Lors de la commission parlementaire sur l’Énergie, les députés « spécialisés » ont échangé avec la ministre fédérale Tinne Van der Straeten (Groen), concernant le quintuplement des coûts du projet d’île énergétique. La ministre a estimé qu’il était trop tôt pour « débrancher » le projet, mais ses explications ont suscité des interrogations, notamment sur le rôle du régulateur fédéral de l’énergie, la CREG. Patrick Bihet (MR) et Bert Wollants (N-VA) ont demandé un débat sur la fonction de la CREG.
Les coûts du projet d’île énergétique, initialement estimés à 2,2 milliards d’euros, pourraient atteindre 7 voire 9 milliards. Cela a poussé plusieurs parlementaires à interroger la ministre, particulièrement suite à son affirmation qu’elle demanderait à la CREG d’éviter de répercuter ces coûts sur les factures des ménages et entreprises. Ces coûts sont en effet inclus dans les tarifs de réseau qui, selon Jean-Luc Crucke (Les Engagés), augmenteront de 81 % en 2025. Les entreprises industrielles à forte intensité énergétique verront leurs coûts annuels supplémentaires s’élever à des millions d’euros.
La question la plus fréquente a été de savoir s’il ne serait pas préférable de reporter le projet. Une autre question concernait la date et la manière dont la ministre avait été informée de cette hausse des coûts.
Une lettre de mise en garde
Tinne Van der Straeten a évoqué une lettre de la CREG datée du 20 juin, à laquelle elle a répondu le 19 juillet. Cette lettre mettait en garde contre une hausse importante des coûts. Fait marquant, la CREG demandait que les chiffres soient traités avec « stricte confidentialité » pour des raisons financières concernant Elia lors de l’appel d’offres pour les parties du projet. Cet aspect confidentiel a totalement changé la direction des débats.
La ministre a souligné que la CREG devait rendre des comptes au Parlement, et non à elle. La CREG avait donc informé la ministre, mais pas le Parlement. Selon l’explication de la ministre, il semble que la CREG et Elia aient pu collaborer en raison d’intérêts commerciaux d’Elia. Or « la CREG doit rendre des comptes au Parlement… », ce qui sous-entend que ce dernier doit surveiller la CREG.
Bert Wollants (N-VA) a souligné que le contrôle du Parlement sur la CREG était inefficace. « Le Parlement doit avoir le droit de poser des questions à la CREG, comme c’est le cas au Parlement flamand avec le régulateur flamand de l’énergie VREG. » Patrick Bihet (MR) partage cette opinion, évoquant des problèmes de communication et de transparence.
La CREG a tenté de couvrir l’excès de budget avec Elia, sans transparence. Finalement, la CREG a envoyé une lettre confidentielle à la ministre. La conclusion est que sans cette fuite, la CREG aurait probablement approuvé les investissements, laissant les citoyens payer via les tarifs de réseau. Selon Wollants, il aurait été alors impossible d’intervenir.
Débat indispensable au sujet de la CREG
Les parlementaires du MR et de la N-VA ont donc décidé qu’un débat sur le rôle de la CREG et sur la maîtrise des coûts des projets d’Elia devait avoir lieu. Lors de la prochaine réunion de la commission, les députés souhaitent interroger Elia et la CREG à ce sujet.
Patrick Prévot (PS) a regretté que « certaines parties » aient systématiquement bloqué dans le passé l’extension des compétences de la CREG en matière de protection des consommateurs et de tarifs sociaux.
La ministre a expliqué que les rôles dans ce dossier sont répartis comme suit : le gouvernement fait des choix politiques, Elia exécute, et la CREG contrôle. Cela explique pourquoi la CREG a envoyé une lettre alarmante à la ministre. Cela n’explique cependant pas pourquoi Elia n’a pas tiré la sonnette d’alarme ni pourquoi la ministre n’a pas agi. Selon la ministre, tout repose sur des interprétations différentes des mêmes données. Les coûts sont énormes, mais elle a insisté sur l’importance de « ne pas perdre de vue le long terme ».
Audit interne
La ministre a aussi annoncé qu’Elia avait entamé un « audit interne » sur la budgétisation de ses projets, indiquant que des questions se posent même au sein d’Elia sur la soudaine hausse des coûts.
Néanmoins, la ministre a continué à défendre le projet de l’île énergétique, bien qu’elle ait admis qu’avant même le début du projet, il y avait déjà des « signaux d’alerte ». Elle a affirmé avoir toujours « espéré » que le projet irait dans la bonne direction.
Selon elle, « le hub énergétique se situe à la croisée des objectifs » pour la transition énergétique. « Compte tenu de la consommation, l’île sera nécessaire », a-t-elle déclaré, ajoutant que le projet couvrira un tiers de la consommation énergétique belge d’ici 2030, soit l’équivalent de quatre réacteurs nucléaires.
« On ne peut perdre son industrie lourde qu’une fois »
Elle a également fait une remarque surprenante : « On ne peut perdre son industrie lourde qu’une fois ». Elle a ajouté que des entreprises comme Hitachi, Siemens et GE manipulaient peut-être les prix en raison de la forte demande d’infrastructures en courant continu en Europe, voyant ainsi un rôle pour « l’Europe » dans ce dossier. Elle a aussi mentionné que l’inflation générale et la hausse des prix des matières premières pourraient expliquer le surcoût.
L’île énergétique est le projet phare de la ministre. Pour éviter une suspension ou un arrêt, elle a même suggéré de réduire les subventions massives pour les projets de batteries et d’hydrogène qui n’aboutissent pas, préférant allouer ces fonds aux infrastructures de réseau, y compris l’île énergétique.
En conclusion, Tinne Van der Straeten a finalement délégué la question brûlante au régulateur énergétique, qui devra approuver ces surcoûts et les répercuter dans les tarifs de réseau des ménages et entreprises. Le régulateur indépendant, qui en principe ne doit des explications qu’au Parlement. Ce dernier réalise soudain que cela ne se fait pas de manière transparente. En déléguant ainsi, la ministre et Elia se sont habilement dédouanés.
Lode Goukens
(Photo Belgaimage : la ministre fédérale de l’Énergie Tinne Van Der Straeten)