« Des couillons », des « bulles », « des inutiles ». Il n’est pas si loin le temps où le président du PS, Paul Magnette, utilisait le bazooka et un langage de la rue peu en rapport avec son standing habituel, pour s’attaquer au PTB. C’était voici quelques mois lors de la campagne pour les élections législatives et, à l’époque, les cadors socialistes avaient reçu le feu vert pour tirer à vue sur les rivaux communistes, avec plus ou moins de talent. On se souvient du « Parti Toujours au Balcon » lancé chez Martin Buxant (Bel RTL) par Willy Demeyer – un jeu de mots dont le bourgmestre liégeois était particulièrement fier… Aujourd’hui, le PS est en négociations avancées avec le PTB pour former des majorités dans trois communes bruxelloises et laisse même courir le bruit que l’alliance à gauche toute pourrait également voir le jour dans d’importantes villes de Wallonie. Décryptage pour faire le tri entre les convergences réelles, la stratégie à moyen terme et les coups de bluff.
Ce lundi 4 novembre, on ne parlera pas que des souvenirs de vacances et de la rentrée, lors du bureau du Parti Socialiste. Le président Paul Magnette fera le point sur les majorités mises en place après les communales, sur la stratégie d’opposition du PS, sur l’évolution du processus de formation de l’Arizona au fédéral et, bien entendu, on parlera des nombreuses villes et communes où les coalitions ne sont pas encore formées. Dans ce chapitre important, les négociations entamées entre les responsables socialistes et ceux du PTB occuperont une place de choix. Tout simplement parce que ce dossier concerne aussi bien le présent – les majorités et les collèges à mettre en place au plus vite – que le futur du parti et particulièrement la stratégie par rapport aux communistes, les rivaux les plus critiques et les plus dangereux pour le PS.
Molenbeek, le laboratoire
Le cœur du réacteur de la formule PS-PTB se trouve en Région bruxelloise, où les rivaux de la gauche ont entamé des discussions, voire plus, dans trois communes. Commençons par Molenbeek, où l’alliance entre les deux partis ne fait quasiment plus de doute. On avait annoncé, quelques jours avant le scrutin communal, que ce scénario semblait le plus probable, en fonction de la sociologie particulière de l’électorat de Molenbeek et de la personnalité de la bourgmestre socialiste sortante. Catherine Moureaux, en effet, est un électron libre dans la galaxie PS, qui se soucie peu des consignes, de son président et de sa fédération. Dès le soir des élections, Catherine Moureaux avait annoncé sa volonté de former une majorité la plus progressiste possible – avec le PTB, dont le responsable local avait lui aussi ouvert la voie. Seul problème : il manque un siège à cette alliance pour obtenir la majorité et le PS a clairement indiqué à sa bourgmestre qu’il était hors de question d’embarquer dans le Collège la liste de Fouad Ahidar. On sait que le cas de Molenbeek est dissocié de la stratégie globale du PS, mais faire alliance avec un parti dont les priorités sont surtout religieuses et identitaires pourrait nuire à l’image globale du PS. À suivre.
La situation est différente à Forest et à Schaerbeek, où les discussions entre PS et PTB (avec Ecolo à Forest) donnent davantage l’impression d’un coup de bluff ou de pression du PS envers le MR. Les libéraux revendiquent le poste de bourgmestre dans ces deux communes après avoir perdu, en négociant très mal, les mayorats d’Ixelles et d’Anderlecht au profit d’un élu… socialiste. Cela étant, même si les discussions ne reprendront officiellement que ce lundi, la tripartite PS-PTB-Ecolo semble sur les bons rails à Forest.
À Schaerbeek, en revanche, c’est moins clair. Car il ne faut pas oublier que le PS devrait rejoindre le MR (et les Engagés) au sein du futur gouvernement bruxellois et qu’il convient tout de même de ne pas couper tous les ponts avec le parti de droite. Et puis, le PS et le PTB se posent quand même beaucoup de questions. Les socialistes doutent de la fiabilité des communistes comme partenaire loyal de coalition sur une mandature de six ans, dans un exercice du pouvoir qu’ils ne connaissent pas. Quant aux leaders du PTB, ils craignent d’être enfermés dans un rôle de gestionnaire de la crise, étant entendu que les situations budgétaires des communes et de la Région imposeront surtout des sacrifices…
Les bastions rouges de Wallonie vireront-ils au rouge vif ?
Herstal, Seraing, Mons. Petit quiz : à votre avis, dans combien de ces trois bastions socialistes, le PS ouvrira-t-il vraiment la porte de ses collèges communaux au PTB ? On n’a pas de boule de cristal, mais ce qui semble possible à Bruxelles l’est beaucoup moins en Wallonie. C’est une question de culture, de rivalité et d’intérêt communal. Partons du principe que personne, ou presque, ne pense que Nicolas Martin embarquera réellement les marxistes dans la majorité montoise. Restent Seraing et Herstal, deux communes où la rivalité à gauche est très forte, puisque le PTB est un challenger important et un opposant virulent dans les deux villes industrielles. À Herstal par exemple, Frédéric Daerden avait déjà embarqué les Ecolos et les Engagés locaux sur sa liste. Il a donc le choix entre le PTB et le MR. Quoiqu’il en dise publiquement, l’ex-ministre a plus d’affinités électives et d’habitudes de négociations avec les libéraux qu’avec les communistes. Et puis, et cela vaut aussi pour Seraing, les bourgmestres ne veulent pas totalement couper les ponts avec la majorité MR-Engagés installée en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. On a déjà vu, avec l’arrêt brutal des extensions du tram vers Herstal et Seraing, que le gouvernement wallon ne ferait aucun cadeau aux bourgmestres socialistes, surtout s’ils s’allient au PTB.
La stratégie : qui mange qui ?
Enfin, reste la question la plus importante pour les états-majors du PS et du PTB : quel est l’intérêt à moyen terme pour les deux partis de se lancer dans des convergences de gauche ? Pour le PS, c’est assez simple. Après la défaite de juin, il faut rassurer l’électorat de gauche, de même que les piliers (FGTB et Solidaris) sur un fort ancrage progressiste.
« Au PS on espère refaire avec le PTB le coup des convergences de gauche qui avaient permis aux socialistes de faire main basse sur les électeurs écolos »
Et puis, plus cyniquement, le PS espère qu’en « mouillant » les communistes dans l’exercice du pouvoir, il prouvera leur incapacité éventuelle à gérer la chose publique, pour mieux les phagocyter lors des prochaines élections, comme le PS l’a régulièrement fait en s’associant par le passé à Ecolo, pour mieux leur reprendre des voix lors des élections suivantes. Les socialistes savent très bien qu’une majorité avec des représentants du PTB ne sera pas de tout repos, mais si le PS doit passer par cette épreuve pour redevenir le premier parti wallon, Paul Magnette et ses ténors n’hésiteront pas longtemps. Du côté du PTB, les résultats moyens voire décevants de juin et d’octobre démontrent peut-être que la stratégie de l’opposition éternelle a atteint ses limites et que l’électeur attend autre chose. Qu’un vote de protestation se transforme en un vote de construction à gauche. Le PTB connaît les risques d’une alliance avec le PS, d’autant plus que les deux présidents se feront « la guerre » au Fédéral pour obtenir la palme du meilleur opposant à la majorité de centre-droit « Arizona », pour autant qu’elle voit le jour.
C’est sans doute pour toutes ces raisons que PS et PTB tenteront une première expérience de coalition, mais limitée à des cas isolés. Pour pouvoir faire marche arrière facilement si l’expérience tourne au pugilat entre « couillons » et « gauche caviar ».
V. S.
(Photo : Belgaimage)