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Panneaux solaires, transition énergétique : « Le cabinet de Philippe Henry a pris des décisions de manière dogmatique »

par Nicolas de Pape
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Face à une situation énergétique complexe, Régis François, président de l’ASBL BeProsumer, expose pour 21 News les défis du réseau électrique wallon et les enjeux liés à l’intégration des panneaux photovoltaïques. Entre coupures d’onduleurs, retards d’infrastructures et décisions politiques discutables, il fait un état des lieux lucide d’un secteur en pleine mutation, appelant à des réformes indispensables.

21 News : Comme tous nos lecteurs ne connaissent pas la problématique des panneaux solaires, pourriez-vous expliquer la situation actuelle pour ceux qui en possèdent ou qui souhaitent en acquérir ?

Régis François : La situation actuelle dépend des législations de la Région bruxelloise et de la Wallonie, car elles sont régionalisées. À Bruxelles, la situation est relativement stable. Le marché n’a pas connu les dérapages qu’on a vus en Wallonie ces dernières années. Le marché bruxellois est encore porteur et ne connaît pas de gros problèmes techniques au niveau du réseau de distribution. Le réseau y est protégé.

En Wallonie, la situation est plus chaotique, avec une gestion à court terme. Il n’y a pas eu de vision énergétique à long terme, et les décisions ont été prises sans perspective au-delà d’une législature. Il y a environ 18 000 installations à Bruxelles et 360 000 en Wallonie. En Wallonie, le problème principal est que le réseau de distribution, géré par ORES, RESA (Enodia, anciennement Nethys) et d’autres petits distributeurs, rencontre des difficultés techniques majeures. Il y a trop d’électricité provenant des installations décentralisées comme le photovoltaïque, ce qui provoque des coupures d’onduleurs. En termes techniques, l’onduleur se met en sécurité lorsque la tension dépasse 253 volts (l’onduleur est un appareil qui transforme le courant continu, produit par les panneaux solaires, en courant alternatif utilisable par le réseau, NDLR).

Régis François, président de l’association BeProsumer

21 News : Aurait-on pu anticiper ces goulets d’étranglement ?

R. F. : Oui, bien sûr. Le cabinet de Philippe Henry (Ecolo) avait tenté de mettre en place un moratoire, mais cela a créé un effet d’appel d’air. Ils ont laissé les personnes ayant installé leurs panneaux avant le 31 décembre 2023 bénéficier du compteur qui tourne à l’envers. Cela a entraîné une explosion des installations en Wallonie, avec environ un tiers des installations placées en un an, saturant le réseau. Ce réseau aurait dû être adapté il y a longtemps. Plutôt que de l’adapter, les conseils d’administration des gestionnaires de réseaux ont systématiquement siphonné les bénéfices pour combler les budgets des communes, au lieu d’investir dans la modernisation du réseau.

21 News : C’est objectivé ?

R. F. : Ils n’ont jamais nié ce fait. Je tiens aussi à souligner que je fais une distinction entre les comités de direction des entreprises et les conseils d’administration. Les comités de direction, bien que politisés, font un travail admirable pour tenter de résoudre les problèmes du réseau. Par contre, les conseils d’administration sont souvent constitués de personnes peu qualifiées, nommées politiquement, qui ne font que suivre les ordres sans apporter de solutions. Le problème est particulièrement visible dans les petites communes rurales, où les habitants ont installé beaucoup de panneaux photovoltaïques. Ces communes, qui sont parmi les plus touchées par le manque d’investissement, sont particulièrement mécontentes.

Pousser à l’installation, même au prix de la saturation

21 News : Est-ce que vous avez engagé des discussions avec les autorités sur l’évolution du cadre réglementaire ?

R. F. : Oui, nous sommes en dialogue constant avec les autorités. J’ai eu des relations cordiales avec le ministre Philippe Henry ces cinq dernières années. Mais on sentait que certaines décisions étaient prises de manière dogmatique. Leur objectif principal était d’avoir des statistiques d’installation de panneaux solaires positives, sans tenir compte des problèmes de réseau. C’est comme si on voulait mettre un million de voitures sur l’E411 sans adapter les infrastructures. Il était évident qu’on allait connaître des problèmes d’écoulement et de flux d’énergie. Nous avons mis la charrue avant les bœufs. Il aurait fallu moderniser le réseau avant d’encourager une production d’énergie décentralisée.

21 News : Dans quelle mesure la question du nucléaire intervient dans cette problématique ?

R. F. : Le nucléaire assure un socle stable pour le réseau. Le nucléaire n’est pas facilement pilotable (on ne peut pas « éteindre la centrale volontairement en quelques secondes, NDLR), mais il offre une stabilité de base. Le gaz, par contre, est plus facilement modulable, tout comme les barrages. Par exemple, les barrages de la Plate Taille peuvent être activés en quelques secondes pour produire de l’électricité. Quant au solaire, il est beaucoup plus difficile à piloter, car on ne peut pas facilement arrêter les installations photovoltaïques à distance.

21 News : Donc, pour résumer, il y a une intermittence avec cette technologie. Il faut une source d’énergie stable, comme le gaz ou le nucléaire, dans un mix énergétique. Et le paradoxe est que parfois il y a trop d’électricité, et on ne sait pas toujours comment la gérer, c’est bien ça ?

R. F. : En effet, lorsque la production est trop abondante, nous devons exporter l’électricité. Mais plus l’énergie est abondante, plus les prix baissent, ce qui complique la gestion. Les prix chutent souvent en journée ou pendant la nuit, notamment en cas de tempête activant l’éolien. Par contre, les prix restent élevés entre 7 h et 9 h le matin et entre 17 h et 20 h le soir, lorsque la demande est plus forte. Cela coïncide avec les pics de consommation, comme l’utilisation des appareils électroménagers et des radiateurs électriques. C’est pourquoi nous plaidons pour une prise de conscience politique sur la nécessité absolue de développer le stockage de l’énergie chez les particuliers. Les grandes batteries installées au pied des éoliennes ne résolvent pas le problème des réseaux basse et moyenne tension, ceux qui passent devant les maisons. Ce qu’il faut, c’est développer le stockage individuel, par exemple avec des batteries domestiques, et instaurer un tarif incitatif qui sera mis en place à partir de 2026. Mais pour l’instant, ORES et d’autres distributeurs minimisent les problèmes. Ils disent qu’il y a 10 000 points problématiques en Wallonie mais en réalité, ce chiffre est bien plus élevé. Selon nous, environ une installation photovoltaïque sur trois en Wallonie connaît des problèmes de décrochage d’onduleur, qui peuvent durer dans certains cas de 10h du matin jusqu’à 17h.

Des décisions politiques précipitées

21 News : Donc cela pourrait dissuader les voisins d’installer des panneaux solaires en voyant les problèmes que cela pose ?

R. F. : Exactement. Je me souviens d’une discussion avec un chef de cabinet sur le déploiement des compteurs communicants (on ne dit plus « compteurs intelligents », NDLR). Ces compteurs permettraient aux gestionnaires de réseau de suivre la tension en temps réel à des points précis, jusqu’au bout de la rue. L’idée était de donner une meilleure cartographie du réseau et d’anticiper les problèmes. En tant qu’ASBL, nous avons proposé des dispositifs pour les particuliers afin de récolter ces données, mais la réponse fut que, politiquement, il serait délicat d’admettre que certaines installations solaires sont inutilisables parce qu’elles sont coupées en milieu de journée. Politiquement, c’est difficile de freiner les installations photovoltaïques, même quand cela aggrave les problèmes sur le réseau.

21 News : Cela pose donc de vrais défis, surtout avec l’essor des véhicules électriques et autres technologies vertes ?

R. F. : Exactement. Un foyer wallon moyen consomme environ 3 500 kWh par an. Avec un véhicule électrique, cette consommation double pour atteindre 7 000 kWh. Si vous ajoutez à cela l’isolation et une pompe à chaleur comme mode de chauffage principal, la consommation grimpe à 12 000 ou 13 000 kWh par an. Or, les infrastructures ne sont pas prêtes à absorber cette demande croissante. Des décisions précipitées, comme l’interdiction des chaudières à mazout à partir de 2025, ne tiennent pas compte des réalités du réseau. Cela crée un problème de prévisibilité : il aurait fallu planifier ce changement sur 10, 15 ou 20 ans avec un calendrier clair, mais cela n’a pas été fait. Pour 1 km de cable électrique, c’est entre 700 000 et 750 000 euros. En Wallonie, rien que pour le gestionnaire de réseau ORES, nous avons aujourd’hui 55 000 km de câbles…

21 News : C’est gigantesque. Il va falloir des milliards d’euros. Et vous, avez-vous confiance en la nouvelle ministre de l’Économie, Mme Neven ? Pensez-vous qu’elle anticipe mieux la situation ?

R. F. : Je n’ai pas encore eu l’occasion de lui parler ou de la rencontrer, mais cela ne devrait pas tarder. Je pense que Madame Neven (Cécile Neven, ingénieure agronome, est la nouvelle ministre wallonne de l’Énergie, du Plan Air-Climat, du Logement et des Aéroports, depuis juillet 2024. Elle est membre du Mouvement Réformateur (MR) et fait partie de la coalition au pouvoir avec Les Engagés dans le gouvernement Dolimont, NDLR) va bientôt prendre contact avec nous. Nous restons pragmatiques, mais il est certain que si des décisions rapides ne sont pas prises, notamment pour les personnes dont les installations solaires décrochent alors qu’elles paient le réseau comme tout le monde, des procédures judiciaires seront lancées. Non pas contre le gouvernement wallon, mais contre les gestionnaires des réseaux de distribution. Nous serons prêts à discuter et réfléchir à des solutions, mais le gouvernement doit aussi prendre ses responsabilités.

J’ai pu constater un certain pragmatisme lors des consultations avec les présidents des partis. En matière d’énergie, on est beaucoup moins dans le dogmatisme et on se concentre davantage sur des actions qui toucheront directement la facture des gens, sans chercher à la faire grimper. Il faut utiliser l’argent là où c’est nécessaire, au lieu de soutenir des projets comme les 4 000 km de haies, qui sont certes sympathiques, mais pas prioritaires. Il est essentiel de savoir où l’on va à partir de 2025. Il faut aussi limiter les changements législatifs fréquents et suivre une feuille de route claire.

Nous avons maintenant une ministre qui vient de l’économie, qui est agronome et qui semble avoir une vision claire. L’idée est de remettre le citoyen au cœur du système énergétique, afin qu’il devienne acteur de sa propre consommation, plutôt que de favoriser des développeurs éoliens dont l’objectif principal est d’accumuler des subsides. Nous espérons un changement de paradigme au sein du gouvernement wallon. On verra ce que cela donnera, mais j’espère pouvoir la rencontrer rapidement.

Entretien : Nicolas de Pape

(Photo Belga)

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