« C’est un boulot de sacrifices, dur, stressant. » Julie a trente ans. Elle est infirmière au service des soins intensifs d’un grand hôpital bruxellois. Nous la retrouvons à l’aube dans une cafétéria de cet hôpital. Les premiers patients arrivent pour les consultations. Julie termine sa nuit. L’absence de sommeil se marque sur ses yeux doux et à la fois remplis de force et d’énergie.
Elle parle d’abord lentement et puis, devant le café fumant, elle s’anime pour nous raconter ce métier qu’elle a choisi mais dont elle ne mesurait pas l’implication personnelle, physique et émotionnelle quand elle a commencé ses études. Elle a été engagée avant même de les avoir terminées.
Selon le Ministère fédéral de la Santé, les hôpitaux belges, en décembre 2021, signalaient 2572 postes vacants d’infirmiers. Toujours selon le SPF Santé publique, il faudrait, selon les dernières projections, 26.117 infirmiers diplômés de plus en Fédération Wallonie-Bruxelles, au cours des vingt prochaines années afin de garantir la qualité des soins.
En Belgique, il y avait 137.193 infirmiers et infirmières, soit environ un soignant pour mille habitants.
« On n’a pas le droit à l’erreur. C’est une immense responsabilité »
« Nous avons été applaudis tous les soirs pendant la pandémie… J’espère que les Belges se rendent compte de notre métier… Nous sommes en première ligne pour sauver des vies. Et en particulier dans l’unité des soins intensifs, là où je travaille. C’est terriblement exigeant. On n’a pas droit à l’erreur. C’est une immense responsabilité. Et ce n’est pas facile de tenir le coup tous les jours. »
Selon une enquête réalisée entre décembre 2021 et février 2022 par la KUL, l’Université de Louvain et par« Sciensano », l’Institut national de santé publique en Belgique, 43,9% des infirmiers et infirmières en soins intensifs envisageraient de changer de service et 26,5% de carrément changer de métier.
« Ce n’est pas mon cas mais il faut être en grande forme physique et psychologique pour faire ce métier dans cette unité. Il y a aussi davantage d’hommes que dans les autres services. La plupart de mes collègues sont relativement jeunes mais ici aussi, il y a des burn-outs , des arrêts de travail pour raison médicale, des grossesses et des accouchements et cela complique la gestion du service. »
« Chaque fois qu’un patient est sauvé, nous comprenons que notre métier a vraiment du sens »
Julie raconte son quotidien, les coups de stress quand les appareils de monitoring d’un patient se mettent à sonner : « Parfois, on se rudoie. On a pas le temps de se faire des politesses. Il faut agir au dixième de seconde. Tout patient qui entre dans le service est potentiellement en risque de mort. »
Julie répète : « Oui, de mort ». Et elle ajoute : « C’est terriblement violent de le vivre. Il faut encaisser tout cela. Je ne veux pas vous arracher des larmes. Nous parfois, on a bien du mal à les contenir lorsque nous accueillons les familles, que nous répondons à leurs questions et surtout les questions qui interrogent la vie ou la mort. Mais je vous rassure , il s’agit d’abord de la vie. Chaque fois qu’un patient est sauvé et quitte l’unité, nous comprenons que notre métier a vraiment du sens. »
C’est aussi un travail d’équipe où dominent la confiance, la solidarité, l’exigence… entre les infirmiers, les médecins, les kinés et les aides-soignantes.
« Nous sommes les yeux des médecins. Nous suivons le patient minute par minute. Le service, quand on y arrive pour la première fois est impressionnant. Ce n’est pas le centre de contrôle de la NASA mais les écrans, les moniteurs, tous les appareils y font penser. Et il faut absolument tout maîtriser. »
La vie est rythmée par les changements des équipes et l’arrivée des nouveaux patients. « Plusieurs fois par jour, d’abord le matin à 7 heures puis en début d’après-midi et en fin de journée, avant chaque changement de garde, nous faisons tous ensemble le point sur chaque patient. Tout est passé au crible, tous les paramètres, les analyses, les derniers examens… Chaque fois qu’on passe le relais, on s’assure que chaque malade est bien sous contrôle. »
Une crise des vocations
Le salaire en début de carrière s’est amélioré. Mais pas suffisamment pour faire naître les milliers de vocations dont les hôpitaux auront besoin dans les prochaines années. Les directions des hôpitaux se sont tournées depuis 15 ans vers l’étranger pour recruter du personnel. Vers l’ancienne Europe de l’Est, la Roumanie en particulier, mais aussi le Moyen-Orient, le Maghreb, l’Afrique.
« Dans mon service des soins intensifs, poursuit Julie, les soignants viennent de tous les horizons. Seule condition : l’excellence. Elle transcende toutes les différences et permet de se serrer les coudes. Le reste – les opinions, la religion, les différences de culture,… – n’a aucune importance. On n’a pas de temps à perdre. »
La matinée est déjà bien avancée. Le ciel d’automne est un peu gris. Les yeux de Julie se ferment. Il est largement l’heure pour elle de trouver quelques heures de sommeil avant d’affronter une nouvelle nuit.
En 2020, en pleine pandémie de Covid-19, l’OMS (L’Organisation mondiale de la Santé) a opportunément rappelé que le personnel infirmier constitue l’épine dorsale des systèmes de santé.
Entretien : J.-P. M.
(Photo d’illustration Belgaimage)