Notre chroniqueur Lode Goukens s’interroge : la Wallonie a-t-elle vraiment une stratégie en matière de diplomatie ? Sa réponse est négative. Selon lui, la Wallonie ne joue pas assez la carte qui lui est offerte par le système institutionnel belge, pourtant unique au monde. Analyse.
Lors de la présentation du livre de l’ancien diplomate flamand Axel Buyse, des hauts fonctionnaires, politiciens, membres de cabinets et journalistes discutaient des acquis et des limites de la diplomatie flamande dans une grande salle bien remplie du Parlement flamand. Ce fut un échange fort intéressant, mais dans un réflexe, je me suis demandé si un tel exercice sur la diplomatie wallonne, ou même francophone, serait possible.
Je ne vais pas laisser traîner le suspense. La réponse est clairement : Non. Et je vais vous faire part de mon impression.
D’abord, il y a une entrave institutionnelle. Pour les matières liées aux personnes, c’est à la Fédération Wallonie-Bruxelles de les gérer. Pour les matières territoriales (économiques, environnementales, etc.), cela relève des compétences des régions : la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale.
Néanmoins, les institutions nécessaires pour faire vivre la Wallonie sur la scène internationale ont le mérite d’exister. Prenons par exemple le service de l’AWEX, doté d’un budget une fois et demie plus élevé que celui de son homologue flamand, Flanders Investment and Trade (FIT). Toerisme Vlaanderen, FIT et d’autres agences collaborent avec un réseau diplomatique flamand à travers le monde.
S’équiper d’institutions ou d’agences est une chose, développer une stratégie en est une autre. La volonté wallonne dans ce domaine semble manifestement faire défaut. Il y a des raisons prosaïques pour expliquer cette négligence, voire une incrédulité face à la nécessité d’une diplomatie wallonne. Comme vous vous en doutez, je vais vous présenter la raison principale : le quasi-monopole du MR sur la diplomatie fédérale depuis plusieurs décennies.
Participations « carnavalesques » aux sommets de la Francophonie
Oublions les participations carnavalesques aux sommets de la Francophonie. Parlons de diplomatie véritable : des pourparlers internationaux sérieux pour promouvoir les intérêts de l’économie, du tourisme et du secteur culturel wallon. En plus de l’agriculture, de l’industrie, des universités, une telle diplomatie devrait surtout placer le gouvernement wallon sur la carte du monde. Un gouvernement qui soit le partenaire privilégié d’investisseurs, de clients, de fournisseurs ou de consommateurs.
N’évoquons pas ici les récentes débâcles, comme celles des usines de batteries ou du parc LEGO sur le site abandonné par Caterpillar. Généralement, les démarches wallonnes en matière de diplomatie internationale se limitent à des visites de foires et à des participations ministérielles aux missions économiques fédérales. Les initiatives fédérales n’excluent jamais une certaine assertivité régionale, comme le montrent les Flamands depuis des décennies. Participer pour des selfies sur les réseaux sociaux et des banquets succulents n’est pas de la diplomatie, mais du théâtre.
La Belgique est un pays unique en matière de diplomatie. L’un des rares pays au monde où les gouvernements régionaux peuvent signer des traités avec d’autres États. Cela s’explique par le principe « in foro interno, in foro externo », un principe de droit romain et ecclésiastique qui est devenu, depuis longtemps, un principe de gouvernement dans la Belgique fédérale. Cela signifie, en gros, que le gouvernement régional obtient toutes les responsabilités sur les compétences qui lui sont octroyées par la Constitution, y compris la responsabilité d’entreprendre une diplomatie sur ces sujets. Je le répète : c’est unique au monde.
Accroître l’autonomie de la Flandre
Il va de soi que pour les politiciens flamands régionalistes — voire séparatistes — ces pouvoirs sont un moyen d’accroître leur autonomie. La question se pose alors : pourquoi l’autonomie wallonne, incarnée par un ministre, n’assume-t-elle pas ces responsabilités ? Est-ce par désintérêt ou par laxisme ? Peut-être la particratie francophone cherche-t-elle à homogénéiser les responsabilités wallonnes et bruxelloises, souvent très contradictoires. Ajoutez à cela une discipline francophone partisane, avec une diplomatie belge marquée par l’empreinte d’un parti francophone (actuellement le MR), et l’on peut deviner des guerres territoriales au sein d’une même communauté ou d’un même parti politique. La complaisance serait dangereuse. Rien ne garantit la perpétuité de la mainmise du MR sur la diplomatie belge.
Cet imbroglio se traduit par une diplomatie wallonne inexistante, voire anecdotique. Une situation fâcheuse pour l’économie wallonne, qui se retrouve, au niveau fédéral, prise en otage dans une diplomatie nationale qui pratique la politique du gaufrier. En descendant l’échelle, la prise en otage concerne la communauté francophone, dont les intérêts bruxellois s’alignent rarement avec ceux de l’économie wallonne. En fin de compte, le résultat est toujours maigre.
« Que la classe politique wallonne assume l’autonomie »
Heureusement qu’il y a l’AWEX. Un service redoutable à l’exportation et parrain d’Invest in Wallonia. Mais, sur le plan politique, il manque des diplomates wallons qui s’introduisent dans les capitales européennes, qui se manifestent dans les négociations européennes au Conseil de l’Union européenne, qui se concentrent sur les responsabilités régionales comme l’agriculture, l’environnement, l’industrie, la navigation intérieure, la mobilité, l’énergie, etc. Des professionnels qui cherchent des alliés internationaux sur des thèmes politiques de premier ordre pour la Wallonie.
Les ministres wallons font trop confiance à la conférence interministérielle (CIM). Aux divers conseils européens, ils s’abstiennent (quand c’est leur tour d’occuper le siège belge), attendant les comités de concertation réunissant des ministres fédéraux, régionaux et communautaires pour tenter de régler les conflits de compétence entre les composantes de l’État fédéral belge. Pendant ce temps, la réglementation européenne avance. Finalement, les ministres wallons sont obligés de transposer les règles européennes dans leur propre législation, sans la moindre influence wallonne.
Une diplomatie wallonne permettrait au moins de travailler sur les sujets avant qu’ils ne tombent — tout emballés avec un gros nœud autour — sur la table des conseils européens, où chaque ministre des 27 pays membres peut parler pendant cinq à quinze minutes lors du tour de table obligatoire, avant de procéder au vote.
Il est temps que la classe politique wallonne assume l’autonomie wallonne, joue son rôle et ne se contente pas de rester derrière un guichet à distribuer des subsides.
Lode Goukens