Une fois de plus, la Commission européenne autorise un ancien Commissaire européen à occuper un poste lucratif dans une grande banque américaine, en violation de ses propres règles anticorruption et de son code de conduite. Cette fois, il s’agit de l’ancien homme politique français Thierry Breton, qui peut rejoindre la Bank of America quelques mois seulement après avoir quitté ses fonctions à la Commission européenne. Selon les règles, un délai de carence de deux ans aurait dû être respecté.
Ce cas s’inscrit dans une série de précédents, notamment celui de l’ancien président de la Commission, José Manuel Barroso, qui avait également rejoint la banque américaine Goldman Sachs via la « porte tournante ».
Thierry Breton, ancien Commissaire en charge de l’industrie, traîne une réputation sulfureuse, ayant laissé une situation chaotique derrière lui dans plusieurs entreprises publiques françaises. Le fait que cette nomination concerne une banque américaine ravive les mauvais souvenirs de la crise bancaire mondiale d’il y a quelques années. Pour mieux contrôler les liens étroits avec les lobbies bancaires, l’Union européenne avait créé l’Autorité bancaire européenne (EBA). Cependant, cette institution est elle-même devenue une plateforme influencée par les lobbies bancaires, comme en témoigne la controverse de 2020 lorsque son directeur, Adam Farkas, a quitté son poste pour rejoindre un lobby bancaire avec un salaire conséquent.
Des méthodes qui se répètent
Au fil des ans, l’ancienne Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, avait reçu de nombreuses plaintes sur ce type de situations et dénoncé à plusieurs reprises le non-respect du délai de carence de deux ans. Malgré ses mises en garde, la Commission européenne n’a cessé d’ignorer ces recommandations.
Le problème réside principalement dans l’accès privilégié à des informations confidentielles dont disposent les hauts fonctionnaires et Commissaires européens. L’article 16 du statut du personnel de l’Union européenne encadre ces situations de « portes tournantes ». Selon cette règle, les anciens employés de l’UE doivent notifier leurs projets d’emploi dans les deux ans suivant leur départ. La Commission a alors la possibilité d’imposer un délai de carence.
Cependant, il semble que d’autres règles s’appliquent aux Commissaires comme Thierry Breton. Ce dernier, critiqué pour son rôle en France et à la Commission, avait dû quitter son poste après les élections européennes de juin. Sa récente attaque contre Elon Musk et son réseau social X aurait, selon certaines sources, contribué à son départ anticipé.
Des questions éthiques sur la transparence de la Commission
La Commission européenne a pourtant déclaré jeudi que le rôle de Thierry Breton au sein du Global Advisory Council (GAC) de la Bank of America est « compatible avec l’article 245 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Cet article régit le fonctionnement des institutions européennes.
Le code de conduite des Commissaires européens stipule cependant clairement que les membres sortants doivent respecter une période de carence de deux ans avant d’occuper des postes susceptibles d’être liés à des activités de lobbying. Plusieurs parlementaires européens trouvent incompréhensible que la fonction de Breton ne soit pas considérée comme du lobbying.
L’ancien Commissaire a défendu sa nomination, affirmant qu’elle se limitera à trois réunions par an. Il est cependant frappant que Breton ait été au courant de cette opportunité dès octobre, quelques semaines après son remplacement. La Commission a demandé des informations supplémentaires en novembre, avant de rendre un avis favorable dès décembre. Pourtant, cette décision n’a été rendue publique que le jeudi 16 janvier, avec une condition : Breton ne pourra pas faire de lobbying sur des sujets qu’il traitait en tant que Commissaire. Une mesure jugée symbolique, puisque les Commissaires européens participent collectivement à toutes les décisions et sont soumis à un strict devoir de confidentialité.
Cette affaire soulève de nouvelles questions sur l’éthique et la transparence au sein de la Commission européenne, alimentant le débat sur les liens entre institutions publiques et lobbies privés.
Lode Goukens
(Photo : Teresa Suarez / POOL / AFP)