Difficile de dire s’il s’agit du début d’une traversée du désert ou d’une simple bourrasque hivernale pour les partis de centre-droit. Mais le dernier Grand Baromètre de RTL/IPSOS/HLN indique un premier recul du MR et des Engagés en Wallonie. Il est évidemment trop tôt, trop superficiel et trop ténu pour entrer dans une phase de panique. Mais voici pourquoi Bouchez et Prévot doivent néanmoins prendre au sérieux ces premiers vents contraires…
Ceci est un sondage. C’est-à-dire une photographie, l’instantané d’un moment politique figé dans le temps. Et sur la ligne du temps, ce Grand Baromètre est le premier qui suit l’annonce des mesures du gouvernement de Bart De Wever. Or, le Premier ministre n’a pas vendu du rêve aux Belges, loin de là. Dans une sorte de discours de vérité, il a promis du sang, des larmes et de la rigueur budgétaire qui impactera directement la vie et le train de vie de nombreux Belges.
On n’annonce pas des mesures radicales dans le secteur du chômage (allocations limitées à deux ans maximum), un tour de vis dans les pensions via des carrières plus longues, sans perdre des plumes dans l’opinion publique, surtout en Wallonie. Si l’on y ajoute la volonté de réformer et d’alléger la fonction publique, la fin de certains régimes préférentiels de retraite et – côté francophone – la colère qui gronde dans le monde de l’enseignement, on comprend que tous les ingrédients étaient réunis pour que ce premier sondage de l’ère de l’Arizona ne soit pas favorable au MR et aux Engagés.
Soyons clairs : c’est plutôt le contraire qui aurait été surprenant. Si les partis de Georges-Louis Bouchez et de Maxime Prévot avaient continué à progresser après le train de mesures annoncé au fédéral, cela aurait voulu dire que les partis d’opposition étaient encore KO. Mauvaise nouvelle pour le centre-droit : ce n’est pas le cas.
C’est un marathon, pas un sprint
Il convient de distinguer l’impact de ces mesures sur les opinions publiques du nord et du sud du pays. Si l’on en croit ce Grand Baromètre, c’est en Wallonie que l’opposition au gouvernement De Wever est la plus forte. Le MR et les Engagés perdent des plumes, alors que le PS et surtout le PTB semblent profiter de la crainte sociale provoquée par les mesures de l’Arizona.
En Flandre, en revanche, la N-VA reste stable, même si le Vlaams Belang passe très légèrement devant. Toutefois, ces variations se situent dans la marge d’erreur du sondage, tout comme l’érosion de Vooruit et du CD&V. Autrement dit, la variation est trop limitée pour qu’on puisse en tirer des conclusions sérieuses.
D’une manière générale, attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. Comme rappelé plus tôt, il s’agit d’une photographie à un moment donné, influencée par l’actualité et l’émotion plus que par une réflexion structurée. De plus, la course vers les seuls vrais résultats qui comptent – les élections – n’a rien d’un sprint. Il s’agit plutôt d’un marathon jusqu’au scrutin de 2029, qui sera le seul à véritablement trancher sur les forces en présence.
D’ici là, ce sont les résultats du 9 juin 2024 qui restent d’application. En politique, il faut toujours distinguer le temps court et le temps long. Il ne faut pas non plus négliger une stratégie bien connue des gouvernements : mieux vaut faire passer les mesures les plus impopulaires en début de législature et finir avec des annonces positives. Ce n’est pas un hasard si les augmentations de salaires promises ne seront réellement visibles que dans quelques années et prendront de l’ampleur à l’approche des élections.
Mais cette stratégie est-elle infaillible ? Rien n’est moins sûr. Sous la majorité « Suédoise » de Charles Michel, la réforme de l’âge de la retraite à 67 ans, annoncée dès le début du mandat, avait plombé la majorité durant toute la législature. Le risque que cette vague d’impopularité se prolonge existe à nouveau. Ce sera tout l’enjeu pour l’opposition, mais aussi pour le gouvernement, qui devra modifier le récit politique en présentant des résultats et en profitant des évolutions, notamment internationales, comme les tensions entre l’Europe et les États-Unis ou la menace russe, qui pourraient bénéficier à la majorité en place.
MR-Engagés : le risque de la nervosité
Un sondage ne change pas une élection, mais il peut provoquer des turbulences internes au sein des partis et des coalitions. Ce sondage constitue une première alerte. Si les mauvaises tendances se confirment, cela risque d’accentuer la nervosité au sein du MR et, surtout, des Engagés.
Le parti de Maxime Prévot, qui a réussi un retour spectaculaire avec son repositionnement, n’a pas envie de retomber dans l’ombre. Si les baisses s’accumulent, c’est chez les centristes que l’inquiétude pourrait naître en premier. D’autant que le départ annoncé de Maxime Prévot de la présidence du parti et l’arrivée probable d’Yvan Verougstraete constituent une équation à plusieurs inconnues. Comment évoluera le parti sur le plan politique ? Comment la mise en retrait – même relative – de Maxime Prévot sera-t-elle perçue par ses électeurs ? Et surtout, comment le tandem MR-Engagés résistera-t-il à plusieurs vagues de sondages négatifs ?
Au MR aussi, quelques tensions pourraient apparaître si la tendance se prolonge. La victoire du 9 juin a renforcé Georges-Louis Bouchez, mais le parti réformateur est historiquement sujet aux divisions internes. De plus, la popularité de Sophie Wilmès, qui trône en tête des personnalités politiques, contraste avec le profil clivant de GLB, ce qui pourrait raviver certains débats internes.
À gauche, le PTB se redresse et freine la remontée du PS
Les élus du PS se réjouissent de leur progression en Wallonie, où le parti prend la tête dans le Grand Baromètre. Mais un chiffre vient assombrir ce tableau : l’ascension fulgurante du PTB, qui enregistre la plus forte progression du sondage.
C’est d’autant plus surprenant que le parti de Raoul Hedebouw semblait discret depuis la mise en place du gouvernement De Wever. Cela signifie que le PS devra non seulement mener l’opposition contre le gouvernement, mais aussi surveiller sa gauche, sous peine de se voir disputer le rôle de meilleur défenseur de l’État social.
Ecolo, retour à la case départ
Enfin, un dernier mot sur Ecolo, qui stagne dans la marge d’erreur du sondage. Pas de chute, mais pas de redressement spectaculaire non plus. Contrairement au PS et au PTB, les écologistes ne parviennent pas à capter les premiers déçus de l’Arizona ni à séduire les électeurs centristes des Engagés.
Ecolo semble ainsi perdre la bataille des gauches et de l’opposition. La faute, sans doute, à une ligne politique peu claire. Les deux nouveaux co-présidents avaient pourtant lancé le concept d’« écologie populaire », promettant un retour aux fondamentaux du parti. Mais aujourd’hui, Ecolo donne l’impression de reproduire les erreurs du passé en adoptant une communication, clivante, disruptive et « boboïsante » qui l’éloigne plus que jamais de l’écologie populaire.
Demetrio Scagliola
(Photos : Belgaimage)