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Le choc Trump : quand l’Amérique défait l’ordre qu’elle a créé (Carte blanche)

par Fouad Gandoul

Mercredi dernier, dans les jardins de la Maison-Blanche, Donald Trump a célébré son « Jour de la Libération » en imposant des tarifs douaniers massifs – 10 % sur toutes les importations, 34 % pour la Chine, 24 % pour le Japon et 20 % pour l’Union européenne. Une décision présentée comme un retour aux « fondamentaux protectionnistes » du XIXe siècle, mais qui marque une rupture bien plus profonde : la fin du système monétaire et commercial hérité de l’après-guerre, un système que les États-Unis ont eux-mêmes façonné. Une carte blanche de Fouad Gandoul, chroniqueur 21News.

Le fantôme de Nixon plane sur cette stratégie. En 1971, Richard Nixon avait mis fin unilatéralement à la convertibilité du dollar en or, dynamitant les accords de Bretton Woods. Comme l’explique l’économiste Yanis Varoufakis dans un entretien accordé à Undercurrents, ce « choc Nixon » avait précipité une « désintégration contrôlée » de l’économie mondiale, tout en consolidant l’hégémonie du dollar.

Trump, en élève zélé, reprend ce manuel, mais avec une ambition plus radicale : diviser la planète en deux blocs – l’un aligné sur Washington, l’autre dominé par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Les tarifs ne sont qu’un outil pour forcer des entreprises allemandes, japonaises ou chinoises à relocaliser leurs usines aux États-Unis. Déjà, BASF et Mercedes envisagent de délocaliser. « Un afflux de capitaux va submerger l’Amérique », prédit Varoufakis.

Mais cette stratégie comporte un piège. En réduisant le déficit commercial américain, Trump tarit l’afflux de capitaux étrangers qui alimentent Wall Street et l’immobilier de luxe. Les financiers et promoteurs qui l’ont soutenu pourraient se retourner contre lui. Le président devra alors choisir : trahir sa base ouvrière ou ses alliés oligarques. Un dilemme qui révèlera « l’âme véritable du mouvement MAGA ».

Pire encore, les classes populaires paieront le prix fort. Si les délocalisations créent des emplois, ceux-ci seront précaires, mal payés, noyés dans une économie laminée par des coupes budgétaires. « Sans sécurité sociale et aides alimentaires, 20 % d’Américains sombreraient dans la pauvreté », rappelle Varoufakis. Or, ces filets sociaux sont dans le collimateur de l’équipe Trump, obsédée par l’austérité.

Une alliance transatlantique mise à mal

L’Europe, spectatrice impuissante, incarne le paradoxe de cette nouvelle ère. Après 1945, les États-Unis ont soutenu la reconstruction européenne via le plan Marshall, encourageant une intégration économique pour éviter l’effondrement du continent. L’objectif était double : stabiliser l’Europe et en faire un partenaire commercial solvable pour l’industrie américaine. Cette alliance a fonctionné : l’Europe unifiée est devenue un pilier de la croissance mondiale.

Mais Trump rompt avec cette logique. Ses tarifs contre l’UE, présentés comme une réponse à des « pratiques déloyales », sapent un partenariat vieux de 70 ans. Ursula von der Leyen promet des mesures de rétorsion, mais comment punir les États-Unis quand l’Europe dépend de leur marché ? Au lieu de surenchérir, l’UE devrait réinventer son modèle – investir massivement dans les industries vertes, réduire sa dépendance aux exportations. Pourtant, l’Allemagne, conçue comme un exportateur dépendant des États-Unis, résiste. Bruxelles se contente de demi-mesures, comme les tarifs punitifs contre les voitures électriques chinoises, qui accélèrent paradoxalement la désindustrialisation européenne.

Trump, le populiste froid

La méthode Trump ? Un mélange de kitsch et de rationalité froide. Ses tableaux bricolés et formules pseudo-mathématiques (« déficit commercial divisé par les importations ») ne sont pas des maladresses, mais une esthétique calculée pour séduire son électorat. « C’est du populisme en haute définition », analyse Varoufakis. Une stratégie qui contraste avec le jargon aseptisé des élites globalisées, mais révèle une vérité crue : le multilatéralisme est mort.

Le choc Trump n’est pas une crise passagère, mais un tournant historique. Comme en 1971, il force chaque nation à reconsidérer sa place dans l’ordre mondial. L’alternative est claire : soit les pays excédentaires comme l’Allemagne ou la Chine réforment leur modèle économique, soit ils sombrent dans des guerres commerciales en cascade. Quant à l’Amérique, elle devra choisir : devenir une forteresse isolationniste ou accepter le déclin de son hégémonie.

Mais le vrai coût est invisible. Comme le soulignait Hannah Arendt, « l’effondrement commence par la perte de confiance ». Les accords de Bretton Woods, le plan Marshall, l’UE – tout reposait sur une confiance mutuelle entre alliés. En sabotant cette confiance, Trump fracture l’ADN même du système qu’il prétend « libérer ». Le monde de l’après-Trump ressemblera peu à celui que nous avons connu – et les États-Unis pourraient bien en être les premières victimes.

Fouad Gandoul, chroniqueur 21News

(Photo : Michael Brochstein/Sipa USA)

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