Adulée pendant seize ans par les élites européennes, Angela Merkel publie ses Mémoires, « Liberté » (Albin Michel). L’occasion d’un bilan honnête de ses succès et échecs. Certains, comme le journaliste français François Lenglet, voient en elle « la pire chancelière depuis Bismarck », dénonçant une « litanie d’erreurs », tandis que d’autres la considèrent comme une dirigeante exceptionnelle. La vérité se situe sans doute entre ces deux extrêmes.
Ses principaux échecs : énergie, immigration, dette
Héritière de la politique énergétique de Schröder, Merkel décide, après Fukushima, d’accélérer la sortie du nucléaire, malgré les différences entre l’Allemagne et le Japon (risque sismique quasi nul en Allemagne). Elle approfondit la Energiewende, investissant massivement dans l’éolien (environ 500 milliards d’euros) tout en misant sur le gaz russe bon marché, sans anticiper la guerre en Ukraine. Résultat : l’Allemagne importe du GNL coûteux, rouvre des centrales à charbon, et voit ses émissions de gaz à effet de serre s’envoler.
Politique migratoire : En 2015, Merkel accueille 1,5 million de migrants, principalement syriens, avec son célèbre “Wir schaffen das” (“On va y arriver”). Si cette décision répond à une forte dénatalité et à des besoins industriels, elle alimente les peurs migratoires, favorisant plus que probablement le Brexit et la montée de l’extrême-droite allemande (AFD). L’intégration reste un défi, tout comme la gestion de l’antisémitisme lié à certaines communautés immigrées, notamment à Berlin.
Crise grecque : Sa politique d’austérité en Grèce a ralenti le redressement économique du pays mais consolidé l’euro. Critiquée pour son intransigeance envers Athènes comparée à sa bienveillance migratoire, elle justifie ses choix par la nécessité de restaurer la discipline budgétaire.
Le plafond d’endettement mis en place par la chancelière peut paraître excessif au regard de la dette publique allemande (62,6% du PIB début 2024). Appelée “Schuldenbremse » (frein à l’endettement), cette mesure mise en place après la crise des subprimes (2008). a également été critiquée pour limiter la capacité d’investissement public, notamment dans les infrastructures et la transition énergétique. Depuis la pandémie, certains débats portent sur l’assouplissement de cette règle afin de répondre aux défis économiques actuels.
Ses réalisations majeures : leadership, euro, réformes internes, diplomatie
Gestion de la crise de la zone euro : Merkel a évité l’effondrement de la monnaie unique en défendant des mesures d’austérité drastiques. Bien que critiquée pour les souffrances sociales engendrées, elle a maintenu l’unité de la zone euro.
Leadership européen : Naviguant entre Brexit, populismes et divisions sur la migration, Merkel a consolidé le rôle de l’Allemagne comme pilier de l’UE. Pragmatique et consensuelle, elle a souvent agi comme un « capitaine dans la tempête ».
Relations internationales : Malgré des tensions avec Trump, elle a préservé les liens transatlantiques et renforcé les partenariats stratégiques avec la Chine, tout en critiquant ses dérives autoritaires. Son soutien au multilatéralisme a fait de l’Allemagne un acteur diplomatique clé.
Réformes socio-économiques : En poursuivant les réformes du marché du travail et des retraites amorcées par Schröder, elle a modernisé l’économie allemande et maintenu une stabilité remarquable, avec faible chômage et excédents budgétaires, malgré les crises mondiales.
Prospérité intérieure : Sous Merkel, l’Allemagne est restée le moteur économique de l’Europe. Cependant, son manque d’anticipation énergétique amorce un déclin économique que le pays subit aujourd’hui.
Angela Merkel laisse donc derrière elle un héritage contrasté. Si elle a su stabiliser l’Allemagne et l’Europe face à des crises multiples, ses choix sur l’énergie et l’immigration ont contribué aux difficultés actuelles.
Nicolas de Pape
(Photo Belgaimage)