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Les quatre vrais piliers de notre civilisation : acier, ammoniac, béton et plastiques

par Nicolas de Pape

Tout le monde devrait lire « Comment marche vraiment le monde » de Vaclav Smil, historien, géographe et spécialiste de l’énergie (Cassini éditions). Parmi les nombreux chapitres qui nous rappellent aux dures réalités de la thermodynamique et préfacés par Jean-Claude Jancovici figure « comprendre les matériaux ». L’auteur distingue l’acier, le béton, les plastiques et l’ammoniac, tous indispensables à notre civilisation moderne et qui en constituent les véritables piliers. Leur synthèse en fait de gros producteurs de gaz à effets de serre car dépendant complètement de l’énergie fossile. La « civilisation zéro carbone » qu’on nous annonce à grand cri n’est, à ce stade, rien d’autre qu’une incantation.

Ciment, acier, plastiques et ammoniac : ces quatre matériaux sont le fondement de notre civilisation. Ils forment l’ossature de nos infrastructures, la base de notre industrie et le moteur silencieux de nos progrès agricoles. Hélas, leur production est énergivore et repose massivement sur les combustibles fossiles. Réduire leur empreinte carbone sans altérer notre mode de vie reste un défi colossal.

En 2019, le monde a consommé 4,5 milliards de tonnes de ciment, 1,8 milliard de tonnes d’acier, 370 millions de tonnes de plastique et 150 millions de tonnes d’ammoniac. À eux seuls, ces quatre matériaux engloutissent 17 % de l’énergie primaire mondiale et génèrent 25 % des émissions de CO2. Impossible d’envisager une substitution rapide, souligne Vaclav Smil : aucun autre matériau ne peut se prévaloir des mêmes propriétés et disponibilités à grande échelle.

L’ammoniac : l’engrais de l’humanité

Produit par le procédé Haber-Bosch, l’ammoniac synthétique est sans conteste l’une des inventions les plus cruciales de l’histoire moderne. Elle permet de nourrir jusqu’à 50 % des 8 milliards d’habitants de la planète. Environ 80 % des 150 millions de tonnes d’ammoniac produites annuellement servent à fertiliser les cultures. La Chine à elle seule consomme près de 60 % de cet engrais, assurant ainsi une production agricole massive.

« Sans l’ammoniac, la production alimentaire mondiale serait divisée par deux, laissant plusieurs milliards de personnes en situation d’insécurité alimentaire. »

Depuis 1960, la production mondiale d’ammoniac a été multipliée par 8, passant de 20 millions à 150 millions de tonnes. Sans l’ammoniac, la production alimentaire mondiale serait divisée par deux, laissant plusieurs milliards de personnes en situation d’insécurité alimentaire. Or sa fabrication reste fortement dépendante des combustibles fossiles, notamment du gaz naturel qui fournit l’hydrogène nécessaire à sa synthèse. Réduire ces émissions impliquerait de réinventer entièrement les procédés de production.

Les plastiques : omniprésence invisible

Du nylon aux emballages stériles dans les hôpitaux, le plastique est partout. Il symbolise à la fois le progrès et la pollution. En 1950, le monde produisait 2 millions de tonnes de plastique. En 2019, ce chiffre atteignait 370 millions de tonnes. La production de plastique a été multipliée par 185 en moins de 70 ans.

Chaque année, si des tonnes de plastique finissent dans les océans, les fibres océaniques sont à 90% d’origine naturelle. Mais recycler ces matériaux reste complexe et énergivore, et seuls 9 % des plastiques produits dans le monde sont recyclés. La vie moderne, des maternités aux soins intensifs, est inconcevable sans PVC, polyéthylène ou polystyrène.

L’acier : le squelette de l’industrie

L’acier est le métal le plus résistant et le plus polyvalent. Des gratte-ciel aux ponts suspendus, des rails de train aux couverts de cuisine, il est partout. Sa production mondiale était de 1,8 milliard de tonnes en 2019, nécessitant 34 exajoules (10 exposant 18 joules) d’énergie et émettant environ 900 millions de tonnes de CO2.

Chaque voiture contient environ 900 kg d’acier (recyclable à 90% dans les économies riches), chaque avion environ 10 % de son poids en acier. En 2019, les émissions directes de l’industrie sidérurgique représentaient entre 7 et 9 % des émissions mondiales de CO2.

Des structures emblématiques illustrent cette omniprésence de l’acier :

Burj Khalifa à Dubaï : cette tour de 828 mètres de hauteur utilise plus de 39 000 tonnes d’acier pour ses panneaux et structures internes.

Golden Gate Bridge à San Francisco : achevé en 1937, il contient environ 83 000 tonnes d’acier.

Tour Eiffel à Paris : construite avec 7 300 tonnes de fer forgé, ancêtre de l’acier moderne.

Pylônes électriques et rails de chemin de fer : chaque kilomètre de voie ferrée requiert environ 50 tonnes d’acier.

« Les éoliennes sont une incarnation des combustibles fossiles. »

Le ciment : fondation des villes modernes

Le ciment est l’élément clé du béton, indispensable à l’urbanisation mondiale. En 2019, la Chine produisait 2,2 milliards de tonnes de ciment, soit plus que les États-Unis en un siècle. Le ciment représente à lui seul 8 % des émissions mondiales de CO2.

Chaque tonne de ciment produite émet environ 0,9 tonne de CO2. Entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé plus de ciment (6,6 milliards de tonnes) que les États-Unis pendant tout le XXe siècle (4,5 milliards de tonnes).

Pour exemple, la plus longue piste d’atterrissage, celle de l’aéroport de Calgary, a nécessité plus de 85 000 mètres cubes de béton et 16 000 tonnes d’acier d’armature. Les barrages sont les constructions les plus gourmandes en béton : censé être « écologique », le Barrage des Trois-Gorges sur le Yang Tsé en Chine a nécessité 28 millions de m³ de béton armé et 256 mille tonnes d’acier.

Les fausses promesses de la « dématérialisation »

Les énergies renouvelables et les voitures électriques sont souvent présentées comme la solution à nos problèmes climatiques. Mais une éolienne de taille moyenne contient 200 tonnes d’acier par mégawatt d’électricité produite. Ses pâles en résine plastique sont difficiles à recycler. Pour produire un seul mégawatt d’électricité verte, il faut extraire et transformer environ 100 tonnes de matériaux : l’acier des rotors, le béton de pied, le transport de tout cela par des camions géants. Ce qui fait dire à Vaclav Smil : « Les éoliennes sont une incarnation des combustibles fossiles. »

Quant aux voitures électriques, chaque batterie de 450 kg contient 11 kg de lithium, 14 kg de cobalt, 27 kg de nickel et 40 kg de cuivre. Produire une batterie nécessite le traitement de 225 tonnes de minerais.

Vous avez dit économie « verte » ?

Conclusion : une civilisation inextricablement liée aux combustibles fossiles

« Notre dépendance à l’acier, au ciment, à l’ammoniac et au plastique ne disparaîtra pas de sitôt, conclut Vaclav Smil. Ces matériaux sont les piliers invisibles de notre vie quotidienne. Tant que l’énergie nécessaire à leur production ne proviendra pas de sources renouvelables, nos économies resteront liées aux combustibles fossiles. Aucune intelligence artificielle ni solution miracle ne changera cette réalité. »

Nicolas de Pape

(Photo Belgaimage : gratte-ciel en construction à Dubai, 2021)

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