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La victoire de Trump, un « wake-up call » pour l’Europe ?

par Contribution Externe
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Les électeurs de la plus ancienne démocratie du monde ont fait leur choix. Qu’en penser ? Une contribution de Corentin de Salle, Directeur scientifique du Centre Jean Gol.

Premièrement, en tant que libéral viscéralement attaché à la liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services, je crains le retour du protectionnisme américain et le repli sur soi. Or, c’est précisément l’ouverture des marchés et la mondialisation libérale qui ont fait passer le taux d’extrême pauvreté affectant 85% de la population mondiale en 1820 à moins de 10% aujourd’hui.

Deuxièmement, en tant que partisan du trans-atlantisme et de la doctrine du président américain Woodrow Wilson prônant la propagation de la démocratie et de la liberté dans le reste du monde, je crains que, dans un monde (Russie, Chine, Turquie, Iran, etc.) devenu de plus en plus hostile aux valeurs qualifiées erronément d’« occidentales » (en réalité universelles), l’Amérique trumpiste se désinvestisse encore davantage de ce combat. Le futur de l’Ukraine, et de l’Europe, est extrêmement préoccupant à plus d’un titre.

Trump, un président fantasque dans une démocratie mature

Troisièmement, contrairement à ce qu’on peut lire en ce moment, cette victoire républicaine, ce n’est pas non plus la fin du monde. Cela fait plus de 50 ans que certaines bonnes consciences affirment que l’Amérique va renverser la démocratie et devenir un État autoritaire fasciste et raciste. Cela ressurgit chaque fois qu’un Républicain est élu président. On disait cela sous Reagan. On disait cela sous Bush. On disait cela sous Trump I. En réalité, la démocratie américaine est la démocratie à la fois la plus ancienne de la planète, la plus solide et la plus résiliente. Qui sommes-nous, nous Européens, pour prodiguer des leçons de démocratie aux Américains ? Quel est le continent qui a fait du 20e siècle le siècle le plus noir de l’histoire ? Quel est le continent qui a engendré les deux idéologies les plus meurtrières de l’histoire ? Quel est le continent qui a enfanté les deux régimes les plus criminels de l’histoire ? Quel est le continent qui a atteint, à deux reprises, l’apothéose du mal et de la cruauté ? Le nôtre évidemment. L’Amérique, elle, est toujours restée une démocratie. Évidemment, l’Amérique est critiquable à maints égards : l’esclavagisme, le ségrégationnisme, le maccarthysme, etc. Mais elle est toujours restée une démocratie. L’Amérique est un pays conservateur. Sur le plan éthique, moral et religieux. Mais aussi sur le plan des principes démocratiques des Pères Fondateurs. La Constitution est vénérée comme un texte sacré. Et, outre les sacro-saintes libertés fondamentales, elle contient toute une série de garanties, de « checks and balances ».

Trump a été élu par une écrasante majorité d’Américains. Et les Américains sont – comme chacun le sait en Europe – le peuple le plus bête du monde. Ils sont tellement bêtes que l’Amérique est la plus grande puissance économique, technologique et militaire de la planète. L’Amérique est tellement raciste que c’est le pays qui, depuis 250 ans, accueille la quantité la plus massive d’immigrés sur son territoire. Parfois, je me dis que c’est vraiment dommage que les Européens ne soient pas aussi bêtes que les Américains.

Certes, Trump est fantasque, capricieux, narcissique, colérique, vindicatif et imprévisible mais un président ne fait pas ce qu’il veut dans une démocratie. Surtout pas la démocratie américaine qui est dotée de nombreux contre-pouvoirs et qui, avec Israël, est l’une des seules au monde à avoir démis un président en exercice – lors de l’affaire du Watergate. Dans l’Antiquité, les philosophes énuméraient les qualités (prudence, tempérance, force et justice) que devait posséder le gouvernant. Au moyen âge, toute une littérature (les « miroirs des princes ») existait pour éduquer moralement les futurs souverains. Cela n’empêchait en rien l’abus, l’arbitraire voire le crime. Dans une démocratie, on ne fait heureusement plus dépendre le sort d’un pays d’hypothétiques qualités morales de son dirigeant mais bien d’un arsenal de procédures et de garanties inscrites dans la Constitution, à commencer par des élections organisées de manière régulière.

Et si l’Europe s’interrogeait sur les raisons de sa faiblesse ?

Quatrièmement, si, en Europe, nous sommes autant atterrés par cette victoire de Trump, c’est avant tout parce que nous sommes nous-mêmes, par notre propre faute, devenus extrêmement dépendants de ce grand pays qu’on fustige à tout propos. Dépendants économiquement et surtout militairement. Plutôt que de condamner voire de mépriser l’électeur américain, ne serait-il pas salutaire  de s’interroger sur les raisons de notre propre faiblesse ? Si nous étions une vraie puissance politique, nous nous sentirions infiniment moins menacés par l’évolution des USA. Et nous ne serions pas condamnés à pâtir – à propos d’une guerre qui fait rage au cœur même de notre continent – les conséquences d’un vote d’électeurs vivant à plusieurs milliers de kilomètres d’ici.

Cinquièmement, on peut penser ce qu’on veut des USA mais reconnaissons que nous n’avons pas l’équivalent des GAFAM. Nous n’avons pas l’écosystème universitaire et technico-industriel permettant l’émergence de visionnaires de génie tels que Musk. Nous n’avons pas de souveraineté énergétique. En réalité, nous n’avons, au niveau de l’UE, aucune grande vision, aucune ambition, aucun projet enthousiasmant. Abandonnons ces chimères suicidaires de « décroissance », de « fin du travail » et de société « post-industrielle » et « post-historique ».

Sixièmement, de la même manière que la guerre en Ukraine a soudainement fait prendre conscience à l’Europe que, sans un renouvellement et une extension de notre industrie nucléaire, nous étions condamnés, comme l’Allemagne, à dépendre du gaz russe, cette victoire de Trump n’est-elle pas, paradoxalement, pour nous une chance historique ? Un « wake-up call » pour ré-industrialiser massivement notre continent et ouvrir la voie à une transition écologique high-tech ? Pour développer une production énergétique abondante, pour ouvrir des mines, pour créer des industries de captation de carbone, pour mettre en place un écosystème intercontinental de production des molécules vertes et de carburant synthétique ? Pour intensifier et décarboner l’agriculture grâce aux nouvelles techniques génomiques ? Pour développer l’économie numérique, l’intelligence artificielle et les technologies de pointe ? Pour relancer l’industrie militaire et mettre en place une vraie Europe de la défense, etc. ?

L’Europe doit retrouver les valeurs universelles

Septièmement, la leçon de cette victoire, ce n’est pas uniquement – ni même principalement – la victoire du populisme et des fakes news. Ni même de la haine. Mais l’expression d’un ras le bol et d’un rejet massif – par les populations (y compris celles des minorités comme les Latinos) – de ce sempiternel discours du ressentiment contre l’Occident, de la décolonisation, de la repentance, de la haine de soi, de la culpabilisation de l’homme blanc, du procès constant de la masculinité, de la « blanchéité », etc. Tout en continuant à lutter contre le racisme, le sexisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la transphobie, etc., tout en reconnaissant à chacun le droit de choisir son identité et tout en continuant à protéger les minorités de tout ordre, nous serions avisés de prendre congé de cette idéologie mortifère qu’est le wokisme (ou peu importe le nom qu’on lui donne) qui gangrène aujourd’hui la culture, le monde associatif et l’université.

Enfin, conquérir les moyens de ses ambitions, c’est aussi acquérir la force de propager les valeurs universelles (libertés fondamentales, État de droit et démocratie) : pour l’Europe, redevenir tout à la fois une puissance militaire indépendante des USA et une puissance économique prospère et innovante dans le monde est indispensable pour redevenir une puissance politique. Et avoir la crédibilité et les moyens économiques et militaires de défendre, ici et ailleurs, dans les enceintes internationales et sur le terrain, verbalement et physiquement, les valeurs universelles que nous avons historiquement découvertes et proclamées.

Corentin de Salle (les intertitres sont de la rédaction)

(Photo Jim Watson/AFP : Donald Trump et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen – Forum économique de Davos, 21 janvier 2020)

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