Laurence D’Hondt et Jean-Pierre Martin, journalistes et reporters, signent « Allah n’a rien à faire dans ma classe » (Éditions Racine) à propos de l’entrisme islamiste dans l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous les avons interviewés avant que leur conférence soit annulée par la FNAC de Woluwe-Saint-Lambert sous les menaces, vraisemblablement, de jeunes islamistes qui promettaient de « tout casser ».
21 News : Ce qui frappe à la lecture de votre livre, c’est l’extrême solitude de l’enseignant face à l’entrisme islamiste… Les enseignants ne semblent n’être pas soutenus par leur hiérarchie…
Jean-Pierre Martin : C’est clair. Que ce soit en Belgique ou en France, les enseignants se sentent souvent seuls. Tous ceux que nous avons rencontrés en Belgique, nous ont fait part de ce sentiment de solitude. Ils sont surtout peu outillés pour répondre aux élèves qui contestent des matières scientifiques, l’histoire, l’égalité entre une femme et un homme…
Laurence D’Hondt : Ils sont également souvent peu soutenus par leurs directions. Il faut tenir compte de directions qui ont peur de perdre des élèves en ternissant la réputation de leur école. Ils ne veulent pas que la moindre information confidentielle ne s’échappe. Chacun a peur d’être taxé d’islamophobe… C’est un mot qui fait peur, à dessein. C’est pour ça qu’il a été forgé par l’Ayatollah Khomeiny et repris par diverses associations islamistes et remis au goût du jour dans les années ’80. La peur de critiquer l’Islam constitue une énorme pression qui peut expliquer aussi la solitude dont on vient de parler. Des menaces réelles pèsent sur certains professeurs qui osent émettre des critiques à l’encontre de la pression islamiste : des insultes mais aussi potentiellement des agressions physiques.
« Il y a une forme d’autocensure »
L D’H : Il y a un élément aussi qui peut expliquer le sentiment de solitude des professeurs. Ils sont majoritairement « de gauche » et donc parler d’islamisme est difficile. Il y a une forme d’autocensure. Il y a une forme de gêne à dénoncer l’islamisme car il pourrait être perçu comme une stigmatisation des musulmans. Ils sont donc venus vers nous avec anxiété. C’est presque un tabou, psychologiquement.
21 News : Je remarque à la lecture du livre que les pressions et intimidations viennent des élèves mais, bien souvent aussi, des autres professeurs musulmans…
J-P M : Les pressions s’exercent d’abord sur les professeurs musulmans qui défendent la liberté de conscience ou simplement un Islam apaisé. Bien que croyants, ils sont nombreux à défendre une conception laïque de l’enseignement. Ils sont ciblés encore plus que les profs non-musulmans.
21 News : Vous avez aussi rapporté les témoignages des enseignants des Hautes écoles, celles qui forment les instituteurs de demain, les comptables ou encore les infirmières. Vous relatez l’exemple d’une infirmière en psychiatrie qui enseigne dans le Hainaut.… Elle se rend compte qu’elle ne peut pas aborder certains sujets et pas nommer certaines parties de l’anatomie tel que le « pénis », par exemple, ni expliquer ce qu’est l’homosexualité ou la pédophilie.
J-P M : Oui, il y a une enquête à mener dans les hôpitaux car certaines de ces infirmières sont maintenant sur le terrain. Elles exercent. On s’aperçoit que certaines font l’impasse sur la toilette du sexe opposé par exemple et que des collègues prennent le relais… À long terme, ce n’est pas acceptable. Surtout dans des services à flux tendus. Cela remet en question notre système médical.
« L’enseignement de la science est compliqué »
21 News : Vous confirmez que d’autres sujets sont difficiles à aborder, l’enseignement de la Shoah ou l’histoire de la création du monde en particulier. Certains élèves s’en tiennent à l’histoire biblique du monde créé en 7 jours par Dieu…
J-P M : Je confirme. L’enseignement de la science est compliqué. Certains élèves contestent la théorie de l’évolution de Darwin. Au nom de leur foi, mais surtout du fondamentalisme religieux, qu’il soit musulman ou chrétien, des élèves s’insurgent et prétendent que seul Dieu a créé l’univers et l’homme.
21 News : Vous analysez les événements à l’Athénée Serge Creuz à Molenbeek qui ont défrayé la chronique. Toutefois – note d’espoir ? -, cette école est rentrée dans le rang. On a remis la « mosquée » au milieu de village, dirions-nous…
J-P M : Il y a eu un rapport d’inspection. Ce qui est tout de même assez rare. Ça date de l’époque précédant les attentats terroristes. C’est pourquoi c’est particulièrement intéressant. Aujourd’hui, l’école a été scindée. Mais il n’en reste pas moins que Molenbeek est toujours un ghetto, bien que la situation se soit apaisée. Le décret inscription voulait casser ces ghettos. Cela partait d’un bon sentiment : assurer une plus grande mixité sociale et culturelle. Au final, les professeurs habitent le quartier, les élèves également et la mixité n’existe pas…
« Nous faisons face à une idéologie qui combat les valeurs de l’Occident »
21 News : Les écoles islamiques qui se multiplient à Bruxelles ne sont-elles pas le « cheval de Troie » (expression de Jean-Claude Laes) pour les islamistes, étant donné que si l’État finance l’enseignement catholique, il n’y a pas de raison de ne pas financer l’enseignement islamique ?
J-P M : Le choix de l’enseignement est une liberté fondamentale. Les écoles islamiques s’inscrivent dans ce droit au même titre que les écoles catholiques ou juives du réseau libre. Ces écoles sont astreintes à suivre un programme qui ne peut être un programme intégriste. Ce qui est également en jeu, c’est le maintien ou non des cours de religion dans l’enseignement officiel de l’État, des Provinces ou des communes. De plus en plus de voix s’élèvent pour supprimer les cours de religion ou de morale laïque dans le réseau officiel et les remplacer par une deuxième heure de cours consacrée à la citoyenneté et à la philosophie, à l’histoire des religions par exemple.
L D’H : Nous ne nous focalisons pas sur les huit écoles islamiques que nous n’avons pas analysées. L’islamisme peut toucher les écoles de tous les réseaux, le réseau catholique comme le réseau officiel où des professeurs de religion enseignent la religion choisie par les élèves qui peut être l’Islam. Mais il faut noter que l’islamisme n’est pas particulièrement promu par les profs de religion islamique. Je rappelle que c’est une idéologie qui se base sur une lecture rigoriste de l’Islam et qui s’impose auprès des musulmans comme unique mode de penser et de vivre l’Islam, en oppressant les autres façons de pratiquer l’Islam. Tous les professeurs peuvent potentiellement y être sensibles. Nous faisons face à une idéologie qui combat les valeurs de l’Occident. Il faut être clair. Cette idéologie s’oppose à des fondamentaux comme l’égalité homme-femme, la liberté individuelle, la liberté de conscience, etc.
21 News : La laïcité à la Française est un rempart plus solide a priori…Mais nous n’avons pas eu deux enseignants décapités en Belgique…
L D’H : Je ne suis pas sûre qu’on puisse importer la laïcité à la Française. Nous avons des traditions différentes. Maintenant ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu Samuel Paty qu’il n’y a pas de problèmes aussi profonds dans notre pays… Ni la neutralité ni la laïcité ne sont suffisantes pour contrer une idéologique qui est aussi financée de l’extérieur et qui rejette précisément le mot laïcité avec virulence comme étant synonyme d’athéisme.
« Oser nommer les choses »
21 News : Passons au voile islamique. Vous évoquez un établissement bruxellois où les jeunes filles sont contentes de ne pas le porter car au moins elles ont les cheveux au vent le temps de l’enseignement, même si elles le remettent pour le retour au domicile sur la voie publique.
J-P M : C’est la preuve qu’il y a bien une pression sociale pour le porter. L’interdiction du voile à l’école est à mon avis une bonne chose. Je prends un exemple : lors des sorties scolaires au musée ou au spectacle, le voile est toléré sur le chemin, dans les bus, dans la rue. Car les filles ont peur de rencontrer sur le chemin des connaissances ou des proches qui les verraient sans voile. En dix ans, une étude en France a constaté une augmentation de 50 % de jeunes femmes qui le portent en France dans la tranche 25-34 ans. Sans qu’on sache si c’est volontaire ou contraint. Est-ce la volonté de montrer une appartenance à une communauté ? Il est difficile de trancher cette question. Mais il est certain qu’il y a une pression importante des femmes voilées sur les femmes non voilées au sein de la communauté musulmane.
21 News : Serait-ce au ministre de tutelle de prendre ses responsabilités ? La ministre de l’Enseignement dit vouloir abandonner l’écriture inclusive, pourquoi ne pas prendre attitude contre l’influence islamiste à l’école ?
J-P M : Le problème est que cela ne figure pas dans la Déclaration gouvernementale. C’est un mauvais signal. Les Engagés sont tout de même les héritiers d’une tradition catholique…
21 News : Les témoignages que vous avez recueillis. Certains ne sont-ils pas un peu exagérés ?
L D’H : Malheureusement non, je dirais même le contraire. Nous avons reçu un message d’Ismaël Saidi, un réalisateur et scénariste aujourd’hui installé en France qui assure que non seulement tous ces témoignages sont vrais, mais qu’ils sont souvent en dessous de la réalité. Il est né à Bruxelles et a grandi à Schaerbeek. En outre, il faut savoir que sous la pression de leur entourage, certains témoins se sont rétractés. En se relisant, ils ont lissé leurs propos. Ils avaient peur d’être mal compris. L’infirmière dont nous parlions a retiré quasi les trois-quarts de son témoignage…
« Notre avenir est en jeu »
21 News : C’est toujours difficile de demander à des journalistes des solutions. Mais en auriez-vous au problème profond que vous soulevez dans le livre ?
L D’H : Une des premières solutions est d’oser nommer les choses, ce que nous tentons de faire à travers ce livre. Il serait aussi positif, à notre sens, d’uniformiser la loi sur le port des signes convictionnels dans les écoles. La France a interdit tout signe religieux ostentatoire dans les écoles en 2004. Mais il ne faut pas oublier que le problème a une dimension internationale. L’islamisme n’est pas sorti de nulle part. Il n’est pas seulement lié à une mauvaise intégration des musulmans de la 3e ou 4e génération. L’idéologie islamiste ou salafiste vient du Qatar et d’Arabie saoudite. Si on veut traiter le problème à la racine, il faut replacer le problème dans sa dimension internationale. L’histoire des Frères musulmans remonte à un siècle (la Confrérie a été créée en 1928, NDLR). Elle a commencé par le Moyen-Orient, puis cela s’est étendue à l’Afrique du Nord, l’Afrique sahélienne. L’avènement de la République islamique d’Iran en 1979 a joué un rôle de détonateur et d’accélérateur de cette idéologie. Aujourd’hui, nous y sommes confrontés dans les communautés de confession musulmane qui se sont installées chez nous. Mais dernièrement il y a quelques signes positifs : en France, lors des commémorations de l’assassinat du professeur Paty, il y a eu moins de chahut cette année que les années précédentes.
J-P M : Dans une société de plus en plus sécularisée, il y a une réaction de la société musulmane. Il y a une inquiétude identitaire qui pousse certains vers l’islamisme (…) Il faut nommer les choses, comme dit très bien Laurence. Il faut en parler. Dépassionner la question. Effectivement, c’est aujourd’hui fondamental de l’aborder sous tous ses angles, celui de l’éducation, de la vie en société, de la vie au sein des entreprises. De la vie aussi dans l’espace public. Il ne faut pas que cela devienne une obsession. Mais que la question soit abordée de manière frontale aussi, car notre avenir est en jeu. Après avoir recueilli ces témoignages de professeurs , nous espérons que les partis démocratique et la société civile s’empareront de cette question. C’est un enjeu démocratique il ne faudrait pas que les partis extrémistes s’en emparent.
Entretien : Nicolas de Pape