Le choix entre la sécurité sociale et la sécurité nationale est-il inévitable ? Cette question mérite notre attention immédiate, car nous n’avons plus le luxe de la reporter. Elle était au cœur d’un article particulièrement intéressant publié la semaine dernière dans le journal économique britannique The Financial Times. Cet article a sans doute été lu avec attention dans de nombreuses capitales européennes.
L’Europe est à la croisée des chemins. Pendant des décennies, nous avons construit un État-providence étendu, financé par une économie florissante et un environnement géopolitique relativement stable. Aujourd’hui, de nouvelles menaces et des bouleversements mondiaux nous obligent à reconsidérer nos priorités.
En 2013, Angela Merkel, alors chancelière allemande, soulignait que l’Europe représentait seulement 7 % de la population mondiale, mais était responsable de 25 % de l’économie du globe et de 50 % des dépenses sociales mondiales. Bien que ces chiffres aient évolué depuis, l’essentiel de son message reste pertinent : notre niveau actuel de dépenses sociales n’est pas durable à long terme. Avec l’intensification des tensions géopolitiques, notamment en raison de l’agression russe, la nécessité de renforcer nos capacités de défense devient de plus en plus urgente.
L’Allemagne a déjà augmenté ses dépenses de défense et appelle les autres pays européens à faire de même. Cela implique des choix. Augmenter les impôts est une option, mais cela peut freiner la croissance économique et rencontrer une résistance politique. Contracter des dettes supplémentaires est également difficile, compte tenu des niveaux d’endettement déjà élevés dans de nombreux pays européens. Par conséquent, réduire les dépenses sociales semble inévitable. Mais est-ce vraiment le cas ?
« Nous méritons un débat public transparent »
De plus, l’Europe vieillit rapidement. Actuellement, pour 100 Belges, on compte 28 personnes de 67 ans ou plus. D’ici quinze ans, ce nombre passera à 37, et d’ici 2070, à 43. D’autres pays européens connaissent également un vieillissement significatif de leur population. Ce changement démographique exerce une pression énorme sur nos systèmes de retraite et de soins de santé. Est-il réaliste d’attendre des jeunes générations qu’elles supportent à la fois le coût d’un État-providence étendu et celui de l’augmentation des dépenses de défense?

Certains diront que réduire les dépenses sociales va à l’encontre des valeurs fondamentales de l’Europe. D’autres feront remarquer que l’objectif principal de la défense est d’assurer notre survie et notre liberté. Sans une défense adéquate, il n’y a aucune garantie que nous puissions préserver notre mode de vie, encore moins l’améliorer.
Ce dilemme mérite donc un débat public transparent. Des discours alarmistes, comme celui du président français Macron, et des débats à huis clos entre quelques chefs de parti sont fortement déconseillés. Il est temps d’avoir un débat honnête sur notre avenir. Quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour notre sécurité ? Existe-t-il des alternatives qui préservent la sécurité sociale tout en permettant l’investissement nécessaire dans la défense ?
Le professeur Herman Matthijs, spécialisé en finances publiques et membre de la section « Fiscalité et Parafiscalité » du Haut Conseil des Finances, le pense. Cette semaine, dans Knack, il a proposé la création d’un Fonds de Défense, financé par la vente des participations de l’État dans des entreprises telles que Bpost ou Proximus. Cependant, les cours boursiers actuellement bas rendent cette option moins attrayante. De plus, il s’agit de revenus ponctuels, tandis que l’État perdrait des revenus structurels issus des dividendes.
D’autres alternatives incluent :
- Financement européen : Obtenir des fonds via des prêts de l’UE ou le soutien de la Banque européenne d’investissement. Cela permettrait à la Belgique de bénéficier des efforts européens conjoints pour renforcer les capacités de défense.
- Émission d’obligations d’État : Émettre des bons d’État spécifiques à la défense avec un taux d’intérêt attractif pour attirer les investisseurs privés. Bien que cela génère des capitaux, il s’agit de prêts qui devront être remboursés à terme.
- Incitations fiscales : Introduire un régime de déduction fiscale pour les investissements dans le secteur de la défense, similaire aux dispositifs existants dans l’industrie cinématographique. Cela stimulerait les investissements privés dans les projets de défense en offrant des avantages fiscaux.
- Redistribution au sein des services publics : Transférer certaines fonctions de la Sûreté de l’État et de la police fédérale vers la Défense. Bien que cela puisse générer des économies, l’impact financier serait probablement limité.
Pourrons-nous trouver un équilibre entre le maintien des prestations sociales et le renforcement de notre défense ? Le temps le dira.
Fouad Gandoul
(Photo Belgaimage)