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Gouvernement De Wever : trop peu de femmes ? Oui, mais rien d’exceptionnel !

par Contribution Externe

Le nouveau gouvernement de Bart de Wever compte quatre femmes ministres : Anneleen Van Bossuyt (N-VA), Eléonore Simonet (MR), Annelies Verlinden (CD&V) et Vanessa Matz (Les Engagés). Sur quinze membres cela représente une proportion d’environ 27%. Se pose ainsi, une nouvelle fois, la question de la place des femmes dans la politique belge. Une analyse de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.

De toute l’histoire de Belgique, c’est indéniablement le gouvernement sortant d’Alexander De Croo qui a été le champion « toutes catégories ». En effet, il a appliqué à la lettre le principe de la « parité » hommes-femmes au sein du conseil des ministres : sept hommes et sept femmes. À cela s’ajoute le fait qu’il a été le premier gouvernement en Europe à nommer un ministre transgenre, Petra De Sutter. Même en y adjoignant les cinq secrétaires d’État, l’équilibre était presque parfait : dix hommes et neuf femmes. En 2022, cet équilibre s’est même inversé, passant à dix femmes et neuf hommes, à la suite de la nomination de Nicole de Moor comme secrétaire d’État, en remplacement de Sammy Mahdi, démissionnaire car élu président des démocrates-chrétiens flamands du CD&V.

La tendance à nommer de plus en plus de femmes dans les gouvernements belges est, cependant, relativement récente et remonte à la toute fin du XXe siècle et à notre XXIe siècle.

La première femme ministre en… 1965 !

La première femme à devenir membre d’un gouvernement belge fut la sociale-chrétienne flamande (C.V.P.) Marguerite De Riemaecker-Legot, ministre de la Famille et du Logement dans le gouvernement de Pierre Harmel en 1965, soit cent-trente-cinq ans après l’indépendance du pays en 1830 !

La participation des femmes aux gouvernements doit naturellement être mise en parallèle avec l’octroi tardif du droit de vote, qui ne leur a été accordé que par une loi du 27 mars 1948.

Certaines catégories de femmes ont pu voter dès 1919 en vertu de la loi du 19 mai de la même année instaurant le suffrage universel pur et simple pour les hommes. Toutefois, cela ne concernait que douze mille femmes sur un total d’un million sept cent soixante-mille électeurs. Il s’agissait des veuves non remariées des militaires morts au cours de la guerre et, à leur défaut, de leurs mères, si celles-ci étaient veuves, ainsi que des mères veuves des militaires célibataires.

Étaient également concernées les veuves non remariées de citoyens belges fusillés, ou tués par l’ennemi au cours de la guerre et, à défaut, leurs mères, si celles-ci étaient veuves, ainsi que les mères veuves de ces citoyens célibataires. Enfin, les femmes condamnées à la prison ou détenues préventivement au cours de l’occupation ennemie pour des motifs d’ordre patriotique avaient également le droit de vote.

Paradoxalement, les femmes ont pu être élues à la Chambre et au Sénat dès 1920, sur la base de deux lois adoptées les 15 novembre 1920 et 15 octobre 1921.

La Belgique à la traîne

À titre de comparaison, la Nouvelle-Zélande a accordé le droit de vote aux femmes en 1893, la Finlande en 1906 (premier pays européen), la Norvège en 1913, ainsi que l’Islande et le Danemark en 1915. Parmi nos voisins directs, le Royaume-Uni a octroyé ce droit en 1918 et les Pays-Bas en 1919.

On n’a guère fait mieux quant à la désignation de femmes ministres.

Nina Bang est devenue ministre au Danemark en 1924, Miina Sillanpää en Finlande en 1926 et Frederica Montseny en Espagne en 1936. De très nombreuses femmes ont été nommées ministres dans plusieurs pays de l’ex-Bloc de l’Est ou communistes à partir de 1945 (Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Tchécoslovaquie…). Même la France nous a devancés avec Germaine Poinso-Chapuis en 1947, tout comme les Pays-Bas avec Marga Klompé, en 1956.

Marguerite De Riemaecker-Legot a conservé sa fonction ministérielle dans le gouvernement suivant, dirigé par Paul Vanden Boeynants, en 1966.

Les deux premières femmes secrétaires d’État furent la socialiste francophone (P.S.B.) Irène Pétry et la sociale-chrétienne flamande (C.V.P.) Maria Verlackt-Gevaert dans le gouvernement d’Edmond Leburton en 1973.

Un lent processus vers l’égalité

Il faut attendre 1974 et le premier gouvernement de Leo Tindemans pour qu’une deuxième femme devienne ministre. Il s’agit de Rika De Backer-Van Ocken, sociale-chrétienne flamande (CVP), chargée de la Culture néerlandaise et des Affaires flamandes. Elle conservera ce poste sous les gouvernements Tindemans II, III et IV, ainsi que dans le gouvernement Vanden Boeynants II. Par la suite, elle sera ministre de la Communauté néerlandaise dans les gouvernements Martens I et II, ministre de la Communauté flamande dans le gouvernement Martens III, secrétaire d’État à la Communauté flamande dans le gouvernement Martens IV, et, enfin, secrétaire d’État adjointe au ministre de la Communauté flamande dans le gouvernement de Mark Eyskens. Elle aura ainsi été membre du gouvernement du 25 avril 1974 au 16 décembre 1981.

D’autres femmes intègreront les exécutifs nationaux à partir du deuxième gouvernement de Wilfried Martens, en 1980 : Rika Steyaert, Lydia De Pauw-Deveen, Cécile Goor-Eyben, Lucienne Herman-Michielsens, Paula D’Hondt-Van Opdenbosch, Jacqueline Mayence-Goossens, Anne-Marie Neyts-Uyttebroeck, Miet Smet, Wivina Demeester-De Meyer, Anne-Marie Lizin, Leona Detiège, Laurette Onkelinx, Mieke Offeciers-Van de Wiele, et Magda De Galan. Toutefois, elles seront essentiellement reléguées à des postes de secrétaires d’État.

Ce n’est qu’à partir de 1992 que l’on perçoit une évolution. Pour la première fois, trois femmes sont nommées ministres dans le premier gouvernement de Jean-Luc Dehaene : Miet Smet, Laurette Onkelinx (puis Magda De Galan) et Mieke Offeciers-Van de Wiele.

Le deuxième gouvernement Dehaene, en 1995, marque un recul, ne comptant plus qu’une seule femme ministre : Miet Smet.

Les premières vice-Premières de Verhofstadt

Avec le gouvernement « arc-en-ciel » de Guy Verhofstadt en 1999, une nette progression est observée. Il compte non seulement trois femmes ministres (Laurette Onkelinx, Isabelle Durant et Magda Aelvoet), mais, fait inédit, les deux premières sont également Vice-Premières ministres. En 2000, le nombre de femmes au sein du gouvernement augmente avec la nomination d’Anne-Marie Neyts-Uyttebroeck comme secrétaire d’État. L’année suivante, en 2001, elle est élevée au rang de ministre, portant ainsi le nombre de femmes ministres à quatre. Cependant, ce chiffre redescend à trois après la démission de Magda Aelvoet en 2002, puis à deux en toute fin de mandature en 2003, après le départ d’Isabelle Durant.

Les femmes sont ensuite de plus en plus présentes dans les exécutifs fédéraux.

En 2003, la coalition « violette » de Guy Verhofstadt, s’adjoint cinq femmes ministres (Laurette Onkelinx, Fientje Moerman, Marie Arena, Sabine Laruelle, et Freya Van den Bossche) ainsi que deux femmes secrétaires d’État (Anissa Temsamani, puis Kathleen Van Brempt, et Isabelle Simonis), soit un total de sept. En 2004, le nombre de femmes au gouvernement atteint brièvement huit avec l’entrée de la secrétaire d’État Frédérique Ries. Cependant, la même année, à la suite de plusieurs démissions et remaniements, le nombre redescend à trois ministres et deux secrétaires d’État.

Le gouvernement transitoire de Guy Verhofstadt en 2007 compte trois femmes ministres : Laurette Onkelinx, Sabine Laruelle et Inge Vervotte.

Des femmes remplacées par des hommes

En 2008, avec le premier gouvernement d’Yves Leterme, la présence des femmes s’accroît à nouveau, avec un total de huit : sept ministres (Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet, Sabine Laruelle, Marie Arena, Inge Vervotte, et Annemie Turtelboom) ainsi qu’une secrétaire d’État (Julie Fernandez-Fernandez). Il s’agit du deuxième meilleur résultat de l’histoire de Belgique, après le gouvernement d’Alexander De Croo.

En 2008, le gouvernement d’Herman Van Rompuy compte cinq femmes ministres (Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet, Sabine Laruelle, Marie Arena, et Annemie Turtelboom) ainsi qu’une secrétaire d’État (Julie Fernandez-Fernandez). Cependant, après les démissions de Marie Arena et Julie Fernandez-Fernandez en 2009, toutes deux remplacées par des hommes, la présence féminine au sein du gouvernement passe de six à quatre.

En 2009, le gouvernement Leterme II compte également cinq femmes ministres : Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet, Sabine Laruelle, Annemie Turtelboom et Inge Vervotte.

En 2011, le gouvernement d’Elio Di Rupo maintient cinq femmes ministres (Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet, Sabine Laruelle, Annemie Turtelboom et Monica De Coninck) et y ajoute une secrétaire d’État (Maggie De Block). En 2014, Joëlle Milquet démissionne et est remplacée par un homme. Parallèlement, Catherine Fonck est nommée secrétaire d’État. Quelques jours plus tard, Maggie De Block est promue ministre, son secrétariat d’État étant supprimé.

Dans le gouvernement Michel I de 2014, il n’y a plus que trois femmes ministres (Maggie De Block, Marie-Christine Marghem et Jacqueline Galant) et une secrétaire d’État (Elke Sleurs). En 2015, une femme supplémentaire est nommée :  Sophie Wilmès, qui remplace un homme. En 2016, Jacqueline Galant démissionne et est remplacée par un homme. En 2017, Zuhal Demir succède à Elke Sleurs.

Sophie Wilmès, l’exception

Dans son deuxième gouvernement en 2019, Charles Michel maintient trois femmes ministres : Maggie De Block, Marie-Christine Marghem et Sophie Wilmès. Peu de temps après, une quatrième, Nathalie Muylle, rejoint le gouvernement.

En 2019, la libérale francophone (MR) Sophie Wilmès devient la première femme Première ministre de l’histoire du pays, cent quatre-vingt-neuf ans après l’indépendance de la Belgique ! Par ailleurs, son gouvernement compte trois femmes ministres : Maggie De Block, Nathalie Muylle et Marie-Christine Marghem.

En matière de désignation de femmes à la tête d’un gouvernement, la Belgique ne peut pas être qualifiée d’exemplaire. À titre d’exemples, Sirimavo Bandaranaike a été Première ministre du Sri Lanka à trois reprises à partir de 1960. Indira Gandhi a dirigé le gouvernement indien à deux reprises dès 1966. Golda Meir est devenue Première ministre d’Israël en 1969. Benazir Bhutto a marqué l’histoire en devenant, dès 1988, la première femme Première ministre d’un pays à majorité musulmane, le Pakistan, et ce à deux reprises.

Plus près de chez nous, Margaret Thatcher a dirigé le gouvernement britannique de 1979 à 1990, tandis qu’Édith Cresson a été nommée Première ministre en France en 1991. Quant à Angela Merkel, elle a occupé le poste de Chancelière d’Allemagne pendant 16 ans, de 2005 à 2021.

Le gouvernement Wilmès II, dit de la « pandémie COVID-19 », en 2020 maintient en fonction les mêmes trois femmes ministres : Maggie De Block, Nathalie Muylle, et Marie-Christine Marghem.

La parité de la Vivaldi

Enfin, comme mentionné précédemment, le gouvernement « Vivaldi » d’Alexander De Croo bat tous les records en comptant sept femmes ministres (Sophie Wilmès, Karine Lalieux, Ludivine Dedonder, Zakia Khattabi, Annelies Verlinden, Meryame Kitir, et Tinne Van der Straeten) ainsi que deux secrétaires d’État (Sarah Schlitz et Eva De Bleeker). En 2022, une secrétaire d’État supplémentaire est nommée : Nicole de Moor, qui remplace un homme. La même année, Sophie Wilmès démissionne pour des raisons familiales et est remplacée par Hadja Lahbib, qui reprend la plupart de ses compétences. Toujours en 2022, Alexia Bertrand succède à Eva De Bleeker, et peu après, Caroline Gennez est nommée ministre à la place de Meryame Kitir, également remplacée par un homme. En 2023, Sarah Schiltz est remplacée par Marie-Colline Leroy.

On le constate, la Belgique n’a certainement pas été le meilleur élève, ni en Europe ni dans le monde, en ce qui concerne la place des femmes dans ses gouvernements. Il a fallu patienter longtemps avant que leur nombre ne s’accroisse réellement au sein des exécutifs.

Avec quatre femmes ministres, le gouvernement « Arizona » se classe à la sixième position en termes de représentation féminine ministérielle depuis la création du pays, à égalité avec les gouvernements Wilmès I et II. Ce n’est pas « Byzance », ce n’est pas dans « l’air du temps », c’est même peut-être « à contre-courant », mais ce n’est pas non plus, au regard de notre histoire politique « exceptionnel ». En effet, si l’on se base sur la moyenne des trente-huit dernières années, depuis le gouvernement Dehaene I, la proportion de femmes ministres a été d’environ 26%.

À noter que le record de longévité au pouvoir d’une femme ministre appartient à la socialiste francophone (PS) Laurette Onkelinx. Elle a été ministre sans interruption dans les gouvernements Verhofstadt I, II, III, Leterme I, Van Rompuy, Leterme II et Di Rupo, du 12 juillet 1999 au 10 octobre 2014, soit pendant plus de quinze ans.

Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant

(Photo Belga : Benoît Doppagne)

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