Qui est responsable de la déroute budgétaire de la Région bruxelloise ? Le ministre sortant Bernard Clerfayt s’est exprimé à ce sujet, en omettant de citer quelques marchandages favorables à sa commune de Schaerbeek. Une opinion de notre chroniqueur Luckas Vander Taelen.
Il n’est pas fréquent que des politiciens laissent voir à leurs électeurs les coulisses de leur business. En général, ils hésitent à en parler parce qu’ils sont eux-mêmes impliqués et qu’ils craignent des représailles.
Mais Bernard Clerfayt, ministre DéFi du gouvernement bruxellois démissionnaire, ne mâche pas ses mots dans La Libre Belgique. Il n’a rien à perdre. Son ambition affichée de devenir bourgmestre de Schaerbeek est en miettes, tout comme son parti. Il peut donc parler en toute tranquillité de ce qui n’a pas fonctionné dans les gouvernements bruxellois successifs.
Toujours plus !
Il parle de l’augmentation astronomique du déficit budgétaire et des dettes publiques. Ces dernières ont triplé pour atteindre 14 milliards en 7 ans et atteindront 17 milliards d’ici 2028 si la politique reste inchangée. C’est donc plus du double du budget actuel de 7,8 milliards ! Le déficit budgétaire est de 1,3 milliard, soit pas moins de 17% des recettes : un cauchemar budgétaire qui ne réjouira aucun Bruxellois. Mais ce qui est encore plus déconcertant et inquiétant, c’est l’explication par Clerfayt du dérapage budgétaire total qui a caractérisé les gouvernements Vervoort (PS).
Ce drame a paradoxalement commencé par une bonne nouvelle : la sixième réforme de l’État de 2011 a accordé à la Région bruxelloise un demi-milliard d’euros supplémentaires. C’est le libéral Guy Van Hengel, confident et âme sœur du Premier ministre Rudi Vervoort, qui a géré le budget. Clerfayt à ce sujet : « Tout le monde s’est mis à dépenser plus. Il s’est créé une dynamique du toujours plus ! »
Explosion du personnel
Au lieu de constituer des réserves pour les temps difficiles, comme le ferait un bon père de famille, l’argent a été investi dans du personnel supplémentaire et dans le développement d’unités autonomes au sein de l’administration bruxelloise, avec de nombreuses nominations politiques et de nombreux postes de directeur. En 2005, il y avait 6640 employés ; l’année dernière, ce nombre est passé à 10167. L’augmentation du nombre de fonctionnaires et l’indexation sont à l’origine d’une masse salariale qui a augmenté de moitié en six ans pour atteindre 1,8 milliard €.
Dans le même temps, le PS a lancé un plan particulièrement ambitieux pour le logement social, aussi justifiable que la demande d’Ecolo pour des subsides à l’isolation Renolution. Tout le monde savait qu’il n’y avait pas assez d’argent pour cela. Et si les recettes sont trop faibles, il faut emprunter. Le coût des intérêts annuels sur les emprunts s’élève déjà à 335 millions, soit autant que les investissements dans les transports publics.
L’irresponsabilité de ne pas constituer de réserves pour faire face aux imprévus s’est déjà manifestée en 2016, lorsque des travaux d’entretien urgents des tunnels de Bruxelles se sont avérés nécessaires. Les attentats islamiques de cette année-là ont également entraîné des dépenses supplémentaires en matière de sécurité. À cela s’est ajoutée la crise Covid de 2020.
Des dépenses exubérantes et inappropriées
Le manque d’argent n’a pas freiné les dépenses exubérantes du gouvernement bruxellois, comme l’achat de l’emblématique garage Citroën à Yser, un bâtiment totalement inapproprié pour le centre artistique Kanal, qui a nécessité d’énormes rénovations. La quasi-gratuité des transports publics pour les moins de 25 ans et les plus de 65 ans coûte à la Région 17,4 millions par an. Le coût d’une nouvelle ligne de métro, qui ne fonctionnerait pas avant 2038, s’élève déjà à 4,3 milliards. Les coûts supplémentaires annuels atteindraient 385 millions en 2026. Rien ne va plus au casino de Bruxelles.
Le ministre Ecolo sortant, Alain Maron, impute à juste titre les finances désastreuses à l’absence d’un cadre budgétaire contraignant. Pour lui aussi, la repentance vient après le péché, car son parti n’a jamais eu de problème à ce sujet au cours de la législature précédente. Tant qu’il était possible de dépenser de l’argent, tous les ministres s’y mettaient à coeur joie, sans que personne ne surveille le portefeuille qui se dégonflait. Le ministre des finances, Sven Gatz (Open-VLD), a continué à promettre un budget équilibré pour 2024, en dépit de tout bon sens. Comme nous l’avons dit, le déficit s’élève désormais à 1,3 milliard d’euros !
Le secrétaire d’État sortant Pascal Smet (Vooruit) affirme que Bruxelles souffre d’un sous-financement, mais que l’on ne peut demander plus d’argent aux caisses fédérales que si la Région met de l’ordre dans ses affaires et rend sa gestion plus efficace. Mais le tableau que Clerfayt brosse de la gestion financière est dévastateur, car toute demande d’argent supplémentaire rappellera inévitablement la manière irresponsable dont les fonds alloués après la sixième réforme de l’État ont été gérés.
Il est seulement dommage que Clerfayt ne raconte pas comment il a lui-même joué au jeu de la Région bruxelloise et s’est moqué des dispositions légales en acheminant, en affaires courantes, de l’argent à Schaerbeek. Il n’a renoncé à s’opposer à un prêt supplémentaire de 300 millions pour la Société régionale du logement qu’en échange d’une aide régionale de 20 millions pour sa propre commune en difficulté. Comme quoi on ne sort pas indemne de la politique bruxelloise.
Luckas Vander Taelen, chroniqueur 21 News
(Photo Belgaimage : le ministre bruxellois DéFi Bernard Clerfayt)