Acteur et observateur attentif de la vie politique, Luckas Vander Taelen ne mâche pas ses mots lorsqu’on l’interroge sur Bruxelles : trop de politiciens, trop de déficits et une absence criante de réformes. Entretien.
21 News : Vous connaissez bien le Nord et le Sud du pays, qu’est-ce qui vous frappe comme différence entre les deux régions au niveau politique ?
Luckas Vander Taelen : La Flandre a un tout autre passé que la Wallonie. La Belgique a été créée comme un État francophone, avec un grand mépris pour le Flamands, qui étaient considérés comme des paysans. « La Belgique sera latine ou sera pas » était un slogan de l’époque. C’est seulement après la deuxième guerre mondiale que la Flandre s’est émancipée, à un moment où l’industrie wallonne a commencé son déclin. Le développement économique en Flandre a changé l’équilibre politique belge. Ce passé reste présent dans la tête de pas mal de politiciens francophones, qui continuent à compter sur l’argent fédéral pour combler les problèmes qu’ils devraient solutionner eux-mêmes.
21 News : Cela vous a surpris, ce recul de la gauche aux dernières élections en juin dernier en Wallonie ?
L. V.T. : La gauche, le PS en particulier, a occupé très longtemps le pouvoir en Wallonie, sans pouvoir changer le paysage industriel, utilisant toujours le déclin des années soixante comme excuse du retard. Le taux d’emploi est trop bas (61,2 comparé à 76,2 en Flandre) ; le chômage est à 12,3 % (la Flandre moins de 5 %) et 41,7% des salariés travaillent dans le secteur public. C’est des chiffres alarmants, qui n’émeuvent pas outre mesure les politiciens wallons, qui sont d’ailleurs deux fois plus nombreux qu’en Flandre. Il est aussi préoccupant que si peu de chômeurs cherchent du boulot là où il y en a : de l’autre côté de la frontière linguistique. Dans la région de Courtrai, où il n’y a pas de chômage ou dans le Westhoek, autour de La Panne, ce sont des Français qui viennent travailler. Donc le recul de la gauche est une bonne chose, pour rendre une autre politique possible. Je pense que les électeurs wallons se rendent compte de l’urgence.
21 News : Vous écrivez souvent sur Bruxelles, pourquoi selon vous la mise en place d’un gouvernement prend tellement de temps ?
L. V.T. : C’est dû à la lenteur du côté néerlandophone, où il est très difficile de faire une coalition avec les quatre partis nécessaires pour trois postes. Mais l’urgence budgétaire aurait dû inciter les politiques à agir plus vite. Que ça dure presque six mois, c’est inacceptable.
« Il faut arrêter les travaux mégalomanes du métro bruxellois »
21 News : Comment voyez-vous l’avenir de Bruxelles ?
L. V.T. : On pourrait copier le système parisien, avec les 19 communes se transformant en arrondissements, subordonnés hiérarchiquement à la Région. Le niveau régional devrait être la première force, avec un ministre-président fort et visible qui gère la ville comme un maire parisien. Les bourgmestres locaux deviendraient des « maires d’arrondissement » qui s’occupent seulement des affaires locales concernant les citoyens.
Je ne sais pas comment Bruxelles peut résoudre son déficit et ses dettes. Ils sont astronomiques. Je pense qu’il faut arrêter les travaux du métro, qui est une idée mégalomane et repenser la mobilité en ville. Libérer les rues des parkings, qui permet de mettre bus et trams en site protégé et créer des parkings souterrains coûte beaucoup moins cher qu’un métro.
« Le Parlement bruxellois pourrait être réduit de moitié »
Mais le grand problème de Bruxelles c’est que les politiciens francophones ne veulent pas de réformes, de peur de perdre leur pouvoir. Chaque fois que j’écris sur la nécessité de changements de structures, on le rejette avec l’argument que c’est une conspiration flamande. Pourtant, tout observateur objectif sait qu’il y a beaucoup trop de mandataires politiques, autour de mille. Le parlement pourrait être réduit de la moitié. Les cabinets ministériels sont surpeuplés. Le ministre-président bruxellois a autant de collaborateurs que son homologue flamand, pour cinq fois moins d’habitants.
21 News : Vous venez du parti Groen. Comment voyez-vous l’évolution de ce parti ? Pourquoi est-il devenu si faible aux dernières élections ?
L. V.T. : Groen ne veut pas faire le choix entre être un parti ou un mouvement activiste. La sacro-sainte démocratie de base rend le changement presque impossible. Les plus fortes personnalités ont quitté le sommet du parti, qui est géré par une double présidence très jeune pleine de bonne volonté qui ne fait pas le poids par manque d’expérience politique. Le coprésident a perdu toute sa crédibilité en cassant un vase chinois et une copie de la Joconde dans un clip ridicule et complètement incompréhensible pour la sauvegarde des arbres. Le parti parle aussi trop de l’extrême droite et met trop peu en avant ses point forts, comme la lutte contre le changement climatique. (Les membres de Groen éliront leur nouvelle présidence à la mi-décembre, Ndlr)
21 News : Vous connaissez bien tant le paysage médiatique francophone que le néerlandophone. Comment les jugez-vous ?
L. V.T. : Ils sont très différents. Ce qui me manque du côte francophone belge c’est l’absence de talk-shows quotidiens, comme Ter Zake et De Afspraak. Je pense qu’une émission de début de soirée, dans laquelle on inviterait des personnalités de l’autre communauté serait très appréciée par le public. Et depuis des années je me demande pourquoi les radios francophones ne programment jamais des chansons flamandes. À la VRT, j’entends tous les jours de la musique francophone.
La rédaction