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OPINION : Scandales au CPAS d’Anderlecht, la partie émergée de l’iceberg

par Contribution Externe
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Le scandale des aides clientélistes accordées par le CPAS d’Anderlecht est révélateur d’un système qui mine de nombreuses communes bruxelloises. Une opinion de Merry Hermanus, ancien mandataire socialiste.

Le reportage diffusé récemment par la VRT démontre de façon éclairante la façon dont fonctionne le CPAS d’Anderlecht, l’octroi  d’aides indues, les fausses domiciliations, l’absence de contrôle… Qui dit mieux, n’en jetez plus !

Cette situation est d’autant plus regrettable que les CPAS jouent un rôle considérable et particulièrement utile face à la multitude des gens confrontés à la pauvreté. Ils sont un instrument précieux et nécessaire, ils constituent le dernier rempart avant le basculement total dans la misère et la solitude sociale. Il est donc primordial de ne pas les détruire en galvaudant leurs possibilités d’action envers les plus démunis.

Face à l’évidence du scandale, la réaction du bourgmestre Cumps est stupéfiante. Il déclare à BX1 : « Toute la lumière devra être faite sur ces dysfonctionnements. » J’avoue en avoir été abasourdi, dans la mesure où ce même bourgmestre, qui se questionne benoîtement, est institutionnellement « le »responsable du fonctionnement du CPAS, ce que personne jusqu’ici ne souligne.

La réaction stupéfiante du bourgmestre d’Anderlecht

En effet, la loi du 8 juillet 1976 supprimant l’Assistance publique et créant les Centres Publics d’Aides Sociales prévoit que le bourgmestre siège de droit au Conseil de l’Action sociale, organe qui assume la gestion de cette institution. Il préside de droit le comité de concertation commune-CPAS. Qu’en outre, il assure la tutelle générale du CPAS – c’est-à-dire le contrôle –, qu’en outre le Président du CPAS siège au collège, présidé par le bourgmestre. Est-il utile d’encore préciser que le budget du CPAS est voté par le conseil communal sur présentation par le collège ? En le votant, le Conseil et son bourgmestre prennent ainsi la responsabilité totale et entière des pratiques du CPAS. D’où une imbrication totale du CPAS et de la commune. Pas le moindre doute : « la lumière » dont parle le bourgmestre Cumps, il la connaît, il sait d’où elle tire son énergie, ce qui alimente sa flamme. Les 60 % d’augmentation des subsides sollicités ne peuvent lui avoir échappé.

La réponse à tout ceci est simple : le clientélisme massif, permanent et l’absence totale de contrôle.

Il faut comprendre qu’en Région bruxelloise, depuis des décennies, la tutelle sur les communes ne fonctionne plus. La loi communale de 1836 octroyait une large autonomie aux municipalités, mais prévoyait une tutelle, un contrôle de l’instance supérieure – à l’époque le ministère de l’Intérieur.

« Découragés, les fonctionnaires ahuris ne sont plus que les spectateurs passifs du Titanic régional, qui n’en finit pas de couler. »

Quand, en 1988, la Région bruxelloise a été portée sur les fonts baptismaux, le cumul étant autorisé, se retrouvaient au Parlement nombre de présidents de CPAS, de bourgmestres, de municipalistes de toutes espèces. Donc, la tutelle, le contrôle, c’était de la rigolade. Tout s’arrangeait sur un coin de table, devant un bon verre ou, une tasse de café. Le décumul n’y a rien fait, dans la mesure où, sur nos 165 km2, c’est toujours la même petite classe politique qui s’autocontrôle… Autrement dit qui ne se contrôle pas. Comment exercer une tutelle dans une telle proximité ? Dans un petit aquarium bruxellois, les poissons nagent ensemble, ils ne se contrôlent pas. Donc, tout est permis entre copains d’aujourd’hui ou – on ne sait jamais –, de demain.

Sur papier, dans la répartition des compétences au sein du gouvernement, un ministre est bien chargé de cette tutelle. Une administration existe, elle tente de travailler, en vain le plus souvent, contredite dans sa volonté de s’opposer à des gabegies permanentes. Découragés, les fonctionnaires ahuris ne sont plus que les spectateurs passifs du Titanic régional, qui n’en finit pas de couler.

Que dire des contrôles des services ad hoc de l’État fédéral ? Rien ou deux fois rien, ce qui n’est pas beaucoup, car eux aussi sont coincés par le flot immense des dossiers, la proximité politique et le clientélisme généralisé.

La ministre fédérale Lalieux, en charge de l’intégration sociale et des CPAS, affirme qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et ne pas faire de généralités. Certes, mais elle connaît parfaitement les mécanismes qui ont conduit au chaos actuel dans les CPAS… Cependant, comme hier en France on ne pouvait pas faire pleurer Billancourt – fief du Parti communiste –, aujourd’hui, il est interdit et dangereux de chatouiller les quartiers où résident les bénéficiaires des « largesses » tous azimuts des CPAS. Il y a, en Région bruxelloise, des risques à ne pas prendre si on veut survivre en politique.

Absence de contrôle et clientélisme

Toujours sur BX1, un élu de Vooruit a déclaré qu’il y avait à Anderlecht encore des squelettes dans le placard. Trop modeste, il se trompe : il y a des ossuaires dans les caves de certaines communes. Les « dysfonctionnements » sont légion, les os craquent, on marche dessus dès qu’on entre dans certaines institutions communales.

J’ai personnellement connu le cas d’une habitante de Molenbeek, qui a fait opérer sa maman tunisienne, vivant en Tunisie, d’une pathologie rénale grave, truquant les dossiers, obtenant les aides et interventions diverses sous son nom.  C’était, il y a plus de vingt ans. L’apprenant, je n’ai pu qu’admirer l’amour filial et me poser la question de savoir comment de telles falsifications étaient possibles, qui valent bien les 117.000 euros d’aides perçues par un individu en dix ans du CPAS d’Anderlecht.

La réponse est simple, je le répète : l’absence de contrôle et le clientélisme.

Un air de Pompéi avant l’éruption

J’ai visité Pompéi à de nombreuses reprises. Sur certaines maisons, on peut encore lire, déchiffrer de la propagande électorale. Je pense que certains, à Bruxelles, dans leur pratique politique, ne diffèrent en rien de ce qui se pratiquait au pied du Vésuve en 79 apr. J.-C. ! Même techniques, mêmes ressorts. Tu me donnes des aides, que j’y aie droit ou non ; ma famille, mes amis et moi votons pour toi. Je n’obtiens rien ? Nous votons pour les autres. Une telle philosophie politique, à laquelle s’additionne l’absence de contrôle, conduit au pire et nous y sommes… tous les jours et dans au moins une dizaine de CPAS de la Région.

En outre, comment ne pas comprendre le personnel des CPAS qui, confronté à ce flux massif et permanent de gens à qui « on » a promis qu’ils seraient aidés, constatent que juridiquement ce n’est pas possible. Qui élaborent péniblement dans l’urgence permanente un dossier, qui se voit ignoré par les instances politiques. Il est plus que courant de voir des gens se présenter au CPAS en « exigeant » les aides promises, en hurlant, en devenant violents quand on tente de leur refuser. Des incidents surviennent très régulièrement. La presse n’évoquant que rarement cet enfer permanent.

Démoralisation complète du personnel des CPAS

Au travers de l’exemple d’Anderlecht est aussi posée la qualité de la haute fonction publique communale, dont l’efficacité, le sens du devoir et de la chose publique, aurait considérablement chuté au cours de ces deux dernières décennies. Ainsi, la « Dernière Heure » avait, il y a quelques années, dénoncé le fait que le président d’un très important CPAS de la  Région, gérait, de fait en même temps, une agence de voyages appartenant à l’un de ses proches.  Que croyez-vous qu’il advint ? Deux ou trois articles, puis plus rien ! Pas de réaction, ni de la commune ni de la Région, ni du fédéral. L’intéressé se retrouvant, sans avoir démissionné du CPAS, chef de cabinet d’un ministre régional.

Autre aspect, encore plus délicat. Souvent les assistants sociaux observent que les aides perçues dépassent solidement leur propre rémunération ! Vous imaginez l’impact psychologique, les conditions de travail ? L’horreur, le découragement et l’incompréhension ?

Je ne veux pas abreuver le lecteur de chiffres mais, dans beaucoup de CPAS on observe une croissance considérable du budget. Une augmentation des aides de plus de 20 % l’an sont courantes, ce qui devient insupportable pour la Région, qui elle-même « assume » une dette de 13,3 milliards pour un budget de 7,5 milliards ! Impensable.

La source de ce chaos, tant dans les CPAS que dans les communes, est toujours la même. Il n’existe plus aucun contrôle réel sur l’ensemble des activités communales, CPAS compris. Dans l’ossuaire, tous les squelettes se mélangent, que les cadavres proviennent des CPAS ou des communes. Exactement comme en fiscalité. Les Bruxellois payent et payent de plus en plus. Comme les os, les impôts se mélangent… et s’additionnent eux aussi, car il s’agit de couvrir les « dysfonctionnements » des communes ou de leurs CPAS.

Qui, après ce scandale d’Anderlecht… et d’ailleurs, osera affirmer, haut et fort, que la Région Bruxelloise ne fonctionne pas ? Que les 19 communes sont des gouffres financiers sans fond ? Que tout le système institutionnel bruxellois devrait d’urgence être repensé ?

Qui… oui… Qui ?

A. M.  Hermanus (Les intertitres sont de la rédaction)

(Photo Belgaimage)

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