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Le nouveau régime de la responsabilité extracontractuelle : quels enjeux pour les entreprises et leurs administrateurs ?

par Quentin Van den Eynde

Ce 1er janvier 2025, le nouveau Livre 6 du Code civil belge a introduit des changements significatifs dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle. Avec quelles conséquences ? Une chronique de Quentin Van den Eynde, avocat au barreau de Bruxelles.

Ces nouvelles dispositions, attendues de longue date, clarifient des ambiguïtés juridiques et remanient des principes fondamentaux qui structuraient jusqu’ici la responsabilité civile en Belgique. Si cette réforme peut inquiéter par les responsabilités accrues qu’elle impose, elle offre également des opportunités pour les entreprises et leurs administrateurs, à condition de s’adapter à ce nouveau cadre juridique.

L’un des piliers de la réforme est l’abandon de l’interdiction de concurrence entre la responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Jusqu’à présent, une partie lésée ne pouvait intenter une action extracontractuelle pour des faits couverts par un contrat, afin d’éviter que les parties contractantes ne contournent les limitations de responsabilité prévues dans leurs conventions. Désormais, une partie au contrat qui s’estime lésée peut choisir entre les deux régimes de responsabilité, à condition que les faits remplissent les conditions nécessaires.

Un changement fondamental de philosophie

Si, certes, le concours est désormais la règle en vertu du nouveau Livre 6, il reste de nature supplétive et les parties peuvent donc décider de l’interdire explicitement dans leur contrat. Cette liberté de choix, bien que significative, est néanmoins encadrée. Une action extracontractuelle reste ainsi possible de manière systématique en cas de dommage corporel ou psychique, ou en cas de faute intentionnelle. Par ailleurs, les défendeurs peuvent toujours invoquer les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité prévues dans les contrats, sauf exceptions légales.

Pour les entreprises, cette réforme élargit considérablement les possibilités de recours offertes à leurs cocontractants, tout en ayant un impact potentiel sur la couverture des assureurs. Par exemple, une réclamation fondée sur la responsabilité extracontractuelle pourrait être introduite, même si la police d’assurance exclut les sinistres résultant de la responsabilité contractuelle. Cette situation pourrait entraîner des sollicitations inattendues des polices d’assurance, exposant assurés et assureurs à des scénarios imprévus susceptibles de générer des différends complexes. Dès lors, il est essentiel pour les entreprises de revoir leurs contrats et leurs polices d’assurance afin d’anticiper ces risques et d’éviter des litiges.

La suppression de la quasi-immunité des agents d’exécution : un risque accru pour les administrateurs

Un autre changement majeur introduit par le Livre 6 est la suppression de la quasi-immunité des agents d’exécution, une protection qui bénéficiait historiquement aux sous-traitants, consultants, fournisseurs indépendants et administrateurs de sociétés. Avant l’entrée en vigueur de la réforme, les agents d’exécution pouvaient rarement être poursuivis directement pour des fautes liées à l’exécution de leur mission.

Désormais, une partie lésée peut engager la responsabilité directe de ces agents pour des fautes extracontractuelles. Cela signifie, par exemple, qu’un administrateur d’une société, en tant qu’agent d’exécution, pourrait être tenu personnellement responsable en plus de la société elle-même. Ce changement marque une rupture importante dans la manière dont les responsabilités sont attribuées dans un contexte commercial.

Cependant, les administrateurs bénéficient encore de moyens de défense solides. Ils peuvent invoquer des clauses limitatives de responsabilité incluses dans les contrats, ainsi que les protections prévues par le Code des sociétés et des associations (CSA). Ce dernier prévoit notamment des plafonds de responsabilité et interdit à une société d’exonérer totalement ses administrateurs à l’avance. Ces protections visent à éviter des situations où les administrateurs seraient injustement exposés à des responsabilités disproportionnées.

Des possibilités pour limiter les risques

Bien que le Livre 6 impose des responsabilités accrues, il conserve, rappelons-le, un caractère supplétif, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger par contrat. Les entreprises disposent ainsi de plusieurs moyens pour se prémunir contre ces nouveaux risques :

  • Clauses limitatives et exonératoires : Les contrats commerciaux doivent être actualisés pour inclure des clauses spécifiques qui réduisent les responsabilités potentielles, notamment celles des administrateurs et sous-traitants.
  • Plafonds de responsabilité : Préciser des plafonds financiers clairs pour les engagements permet d’éviter des réclamations disproportionnées.
  • Conditions générales adaptées : En l’absence de contrat spécifique, les conditions générales peuvent constituer une barrière efficace contre des actions extracontractuelles imprévues.

Une relation repensée

Une des nouveautés les plus marquantes de la réforme concerne le secteur de la construction et, plus précisément, la relation entre maîtres d’ouvrage et sous-traitants. Jusqu’à présent, un maître d’ouvrage ne pouvait poursuivre directement un sous-traitant qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Avec l’entrée en vigueur du nouveau Livre 6, cette possibilité devient la règle.

Cela signifie qu’en cas de faute d’un sous-traitant, un maître d’ouvrage pourra contourner la faillite de l’entrepreneur principal pour engager directement la responsabilité du sous-traitant. Cette avancée juridique vise à équilibrer les relations dans ce secteur, mais elle impose également aux sous-traitants une vigilance accrue quant aux clauses contenues dans leurs contrats.

Les sous-traitants pourront néanmoins invoquer les moyens de défense découlant du contrat principal liant le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal, à condition d’en avoir connaissance. Cette exigence soulève toutefois des enjeux pratiques: comment les sous-traitants peuvent-ils accéder à ces informations, et quelles sont les conséquences des clauses de confidentialité souvent présentes dans ces contrats? En l’absence d’une anticipation contractuelle par les parties, il appartiendra alors au juge de trancher ces questions.

Conclusion : une réforme exigeant de l’anticipation et de la vigilance

Le nouveau Livre 6 du Code civil représente un tournant dans les principes de la responsabilité extracontractuelle en Belgique. Pour les entreprises, leurs administrateurs et leurs sous-traitants, cette réforme impose de réexaminer en profondeur leurs pratiques contractuelles et leur gestion des risques.

Il est essentiel de travailler en collaboration avec des juristes ou avocats spécialisés pour revoir les contrats commerciaux, les conditions générales et les polices d’assurance afin de garantir une protection adaptée à ce nouveau cadre légal. En anticipant les risques et en s’assurant que des clauses protectrices sont bien en place, les entreprises peuvent transformer ces changements en opportunités, tout en limitant leur exposition à des responsabilités imprévues.

Avec ces nouvelles règles, l’approche proactive devient plus que jamais une nécessité. Les entreprises belges sont désormais face à un défi stratégique : intégrer ces évolutions juridiques pour sécuriser leur activité tout en continuant à prospérer dans un environnement juridique redéfini.

Quentin Van den Eynde, avocat au barreau de Bruxelles

(Photo d’illustration : MAXPPP / Belgaimage)

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