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L’absence de « diversité » au sein du gouvernement De Wever : analyse factuelle et historique

par Contribution Externe

Aucun des quinze membres du gouvernement « Arizona » de Bart De Wever n’est issu de l’immigration. Cette absence de « diversité » suscite des débats au sein du monde politique et dans la presse belge. L’analyse de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.

Les discussions autour du manque de diversité de l’Arizona résultent notamment d’une comparaison avec le gouvernement sortant d’Alexander De Croo, qui comptait pas moins de quatre membres ayant des racines familiales à l’étranger : Zakia Khattabi, Meryame Kitir, Sammy Mahdi et Hadja Lahbib.

Mais, cette objection est-elle justifiée et pertinente ? Analysons la question de manière factuelle et historique.

110 gouvernements dans l’histoire du pays

Depuis l’indépendance de la Belgique en 1830, cent neuf gouvernements nationaux, puis fédéraux, se sont succédé (cent dix, si l’on inclut le gouvernement provisoire de la fin 1830-début 1831).

Le premier constat est qu’un seul d’entre eux a été dirigé par une personne issue de l’immigration : le gouvernement « papillon » du socialiste francophone (PS) Elio Di Rupo. Le Montois a été Premier ministre de 2011 à 2014. Il est né en 1951 à Morlanwelz-Mariemont, de parents d’origine italienne arrivés en Belgique en 1947.

Elio Di Rupo avait déjà marqué l’histoire belge en devenant le premier et seul Vice-Premier ministre issu de l’immigration. Il a, en effet, été nommé Vice-Premier ministre, ministre des Communications et des Entreprises publiques, dans le gouvernement Dehaene I en 1994, et Vice-Premier ministre et ministre de l’Économie et des Télécommunications dans le gouvernement Dehaene II en 1995. En 1998, il a été en outre chargé du Commerce extérieur.

Pour les reste, la récolte est faible.

Une longue marche vers la diversité

Seules onze autres personnes, nées en Belgique ou à l’étranger, ayant émigré en Belgique ou dont au moins un des parents s’était installé dans notre pays, ont occupé des postes ministériels ou de secrétaires d’État. C’est peu, très peu…

Le premier a été Henri-François (Enrique-Francisco) Van Aal, social-chrétien francophone (PSC) et ancien journaliste à la RTB Né à Alicante (Espagne) en 1933 et décédé dans cette même ville en 2001, il était d’origine flamande et espagnole. Il a exercé plusieurs fonctions gouvernementales : secrétaire d’État adjoint au ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Tindemans I en 1974 ; ministre de la Culture française et secrétaire d’État au Logement (bruxellois), adjoint au ministre des Affaires bruxelloises, dans le gouvernement Tindemans II, toujours en 1974 ; et ministre de la Culture française, adjoint pour le Logement au secrétaire des Affaires bruxelloises dans le gouvernement Tindemans III en 1977.

Puis, il y a eu Yvan Ylieff, socialiste francophone (PS). Né à Verviers en 1941, il était issu d’un père d’origine bulgare et d’une mère belge. Il a été ministre de l’Éducation nationale (francophone) dans le gouvernement Martens VIII en 1988. ministre de la Politique scientifique dans le gouvernement Dehaene II en 1995, commissaire du gouvernement, adjoint au ministre de la Recherche scientifique dans le gouvernement Verhofstadt I en 1999 et brièvement ministre adjoint au ministre de la Recherche scientifique dans ce même gouvernement en 2003.

Ensuite, il y eu la première femme, Marie Arena, socialiste francophone (PS). Née à Mons en 1966 de parents italiens immigrés, elle a été ministre de la Fonction publique, de l’Intégration sociale et de la Politique des grandes villes dans le gouvernement Verhofstadt II en 2003. Cette même année, elle devient également ministre de l’Égalité des chances. Elle a occupé ensuite la fonction de ministre de l’Intégration sociale, des Pensions et des Grandes villes dans le gouvernement Leterme I en 2008, puis dans le gouvernement suivant Van Rompuy, toujours en 2008.

Ouverture au monde

Avec Anissa Temsamani, socialiste flamande (sp.a), le gouvernement s’ouvre à des personnes provenant de l’immigration non européenne. Née à Tanger, au Maroc, en 1966, elle s’installe en Belgique avec ses parents quelques jours après sa naissance. Elle a été secrétaire d’État à l’Organisation du travail et au Bien-Être au travail dans le gouvernement Verhofstadt II en 2003, mais n’est restée en fonction que septante-quatre jours seulement, ayant dû démissionner à la suite, entre autres, de la révélation d’une fausse déclaration concernant un diplôme dans son curriculum vitae. Elle a ainsi été la première personne d’origine arabe et musulmane à intégrer un gouvernement belge.

Puis, c’est le tour de l’Afrique noire, avec Gisèle Mandaila Malamba, fédéraliste francophone (F.D.F.). Née à Kinshasa, au Congo, en 1969, elle y a vécu jusqu’en 1981, année où elle a émigré avec ses parents en Belgique. À la suite d’un remaniement, elle a été nommée secrétaire d’État aux Familles et aux Personnes handicapées dans le gouvernement Verhofstadt II en 2004. Elle est, à ce jour, la première et seule personne d’origine congolaise et noire à avoir été nommée dans un gouvernement belge.

Après vient Julie Fernandez-Fernandez, socialiste francophone (PS). Née à Liège en 1972, ses parents ont fui l’Espagne franquiste dans les années 1960 et se sont installés dans la Cité ardente. Elle a été secrétaire d’État aux Personnes handicapées, adjointe à la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique dans le gouvernement Leterme I en 2008.

Ensuite, il y a une personne d’origine turque : Zuhal Demir, nationaliste flamande (N-VA). Née à Genk en 1980 dans une famille d’immigrés kurdes, elle possédait la nationalité turque, à laquelle elle renonce en 2017. La même année, elle nommée secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, à l’Égalité des chances, aux Personnes handicapées, et à la Politique scientifique, chargée des Grandes villes, adjointe au ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, dans le gouvernement Michel I.

Suivent enfin les quatre membres de la coalition « Vivaldi » :

  • Zakia Khattabi, écologiste francophone (ECOLO), née à Saint-Josse-ten-Noode en 1976, de nationalité belge et marocaine, est nommée ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal en 2020. Elle est ainsi la deuxième personne d’origine marocaine et musulmane à faire partie d’un gouvernement belge.
  • Meryame Kitir, socialiste flamande (VOORUIT), née à Maasmechelen en 1980, ses parents étaient d’origine marocaine, et son père avait immigré dans les années 1960 pour travailler dans les mines du Limbourg. Elle devient ministre de la Coopération au développement, chargée des Grandes Villes Croo, également en 2020, avant de prendre le titre de ministre de la Coopération au développement et de la Politique des Grandes Villes en 2021. Elle est ainsi la troisième personne d’origine marocaine et musulmane à faire partie d’un gouvernement belge.
  • Sammy Mahdi, démocrate-chrétien flamand (CD&V) est né à Ixelles en 1988. Son père, d’origine irakienne, a fui l’Irak à la fin des années 1970 et a demandé l’asile politique en Belgique. Sa mère est belge. Il est désigné secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, chargé de la Loterie nationale, adjoint à la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique en 2020, avant de devenir président de son parti en 2022.
  • Hadja Lahbib, ancienne journaliste à la RTBF, libérale francophone (MR), est née à Bossu en 1970, dans une famille kabyle algérienne. Ses parents sont de confession musulmane. Elle est nommée ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur, et des Institutions culturelles fédérales, en remplacement de Sophie Wilmès, en 2022.

Le gouvernement d’Alexander De Croo a ainsi réuni, à lui seul, un tiers de la totalité des personnes issues de l’immigration ayant occupé des fonctions au sein des exécutifs nationaux ou fédéraux depuis 1830. En termes de « diversité », il constitue donc une exception.

Ce cas unique ne devrait ainsi pas servir de « trompe l’œil » au regard du très faible nombre de précédents susmentionnés.

La diversité : quel intérêt autre que les statistiques ?

En outre, bien que l’on puisse comprendre que certains regrettent qu’un gouvernement ne reflète pas davantage la diversité multiculturelle de la société belge actuelle, se focaliser principalement sur cet aspect nous semble réducteur, et ce, à double titre.

Tout d’abord, il n’y a objectivement aucune raison de ne pas prendre en compte d’autres critères tout aussi pertinents : la représentation adéquate de toutes les couches sociales de la société (monde de l’entreprise, professions libérales, fonctionnaires, employés, ouvriers…), l’appartenance religieuse ou non confessionnelle (catholiques, protestants, musulmans, juifs, non-croyants…) ; l’expérience professionnelle ou l’acquisition de compétences permettant d’exercer de manière optimale la fonction envisagée ; etc.

Ensuite, il nous semble que l’essentiel est avant tout de placer la bonne personne au bon poste, sous réserve, bien entendu, qu’il n’y ait pas de « discrimination volontaire ». Le débat devrait donc surtout porter sur ce point.

Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant

(Photo Belgaimage)

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