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Alors que Donald Trump s’emporte contre la presse de gauche jugée « corrompue », la presse américaine est-elle biaisée ?

par Maxence Dozin

Le président américain s’est emporté vendredi contre les médias dont il juge que la critique à son encontre est « systématique ». « Ce qu’il font doit être illégal », a-t-il claironné, estimant que certains médias sont « les bras armés du parti démocrate ». Les plaintes de Donald Trump sont-elles fondées ? Tentative de décryptage.

Ce n’est pas la première fois que Donald Trump s’emporte contre ce qu’il considère être un parti-pris, négatif, s’entend, quasi doctrinaire d’une partie de la presse américaine à son encontre. Le président a fait de cette critique contre les médias de gauche, qu’il considère comme les médias de « l’ordre établi », une de ses marques de fabrique : le terme « fake news », si souvent utilisé par ses soins depuis 2015, est presque devenu une « marque de fabrique » propre à l’intéressé.

Donald Trump estimait ainsi vendredi, pointant du doigt les chaînes de télévision CNN et MSNBC, que ce « qu’(elles) faisaient (était) certainement illégal ». « Ces médias », continuait-il, « qui écrivent littéralement 97,6% de mauvaises choses sur moi, sont le bras armé du parti démocrate. Et ils le font en totale coordination les unes avec les autres », avait-il conclu.

Qui est visé ?

Le président américain s’emporte contre ce qu’il considère fondamentalement contre les médias du « statuquo », lui-même se voyant, à juste titre, comme un réformateur. Il ne s’agit pas seulement de la presse télévisée, que cela soit CNN ou MSNBC. Le New York Times, grand quotidien de gauche le plus lu aux États-Unis, avec 11,4 millions d’abonnés (papier et digital), constitue aussi une cible privilégiée de Trump. 

Trump, passé son biais cognitif, ne s’emporte pas sans cause : les chaînes de télévision incriminées et le « Times », dont l’essentiel de l’audience est constituée de partisans démocrates (90% pour le journal new-yorkais), sont essentiellement des « porte-voix » de la gauche américaine, et (très) rares sont les articles ou les émissions qui souscrivent, même en partie, aux vues du président.

« De la presse d’opinion »

« MSNBC est un organe de presse d’opinion, et ils ne s’en cachent pas », estime ainsi Lorette May, 76 ans, qui, dans son appartement du sud de Manhattan, regarde, plusieurs heures par jour, la chaîne de télévision détenue par NBC Universal. Guerre en Ukraine, incursion de l’armée israélienne à Gaza ; rien des évènements internationaux et nationaux d’importance n’échappe à l’œil de Mme May.

En cette après-midi du 28 février dernier, alors que se termine la rencontre entre les présidents américain et ukrainien, une dizaine d’experts, dont certains extrêmement renommés (à l’instar de Timothy Snyder, professeur à l’Université de Yale et auteur de nombreux livres best-sellers), se relaient en visioconférence et sur le plateau des différentes émissions politiques de la chaîne. Tous les points de vue convergent vers le même constat : la réunion a été un « embarrassment » (une honte) pour les États-Unis sur la scène internationale, Trump a humilié Zelensky sans raison, Vance en a rajouté une couche par pur opportunisme, etc.

À aucun moment, trois heures durant, la moindre voix discordante ne fait écho, par exemple, au fait que le président américain avance plus – quoique au prix de l’intégrité territoriale de l’Ukraine – sur le dossier que les démocrates durant quatre ans, ou que M. Zelensky semble ne pas considérer qu’il est en manque d’effectif pour utiliser les armes et l’argent qu’il réclame.

En tout état de cause, et que cela soit MSNBC, CNN ou le « Times », la rhétorique de M. Trump, visant à prioriser les intérêts américains sur des alliances qu’il juge obsolètes – et coûteuses pour ses contribuables – ne recueille le moindre écho positif de le part des experts et des commentateurs. L’ire du milliardaire, nonobstant ce que l’on peut penser de ses politiques, est donc audible. Quant au dossier ukrainien, et comme le relevait dans nos colonnes Peter M., militaire américain affilié au parti républicain, « Trump est un leader qui aime sincèrement (son pays) ; quant à l’Ukraine, le rapport de force lui est défavorable. La Russie gagnera de toute façon par épuisement ».

Dans ce contexte, pourquoi envoyer encore davantage d’argent vers une cause perdue ? De cette question, légitime, aucune réponse sur les ondes de CNN ou dans les pages opinion du « New York Times ». « Il faut bien comprendre que la critique qu’ils exercent, en ces temps de pagaille indescriptible, constitue un contre-pouvoir indispensable aux visées de l’« empereur » Trump », tempère tout de même Lorette May, alors que se termine l’émission de Nicolle Wallace, ancienne porte-parole de la Maison Blanche du temps de Bush fils et devenue vingt ans plus tard une des présentatrices star de la chaîne d’information en continu.

De la nécessité du « juste milieu »

Si en définitive, la presse d’outre-Atlantique semble être, de nos jours, un reflet fidèle de la société américaine, dans ses côtés éclatés et polarisés, peu d’alternatives semblent s’offrir aux citoyens désireux de s’informer « au centre ». Certaines initiatives valent tout de même la peine d’être mentionnées, et sont, par leur succès, porteuses d’espoir sur la volonté des Américains de sortir du carcan de la presse d’opinion par essence polarisée – qu’elle soit de gauche ou de droite ; Fox News ne faisant pas mieux dans le genre.

Ainsi, le « Free Press » de Bari Weiss, ancienne collaboratrice du New York Times, en est un bon exemple. Mme Weiss, ancienne du Wall Street Journal, avait été engagée en 2017 par le quotidien new-yorkais pour apporter « davantage de diversité » aux pages « opinion » du quotidien après que ce dernier ait « failli à anticiper le résultat de l’élection de 2016 (qui avait vu Donald Trump remporter son premier mandat, NDLR) ». Un faux-pas dont Weiss estimait qu’il prouvait que le journal « n’avait pas de compréhension profonde du pays qu’il couvrait ».

« Aller au travail, en tant que centriste, dans un journal américain, ne devrait pas être une question de courage »

Bari Weiss, ancienne journaliste du New York Times, après avoir été, trois années durant, malmenée et intimidée par ses collègues pour ses convictions centristes.

La jeune journaliste avait décidé de démissionner trois ans plus tard, estimant dans sa lettre de démission que son employeur n’avait « aucune volonté réelle » de diversifier ses sources de contributeurs en la matière.

Bari Weiss, après avoir quitté le « Times », a créé son propre média, The Free Press, qui aujourd’hui, quatre ans après son lancement, a atteint le cap du million d’abonnés (dont un peu moins d’un sixième payants). Le succès de son entreprise témoigne de sa vision des Américains comme constituant une nation, comme l’estimait la journaliste, « toujours friande d’informations exactes, d’opinions essentielles et de débats sincères ».

Maxence Dozin

(Photo : MSNBC (c))

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