Accueil » L’aveu : Mathieu Pigasse « contrôle » ses médias, dont Le Monde

L’aveu : Mathieu Pigasse « contrôle » ses médias, dont Le Monde

par Nicolas de Pape

Dans un tweet récent, Mathieu Pigasse, actionnaire majoritaire des Inrocks, copropriétaire du Monde et fondateur du Hufftington Post France, a levé le voile sur ses intentions. Il déclare vouloir mobiliser « les médias qu’il contrôle » au service « d’une conception ouverte et progressiste du monde ». Son objectif ? Contrer la montée de ce qu’il appelle la « déferlante réactionnaire » et dénoncer les « milliardaires au service de l’extrême droite ». Ce faisant, Pigasse pose une question implicite : existerait-il donc de bons et de mauvais milliardaires ? Comment peut-on dénoncer les jeux d’influence de Musk ou de Bolloré et s’apprêter à faire la même chose ? Analyse.

Selon Pigasse, nous vivons une ère de polarisation extrême entre deux visions du monde : une, « ouverte et progressiste », et l’autre, « fermée », incarnée par le triptyque « Milei, Musk, Trump ». À ses yeux, ces figures mêlent libéralisme économique et conservatisme social, s’opposant aux libertés écologiques, sexuelles, de genre et d’expression. Face à ce qu’il décrit comme une bataille idéologique inégale, Pigasse promet de mettre « les médias qu’il contrôle (sic) » — dont Le Monde à travers Le Monde Libre et Le Nouveau Monde, Les Inrockuptibles, le Hufftington Post, Radio Nova, etc. — au service de son camp.

Un engagement qui soulève des interrogations. Si Vincent Bolloré, autre grand patron médiatique, est régulièrement accusé d’utiliser ses chaînes (CNEWS, Le Journal du Dimanche, Europe 1) pour promouvoir une vision conservatrice, Pigasse semble vouloir assumer une stratégie similaire, mais dans l’autre sens. Pour Pigasse, l’enjeu est clair : empêcher notamment les « médias Bolloré » de remporter la bataille idéologique. Le Monde a même dédié deux journalistes, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, pour enquêter sur ses rivaux. Elles ont notamment publié une enquête détaillée intitulée « Comment Vincent Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle », analysant la stratégie du magnat des médias pour imposer ses thèmes réactionnaires.

Mais à quoi bon dénoncer un modèle d’influence si l’on s’apprête à l’imiter ?

Les milliardaires et la presse : une relation ambiguë

Loin d’être un cas isolé, Mathieu Pigasse s’inscrit dans une tradition de grandes fortunes cherchant à peser sur l’opinion publique via la presse. Aux États-Unis, Jeff Bezos, ancien PDG d’Amazon, a racheté The Washington Post, qui a joué un rôle majeur dans l’élection de Joe Biden en 2020. Pourtant, en 2024, le journal aurait été sommé de ne pas afficher un soutien trop ouvert au président sortant, preuve que même les médias progressistes ne sont pas à l’abri des impératifs d’affaires.

Mathieu Pigasse à Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. »

En France, la situation est tout aussi complexe. Une dizaine de milliardaires possèdent la quasi-totalité des grands médias. Dernier arrivé, Daniel Kretinsky, magnat tchèque de l’énergie surtout charbonnière, contrôle pratiquement Libération et a une participation substantielle dans Le Monde, tandis que Vincent Bolloré incarne l’aile conservatrice avec ses médias. François Pinault, propriétaire de Le Point, ou Bernard Arnault, qui détient notamment Challenges, Les Echos et Paris-Match, revendiquent une certaine neutralité éditoriale, mais leurs intérêts personnels ne sont jamais loin. On se souvient que le couple Macron fit la Une de Paris-Match des dizaines de fois en 2017. Emmanuel Macron ne serait probablement jamais devenu président de la France sans l’aide des médias précités… En Belgique, des grandes familles telles que notamment van Thillo, Rossel ou Le Hodey se partagent la majorité des journaux, également sous perfusion de subsides publics.

Deux poids, deux mesures ?

Mathieu Pigasse semble profondément irrité par l’influence d’Elon Musk, accusé d’utiliser X (ex-Twitter) pour promouvoir une philosophie libertarienne et réactionnaire. Pourtant, en promettant de mobiliser ses propres médias pour défendre une vision progressiste, il adopte une posture comparable. Cette contradiction soulève une question essentielle : pourquoi certaines formes d’ingérence seraient-elles acceptables et d’autres condamnées ? Si Bolloré défend un monde conservateur, scrogneugneu, Pigasse promeut un monde progressiste et souriant, mais avec des moyens et des ambitions similaires.

Y aurait-il donc deux types de milliardaires propriétaires de presse et responsables d’ingérence : les bons progressistes et les méchants conservateurs ?

Le combat idéologique annoncé par Mathieu Pigasse révèle en creux les tensions qui traversent notre société. Au-delà des bons et des mauvais milliardaires, la question centrale reste la même : quel rôle les médias doivent-ils jouer dans une démocratie ? En se transformant en instruments de propagande — progressiste ou conservatrice —, les titres risquent d’y perdre leur âme. Et avec eux, l’idée même d’une presse libre et pluraliste.

Nicolas de Pape

(Photo Belgaimage : Mathieu Pigasse – Lionel Vadam)

You may also like

21News est un média belge francophone qui promeut la liberté, l’entrepreneuriat et la pluralité d’opinions.

Sélections de la rédaction

Derniers articles

Êtes-vous sûr de vouloir débloquer cet article ?
Déblocages restants : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?