politico-militaire dont le M23 fait partie.
Tel le phénix renaissant de ses cendres, le M23 a repris ses offensives avec l’appui du Rwanda. À côté de ce mouvement, d’autres milices sèment la terreur. On en compte plus d’une centaine. Certaines ont pris les armes uniquement pour protéger leur pré carré : une mine d’or ou la pêche clandestine sur le lac Albert. La plus structurée est l’ADF (Forces démocratiques alliées). Réprimés en Ouganda, ces djihadistes se sont réfugiés en RDC. En 2019, ils ont prêté allégeance à l’État islamique (EI) et entretiennent des liens avec les Shebabs de Somalie et les guérillas islamistes au Mozambique. L’ADF multiplie les viols, les massacres et les enlèvements d’enfants. Fuyant ces exactions, près de deux millions de personnes ont quitté les zones rurales du Nord-Kivu et de l’Ituri, cherchant refuge dans des villes comme Goma ou Bunia, déjà surpeuplées, aggravant ainsi la situation humanitaire.
Face à l’avancée de ces milices, les autorités congolaises sont impuissantes. L’état d’urgence a été décrété et le pouvoir remis aux militaires. Mais l’armée congolaise (FARDC) s’est révélée incapable de juguler l’hémorragie. Kinshasa a dû demander le soutien de pays africains. La Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) a ainsi envoyé des troupes au Kivu. Leur mandat a également échoué. Après un an, en décembre 2023, les contingents kényan, sud-soudanais, ougandais et burundais ont plié bagages.
Pas de contrôle des grandes agglomérations
Le gouvernement congolais s’est alors tourné vers la SADC. Les 16 membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe ont accepté d’envoyer, en janvier 2024, des troupes, dont 2 900 soldats sud-africains, à l’Est de la RDC.
Jusqu’ici, leur présence n’a en rien changé le cours du conflit. Mais les mouvements rebelles, structurés et financés par l’étranger, comme le M23 ou l’ADF, continuent à progresser. Ils évitent de contrôler les grandes agglomérations, mais consolident leurs bases arrières et exploitent les ressources minières.
L’incapacité à mettre fin aux violences à l’Est de la RDC et la perte de contrôle de territoires en bordure de certaines frontières, comme celle du Rwanda, fragilisent le pouvoir de Kinshasa. Le président Félix Tshisekedi voit sa cote de popularité s’effriter de plus en plus. Comme Mobutu, il semble incapable de reprendre le contrôle des frontières de l’Est. Pour le maréchal, ce fut le début de la fin. En sera-t-il de même pour l’actuel président ?
Aujourd’hui, sur la carte, l’Est du pays fait encore partie de la République démocratique du Congo, mais qu’en sera-t-il demain ? Certains voisins sont à l’affût. Le Rwanda joue la montre et attend son heure. L’enlisement et le pourrissement de la situation lui sont bénéfiques.
Philippe Lamair
(Photo : Belga)