Suite de notre entretien avec Florence Bergeaud-Blackler, présidente du CERIF. Après avoir, dans une première partie, présenté les Frères musulmans, attardons-nous sur les ramifications de cette confrérie jusque dans la capitale de l’Europe.
21 News : Diriez-vous que Bruxelles est particulièrement contaminée par cette idéologie par rapport, par exemple, à la Wallonie où la proportion de musulmans est beaucoup moins forte ?
Florence Bergeaud-Blackler : Oui mais c’est juste une question de temps. Si rien n’est fait, la Wallonie va s’aligner sur Bruxelles. C’est inévitable parce que, je le répète, la Belgique est mal équipée pour se défendre. Les personnes qui dénoncent cette situation, comme Fadila Maaroufi à la tête de L’Observatoire européen des Fondamentalismes, sont sérieusement menacées.
J’ai tenté d’alerter moi aussi dans une tribune qui a entraîné contre moi une cabale consistant à m’accuser d’être d’extrême-droite, moi qui vient de la gauche. Mes deux derniers livres ont été censurés en Belgique.
Les défenses immunitaires de la société belge ne fonctionnent pas et il est préoccupant de voir que la capitale européenne risque de passer d’une société « charia compatible » à une société « charia compliante », si rien n’est fait. La montée inquiétante de l’antisémitisme et le laxisme des autorités bruxelloise face aux manifestations pro-Hamas (le Hamas est une branche des Frères musulmans) en dit beaucoup…
« On a persuadé les politiciens que résister à l’islamisme relevait de l’islamophobie »
21 News : Est-ce qu’on peut oser faire un lien avec le fait que Bruxelles a vu naître énormément de terroristes djihadistes qui ont endeuillé la Belgique et la France ? Les Frères ont-ils préparé le terrain ?
F. B.-B. : Oui le terrain était particulièrement favorable. Il n’y a pas de réponse ni sécuritaire ni scientifique, ni médiatique. À droite, seul le MR résiste un peu. Il a le vote juif plutôt que le vote musulman, mais les Juifs ne sont pas très nombreux. Ils se sont réfugiés au MR car ils se sentent menacés par les autres partis. C’est le vote refuge pour une communauté juive maltraitée. Nous avons observé cela au travers d’une enquête sur la nourriture casher qui mettait en évidence un sentiment d’insécurité élevé chez les Belges.
21 News : Avec l’avènement de la Team Ahidar, nous avons observé à Bruxelles un glissement entre les partis « communautaristes » et un parti carrément communautaire qui vient de rafler trois sièges au Parlement bruxellois sur 17 sièges du rôle flamand. Est-ce que cette Team Ahidar prélude une évolution générale vers des listes communautaires à votre avis ?
F. B.-B. : C’est justement le passage de « sharia compatible » à « sharia compliante ». Les partis socialiste et écolo les ont nourris dans leur sein. On a persuadé les politiciens que résister à l’islamisme relevait de l’islamophobie. Là, la « Team » passe dans l’espace visible. « Team » est un mot sympathique, anglo-saxon, dans le vent.
Mais il faut comprendre la dynamique de l’islamisation. Il y a toujours plus halal que halal. À Bruxelles, l’immense majorité des musulmanes portent le voile. C’eut été inimaginable il y a 30 ans. Rien ne satisfait assez un Dieu exigeant. Mais surtout, ce qu’il faut comprendre, c’est que les Frères ont une vision systémique de la religion. Le voile n’est pas un vêtement ni un signe, c’est une norme de séparation qui structure la société, qui organise la vie quotidienne, les déplacements. Dénoncer ce système théocratique incompatible avec un régime démocratique est considéré comme islamophobe. En attendant, on laisse un nombre croissant de femmes belges être rééduquées selon ce système, notamment par l’arraisonnement du corps. Les conséquences sur les générations futures sont incalculables.
« Le voile organise la division du travail et de l’espace »
21 News : Est-ce que le voile est un étendard ? Un marqueur géographique pour les islamistes ?
F. B.-B. : Je n’ai jamais considéré les choses sous cet aspect. Le voile n’est pas un marqueur. Je veux dire : ce n’est pas juste un « badge » qu’on retire à volonté. Derrière le voile se cache toute une organisation sociale. Elle bâtit une société non-mixte. Le voile organise la division du travail et de l’espace.
21 News : Vous parliez de défense immunitaire. La Belgique a voté il y a plusieurs mois maintenant. L’électeur a clairement désigné comme vainqueur la NVA, le MR, Les Engagés et le parti socialiste flamand. Une coalition de centre-droit se dessine. Est-ce qu’on peut imaginer une prise de conscience ?
F. B.-B. : J’ai des doutes. Je me souviens il y a 3 ou 4 ans, nous avions rencontré un dirigeant du MR, plutôt sur la ligne : « On va essayer de trouver des musulmans laïques. Ils convaincront d’autres musulmans. » Cela ne fonctionne pas dans les faits. Il faut beaucoup plus de courage politique. Beaucoup trop de gens ont peur de perdre leur position, leur argent. Et puis la corruption fait le reste.
21 News : Comment expliquer que Fadila Maaroufi ne soit jamais invitée dans les médias et que Fouad Ahidar est reçu sur tous les plateaux notamment dans les médias bruxellois ? Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
F. B.-B. : Les médias ont fait leur choix. Ils sont dominés par la gauche qui domine le front culturel. Ils ont choisi leur poulain : Fouad Ahidar. Fadila Maaroufi s’est retrouvée, elle, entravée pendant des années par des néoféministes complètement loufoques (je pèse mes mots) qui l’ont empêchée de parler. Il y a quelques personnes courageuses qui combattent cela mais elles sont vite mises hors d’état de « nuire » et rien ne se passe.
21 News : Y a-t-il des solutions à la situation que vous dénoncez ?
F. B.-B. : Il faut regarder ce qui se passe dans les universités. Le wokisme dominant abêtit les étudiants, les entraîne vers toutes sortes de compromissions, notamment avec des groupes comme Samidoun et autres soutiens pro-Hamas. Felice Dassetto, un sociologue italien spécialisé dans l’étude de l’islam en Europe qui a été le directeur de thèse de Brigitte Maréchal et a collaboré avec elle sur plusieurs ouvrages concernant l’islam en Belgique et en Europe, avait commencé un bon travail de mapping.
21 News : Le manque de réaction dans les universités et dans la presse est lié, j’imagine, aux menaces qui pèsent sur les courageuses personnes qui veulent enquêter. Être menacé de mort n’est pas marrant…
F. B.-B. : C’est vrai que, dans nos sociétés pacifiées, la terreur, ça fonctionne.
Entretien : Nicolas de Pape
Florence Bergeaud-Blackler, docteur en anthropologie (HDR), est chargée de recherche au CNRS. Elle préside le Centre Européen de Recherche et d’Information sur le Frérisme (CERIF).