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« Le Pacte scolaire est devenu un véritable cheval de Troie du communautarisme islamique »

par Rédaction
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Jean-Claude Laes, juriste, professeur à l’ULB et ancien chef de cabinet de Didier Reynders, publie un livre-brûlot sur l’entrisme religieux dans les écoles bruxelloises : « Écoles islamiques : la communautarisation de l’enseignement » (Éd. L’Harmattan). Il y évoque longuement la subsidiation, par les pouvoirs publics, d’écoles islamiques.

21 News : Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?
Jean-Claude Laes : Cela fait longtemps que l’idée de cet essai m’est venue. Elle s’est concrétisée lorsque j’ai assisté à une fancy-fair à l’école communale (située à la frontière des communes d’Uccle et de Forest) de mes petits-enfants. On y croisait des enfants et des parents de toutes les couleurs et d’origines fort diverses. Et chacune et chacun s’y sentait manifestement fort bien. C’est à ce moment que je me suis dit que si l’on voulait assurer un vivre-ensemble paisible au sein de notre société, il fallait que nos enfants apprennent à se connaître ainsi depuis leur plus jeune âge.
Et cela m’a rappelé l’expérience de mon service militaire, durant lequel j’ai eu la chance de pouvoir côtoyer des personnes que je n’aurais sinon sans doute jamais rencontrées.

21 News : Vous rédigez tout un chapitre sur la notion de tolérance et d’intolérance. Pensez-vous que notre société est trop tolérante par rapport au communautarisme que vous dénoncez ?

J.-Cl. L. : Comme vous l’aurez bien compris, la tolérance est à mes yeux une valeur essentielle et précieuse. Mais une société tolérante se doit bien sûr de veiller à ce que celle-ci ne se retourne pas contre elle. Car, comme l’a écrit le philosophe Yves Charles ZARKA, « certains protagonistes avancent masqués : avec les arguments de la tolérance, ils combattent la tolérance ». La Convention européenne des droits de l’homme veille d’ailleurs à nous protéger contre de telles dérives, en prévoyant qu’aucune de ses dispositions ne peut être interprétée comme impliquant un droit de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qu’elle reconnaît (article 17, CEDH).

L’enseignement catholique au secours de l’islamique

21 News : Vous faites des révélations, à savoir que c’est grâce au Segec que les écoles islamiques ont réussi à avoir des subsides. Comment cela est-il arrivé et combien d’écoles musulmanes sont aujourd’hui subsidiées en Belgique francophone ?

J.-Cl. L. : C’est quelque chose que j’ai découvert par hasard, en ne parvenant pas à trouver, sur le site de la Fédération Wallonie-Bruxelles, combien d’écoles islamiques étaient reconnues et subsidiées par elle. Et puis, j’ai soudain aperçu – noyée dans la liste des nombreuses écoles catholiques – une École Al Ghazali (ce qui n’est pas un nom très catholique, mais celui de l’école islamique située à Etterbeek, non loin de la Grande Mosquée du Cinquantenaire). On se rend évidemment moins facilement compte du fait que l’Institut La Vertu (à Schaerbeek), et les Instituts La Sagesse (à Forest et à Anderlecht) sont en fait aussi des écoles islamiques. À ce jour, il y a huit écoles islamiques, toutes situées à Bruxelles : quatre écoles fondamentales et quatre écoles secondaires. Parmi elles figure notamment le Collège de Bruxelles, situé à la Bascule, à Uccle dans les anciens locaux de l’ISTI (Institut Supérieur de Traduction et Interprétariat, aujourd’hui intégré à l’ULB). En fait, l’enseignement confessionnel islamique de Belgique a conclu une convention avec le Segec qui, moyennant rétribution, l’aide à préparer et introduire ses demandes de reconnaissance et de subventionnement. C’est aussi le Segec qui, en négociation, défend les intérêts des écoles islamiques. Curieuse Sainte-Alliance des religions…

21 News : Vous rappelez dans votre livre que des personnalités comme Herman Van Rompuy ou Charles Picqué ont alerté il y a déjà longtemps sur le danger du développement de l’islamisation de certaines écoles. Comment expliquez-vous que le monde politique a laissé faire malgré les alertes de personnalités de premier plan ?

J.-Cl. L. : C’est vrai qu’à l’époque, il y avait un assez large consensus au sein du monde politique belge pour éviter le développement d’un réseau d’écoles islamiques. Herman Van Rompuy fit preuve d’une lucidité prémonitoire. Et Charles Picqué clama haut et fort sa volonté d’empêcher la création de la première école islamique, en déplorant une « véritable ségrégation apparentée à un régime d’apartheid » et en s’en prenant à un pouvoir organisateur « directement subordonné à l’autorité de pays musulmans (principalement l’Arabie saoudite) ». Mais ce roulement des mécaniques n’a rien changé. Les écoles islamiques ont tout naturellement (et sans qu’il ne faille rien faire) bénéficié du système que le Pacte scolaire a mis en place en songeant d’abord aux écoles catholiques. Et ce Pacte scolaire est devenu à ce point tabou que personne n’osa malheureusement y toucher. Et c’est ainsi que ce Pacte scolaire est devenu un véritable cheval de Troie du communautarisme islamique.

21 News : Vous appartenez au monde laïc, comment expliquez-vous que la gauche qui défendait la laïcité pendant toute son histoire, soit aujourd’hui si complaisante face à la montée du communautarisme islamiste notamment à Bruxelles ?

J.-Cl. L. : Vous mettez le doigt sur quelque chose de fort surprenant, en effet. Comment cela s’explique-t-il ? Sans doute par le fait que la gauche, prenant conscience du fait que son électorat traditionnel était en voie de disparition (rappelons que le Parti socialiste s’appelait jadis le Parti ouvrier) a fait – comme en France – le choix stratégique de viser un nouvel électorat, celui des personnes issues de l’immigration ou ayant des origines immigrées. Cette évolution de son électorat n’est bien sûr pas sans conséquences (comme on le voit quand on veut assurer la neutralité des services publics ou lutter pour le bien-être animal). De nos jours, cela provoque le retour de nombreuses questions d’ordre religieux au sein d’une société s’étant avant cela sécularisée.

Relancer l’idée d’une école pluraliste

21 News : Comment analysez-vous le futur des écoles bruxelloises et quelles sont vos pistes de solutions ?

J.-Cl. L. : Dans mon essai, je relance l’idée de l’École pluraliste, car c’est une école conviviale. C’est l’école où l’on apprend à vivre ensemble, plutôt que chacun de son côté. De nos jours, on oublie parfois que cette école existe déjà, du moins sur papier. Une loi du 14 juillet 1975 permet en effet sa création. Mais, elle n’a malheureusement jamais été suivie d’effet. Et l’on oublie aussi que cette école ne fut pas seulement préconisée par la Ligue de l’Enseignement ou le Centre d’Action laïque, mais que le concept d’école pluraliste connut aussi beaucoup de succès dans les milieux catholiques, du temps où un certain Wilfried Martens et un certain Jean-Luc Dehaene dirigeaient les CVP-Jongeren (l’ancêtre du CD&V), avec notamment le soutien du M.O.C. et de la Revue nouvelle.

21 News : Pas évident de réaliser un tel changement…

J.-Cl. L. : Il me paraît clair qu’une telle évolution n’est envisageable dans une matière aussi délicate que si l’on veille à ne pas porter atteinte aux sacro-saints droits acquis. C’est la raison pour laquelle je propose de prévoir que toute école doit, pour bénéficier de subsides et de la reconnaissance de ses diplômes , désormais satisfaire aux critères à remplir pour être qualifiée d’école pluraliste. Il va de soi que, dans la mesure où une telle initiative rompt avec les usages actuels, une telle règle devrait être assortie d’une période transitoire (fort longue, voire même éternelle) permettant à toutes les écoles déjà existantes et subsidiées de demeurer ce qu’elles sont aujourd’hui (écoles officielles, catholiques, juives, islamiques, libres non confessionnelles,…). Mais, dans le même temps il faudrait se doter d’un cadre règlementaire permettant à toute école bénéficiant de cette disposition transitoire, d’évoluer – si elle le souhaite, et à son rythme – vers le nouveau modèle, en lui accordant un soutien adéquat pour y parvenir. En procédant de la sorte, on éviterait – de façon pragmatique – le développement d’un (potentiellement) fort large réseau d’écoles islamiques, tout en ne remettant pas en cause la spécificité de toutes les écoles libres existant déjà à ce jour (catholiques, juives, non confessionnelles, mais aussi islamiques).

21 News : On a l’impression que vous avez écrit cet ouvrage pour alerter l’opinion et aussi pour que vos petits-enfants connaissent toujours une école plurielle, de qualité et qui porte vers la réussite. Est-ce exact ?

J.-Cl. L. : Absolument, c’est bien là mon espoir. Je crois en effet qu’il est grand temps de parvenir à un nouvel Accord sur l’École, pour que celle-ci réponde mieux à nos besoins actuels. Si nous voulons faire société, il nous faut une école où règne davantage de mixité sociale et qui fasse à nouveau fonctionner l’ascenseur social. Cela ne sera évidemment possible que si les deux grands courants (catholique et laïque) qui ont structuré notre société acceptent de se mettre autour de la table, en associant bien sûr aussi tous les autres intervenants, pour en parler et faire bouger les choses. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à un Pacte unioniste (entre catholiques et laïques, comme en 1830) pour l’École conviviale de demain. Car, comme le dit le Chanoine Éric de Beukelaer : « J’en suis persuadé : les frères ennemis sont aussi parfois des alliés naturels. »

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