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Paroles de flics

par J-P M
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Une cagoule masque leurs visages. Leur bleu de travail est kaki. Ils sont impressionnants sur ce parvis de l’église de Basècles. Ils assistent aux funérailles de leur collègue Jonathan Savel, tué par balles lors d’une intervention à Lodelinsart ce 18 mars 2024. Témoignages.

Ils font face à la mort de l’un d’entre eux, un frère d’armes. Droits. Sans un mot. Sans état d’âme pour les journalistes, pour ceux qui, lâchent-ils, ne peuvent pas comprendre. Jonathan Savel rêvait de faire ce métier. Pourquoi ?

« Pour mille raisons mais pas pour se faire tuer sur le pas de la porte d’un truand » répond, la voix cassée par l’émotion, un de ses amis motard et policier.

Depuis son enfance, Jonathan voulait être non pas un flic, mais l’acteur de sa vie et de celle de ses semblables. Non pas un héros mais un mec bien au service de son pays.

« Aujourd’hui, la population est avec nous… Mais demain, elle nous crachera au visage » nous dit Sophie, les larmes aux yeux. Elle ne fait pas partie du corps d’élite de la police fédérale.

— Avez-vous parfois l’envie de changer de métier ?

— Oui. »

Le désarroi des policiers

Sophie a aussi rêvé de devenir flic, comme son papa. Elle a trente-six ans. Des enfants, comme Jonathan. Elle est inspectrice dans une zone de police du Brabant wallon. Elle ne connaît pas la poussée d’adrénaline des ninjas des forces spéciales. Mais elle se bat tous les jours contre des moulins, contre la violence, contre des incivilités, contre le poids des « politiques », ces bourgmestres, ces chefs de la police locale tout puissants.

« Il y aurait tant à dire… ». Pierre, son collègue parle de la routine, celle qui use, qui fait oublier les bons réflexes, celle qui vous fait passer à côté d’une info déterminante pour éviter un drame.

« On est que deux sur le terrain » explique Florence, une policière d’une zone contiguë. Âgée d’un petite trentaine d’années, Florence n’a pas peur de dire ce qu’elle ressent. Elle avait hésité… Faire du journalisme ou devenir policière. Être au service des gens , enquêter… La réalité est bien différente.

« Nous sommes la plupart du temps réquisitionnés pour les démarches administratives, les procès-verbaux, les enquêtes de voisinage… ».

« Oui, cela use », soupire Sophie.

Hervé, qui a observé prudemment la conversation avec les deux policières, se joint à nous:

« Moi, je viens de Bruxelles , c’est le bordel ! Ce qui est arrivé à Jonathan peut nous arriver tous les jours.

— Pourquoi ?

— Parce que nous sommes en guerre contre les dealers. Ils ont des armes de guerre… Ils sont prêts à tout pour défendre leurs territoires… Pour eux, la vie n’a pas de prix. Avez-vous compté le nombre de morts depuis le début de l’année ? »

Une certaine forme d’impuissance

Que peut-on faire face à ce déchaînement de violence ? Est-ce une question de moyens financiers ? D’effectifs ?

« Oui, bien sûr mais ce n’est pas que cela, répond Florence.

— Je voudrais que les responsables politiques se mettent à notre place, qu’ils prennent conscience de notre rôle. Qu’ils viennent voir dans les commissariats et se rendent compte de notre travail. On ne veut pas des médailles posthumes.

— Vous savez, précise Sophie, il y a aussi autre chose de plus profond, de plus grave. Il y a dans notre monde un refus de l’autorité, des règles de vie en commun, de politesse tout simplement. Et c’est là pour nous une source de blues et de fatigue. C’est ce qui explique les absences pour maladie et le travail supplémentaire qui en découle.

— Et puis, ajoute Hervé, il y a aussi la lassitude face à lenteur de la justice, les interpellations et enquêtes qui n’aboutissent pas, les libérations de suspects multirécidivistes.

— Y a-t-il des ripoux comme peut-être ici dans le dossier de Lodelinsart ? osons-nous.

— Oui, malheureusement, répond Hervé.

— Il y a des renégats, des opportunistes, des tire-au-flanc , des incompétents, des racistes… Comme partout ,mais chez nous, croyez moi, ils sont vite débusqués. On ne nous passe rien. »

En dépit des remises en cause, des critiques à l’encontre de l’organisation des zones de police, surtout à Bruxelles, l’esprit de corps reprend le dessus pour étouffer la mort de l’un d’entre eux.

J.-P. M.

(Photo : Belga)

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